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EAN : 9782213671413
192 pages
Fayard (31/10/2012)
3.75/5   4 notes
Résumé :
À partir du milieu des années 1970, Michel Foucault a consacré au néolibéralisme de nombreux textes qui comptent parmi les plus controversés de son œuvre : et s’il était, à la fin de sa vie, en train de devenir libéral? Rompant avec cette interprétation dominante, Geoffroy de Lagasnerie propose une analyse neuve et originale : Foucault a constitué la tradition néolibérale comme un test, un instrument de critique de la réalité et de la pensée. Loin de désigner ce co... >Voir plus
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Le projet de Foucault s’inscrit en rupture avec cette position. Le problème qu’il entend poser se veut plus dérangeant. Son intention est plus complexe. Foucault se propose de modifier notre perception spontanée du discours néolibéral. Ainsi, l’une des idées placées au centre de la démonstration menée dans Naissance de la biopolitique, c’est qu’il y a quelque chose de libérateur, d’émancipateur, de critique qui s’élabore et se met aussi en place à travers le néolibéralisme.
(...)
Comment Foucault justifie-t-il cette association entre, d’un côté, le libéralisme et le néolibéralisme et, de l’autre, des mouvements de dissidence ? Qu’y a-t-il de potentiellement émancipateur dans le discours néolibéral ? Ou, plus exactement, en quoi est-il possible de trouver dans ce discours des instruments, des armes pour mener des luttes politiques et démocratiques ?

La potentialité critique inscrite dans la rationalité néolibérale s’enracine dans le fait que cette tradition s’est affirmée dans le cadre d’une opposition à l’État, ou, mieux, à la raison d’État. En effet, à la racine de l’attitude libérale, puis néolibérale, ne se trouve pas un corps constitué d’axiomes théoriques ou philosophiques, ni même quelques principes idéologiques de base. Si l’on voulait caractériser ce qui rassemble les intellectuels néolibéraux au-delà de leurs différences parfois très grandes, il faudrait plutôt invoquer un trait de caractère, un ensemble d’obsessions quasi psychologiques. Car leur pulsion commune, dit Foucault, c’est une « phobie d’État ». Les libéraux sont animés par une hantise de l’État – dont il illustre l’intensité en citant ces propos de l’historien de l’art Bernard Berenson : « Dieu sait si je crains la destruction du monde par la bombe atomique, mais il y a au moins une chose que je crains autant, qui est l’invasion de l’humanité par l’État. » Selon Foucault, le néolibéralisme est traversé par l’idée selon laquelle « “on gouverne toujours trop” » – ou du moins selon laquelle « il faudrait toujours soupçonner que l’on gouverne trop ». En d’autres termes, il y a dans le néolibéralisme la formulation d’une interrogation radicale sur la gouvernementalité étatique. Cette doctrine ne se contente pas de se demander quels seraient les meilleurs moyens, ou les moyens les moins coûteux, d’atteindre des objectifs politiques. Elle questionne la possibilité même de l’État. Elle impose de répondre à ce problème : « Pourquoi donc faudrait-il gouverner ? »

En ce sens, il ne me semble pas faux de dire que Foucault a perçu le néolibéralisme comme l’une des incarnations contemporaines de la tradition critique. (chapitre 10)
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L’un des coups de force du néolibéralisme consiste ainsi à se proposer de déchiffrer tout un ensemble de réalités et de rapports non marchands en termes marchands. L’homme n’est plus pensé comme un être compartimenté qui adopterait des raisonnements économiques pour ses actions économiques mais obéirait plutôt à des valeurs sociales, morales, politiques, psychologiques, éthiques, etc., dans les autres domaines de son existence. Il est conceptualisé comme un être unifié, cohérent. Il est donc censé appliquer le calcul économique à toutes choses, c’est-à-dire se comporter comme une petite entreprise qui chercherait à chaque instant à maximiser son utilité sous contrainte des ressources dont elle dispose : le néolibéralisme se propose d’utiliser le modèle de l’homo œconomicus comme grille d’intelligibilité de tous les acteurs et de toutes les actions.

On sait que cette figure de l’homme comme être rationnel constitue probablement l’une des facettes les plus décriées de la discipline économique dans sa version « orthodoxe ». Elle est constituée comme un repoussoir. Elle démontrerait que le néolibéralisme tend à nous présenter sous les traits mutilants d’êtres intéressés, matérialistes, égoïstes. Il nous ferait passer pour des monstres froids et des machines à calculer (pour reprendre l’expression de Marcel Mauss), alors que nous serions des êtres, complexes, des personnes définies par des affects, des émotions et des passions, des valeurs spirituelles, etc. Même dans les secteurs de la théorie critique qui entendent constituer l’individu comme une valeur de gauche et l’individualisme comme un projet émancipateur, il est frappant de constater que l’on brandit, contre l’homo œconomicus, la figure antimatérialiste et anti-utilitariste de la personne dotée de sens, d’affectivité, de sens moral – selon une rhétorique étonnamment proche du personnalisme chrétien.

Michel Foucault ne recourt pas, dans Naissance de la biopolitique, à ces modes de disqualification. Bien au contraire, il s’interroge sur la productivité du modèle de l’homo œconomicus, sur la fécondité du geste qui consiste à utiliser ce schéma pour analyser les comportements. Et, dans ce cadre, il développe longuement un exemple bien précis : celui du crime, de la punition et de la politique pénale tel qu’il a été étudié par l’économiste américain et Prix Nobel Gary Becker dans un célèbre article de 1968 intitulé « Crime et punition ». (chapitre 14)
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La démonstration proposée par Hayek consiste à dire que la racine du totalitarisme se trouverait dans un rejet du libéralisme. La critique de l’individualisme, le triomphe d’une éthique collectiviste, l’ambition de substituer au jeu du marché libre et décentralisé l’autorité d’une instance qui contrôlerait la production et la répartition des richesses, tous ces éléments constitueraient le point de départ ou, mieux, la base doctrinale du communisme et du national-socialisme. Ainsi, lorsque ces dogmes commencent à se diffuser dans une nation, lorsque les États se les approprient, lorsque les intellectuels se mettent à les adopter et à les légitimer, alors le totalitarisme n’est pas loin, et le pays, lentement mais sûrement, et bien souvent à son insu, s’engage sur la route de la servitude.

Au fond, le coup de force de Hayek, et plus généralement de tout le courant néolibéral, a été, par l’intermédiaire de telles analyses, d’installer l’idée, extrêmement forte et perturbante, selon laquelle il existerait entre le communisme et le nazisme, mais également entre le communisme et le keynésianisme, quelque chose comme un air de famille, une communauté de pensée, pour ne pas dire une relation de nécessité. Le régime communiste, le régime nazi et les régimes qui promeuvent les réglementations sociales et l’État-providence participeraient d’un même système, d’un même invariant politico-économique. Tous partiraient d’un même refus du libéralisme, de l’individualisme, du marché libre et décentralisé, etc., et, logiquement articulée à celui-ci, d’une même volonté d’utiliser la coercition pour atteindre des objectifs prédéfinis en matière de production ou de distribution. Par conséquent, contrairement à ce que l’on s’imagine spontanément, le totalitarisme n’est pas derrière nous. Les totalitaires sont parmi nous : ce sont ceux qui mettent en place un système de planification ou qui justifient la sécurité sociale, qui prônent un contrôle de l’économie par l’État, qui plaident pour une régulation du marché, pour plus d’impôts, etc. (introduction)
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Vidéo de Geoffroy de Lagasnerie
Rencontre animée par Antoine Idier
Le sort réservé à Joseph K dans le procès de Kafka a de quoi épouvanter : on y découvre un monde régi par un pouvoir « omniprésent et sans règle, effrayant et illogique, tout-puissant mais insaisissable ». Très loin du nôtre a priori. Et, pourtant, nous y reconnaissons quelque chose. Quel est ce « quelque chose » ? Et n'y a-t-il pas matière à nous méfier de cette identification spontanée ? Ce qui nous semble kafkaïen (injuste, arbitraire et donc opaque et imprévisible) ne retrouve-t-il pas une terrible clarté quand on s'extrait de l'appréhension subjective pour penser avec la sociologie ? Joseph K n'est personne en soi ; mais à lui donner un visage, une classe sociale et le cauchemar kafkaïen devient funestement réel, permettant à Geoffroy de Lagasnerie d'interroger la nature même du système judiciaire dans nos sociétés, y compris la notion de jugement et de culpabilité.
« Sans doute est-ce parce que chacun d'entre nous ressent au plus profond de lui-même que notre monde est opaque, que les institutions avec lesquelles nous devons composer pour vivre nos vies sont dotées de fonctions cachées et mystérieuses, (…) que nous cherchons sans cesse, dans la littérature ou la théorie, dans l'art ou la psychanalyse, des interprétations qui pourraient nous dire la vérité de ce qui est – nous révéler ce qui se joue derrière la façade trompeuse des apparences. » Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka
À lire – Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka, Flammarion, 2024.
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