L'auteur a vécu une enfance traumatisante, "cumulant les handicaps", selon ses propres paroles, avec une mère très peu affectueuse, des parents divorcés, qui se partagent leurs enfants, la séparant ainsi de sa soeur, vivant les quinze première années de sa vie dans "un pays dont elle n'a jamais parlé la langue", …. On comprend qu'elle en ait gardé de ce cumul d'épreuves des séquelles dont elle éprouve le besoin de creuser la nature et l'origine.
Mais pourquoi attribuer son mal-être au seul fait que sa mère soit une rescapée de l'horrible déportation à Auschwitz ? Or ce livre vise du début à la fin à montrer que c'est bien là l'origine de tous ses maux.
Et elle se lance dans une enquête auprès d'autres enfants de déportés rescapés, avec visiblement en tête le désir d'apporter des éléments à cette thèse que les enfants de déportés rescapés des camps souffrent nécessairement de tels traumatismes psychologiques.
Une de ses interlocutrices, à qui ses parents, pour éviter à leurs descendants de revivre un jour cette tragédie, n'ont voulu rien transmettre qui puisse lui faire penser qu'elle était juive, se trouve totalement désemparée en le découvrant à travers les injures antisémites d'une camarade d'école. Et Madame Laufer de faire alors, comme s'il s'agissait d'une évidence, le lien avec la déportation de son père ; mais d'autres personnes, au regard de ce qui s'est passé, sans avoir pour autant vécu la déportation, n'en ont-elles pas tiré les mêmes conséquences pour leurs enfants, les laissant découvrir leur origine dans ces mêmes conditions ? bien sûr que si ! et de nous décrire la réaction, en sens opposé, d'une mère qui, quand sa une fille vient présenter son fiancé non juif, s'écrie, sans s'apercevoir de l'effet dévastateur que cela peut avoir sur l'intéressée, "qu'elle n'a pas survécu à Auschwitz, avec tout ce que cela signifie, pour que sa fille épouse un goy" ; mais, là encore,d'autres n'ont-ils pas pu vivre ces mêmes circonstances psychologiquement ravageuses sans pour autant que leurs parents aient connu la déportation ? Évidemment que si ; de nombreuses publications peuvent en attester, de telles situations ont été vécues par des jeunes gens dont aucun des parents n'avaient subi l'horreur des camps.
Par ailleurs, il se trouve que l'auteur de ces lignes a connu des enfants de quatre familles dont l'un des parents était un rescapé des camps, plutôt superficiellement pour deux de ces familles, assez bien pour une autre, et de manière très proche pour la dernière. Certes, dans celle-ci, le parent revenu des camps faisait très souvent, au dire de son épouse, des cauchemars, et criait régulièrement dans son sommeil, mais il n'en était pas moins, comme dans les trois autre cas, un père aimant, très proche des enfants, dont il suivait les progrès scolaires avec attention. C'était du reste le cas de toutes ces quatre familles, dont les enfants semblaient parfaitement équilibrés, même si, en cherchant bien, on trouverait facilement à tel ou tel ce que certains pourraient considérer comme des défauts de caractère. Mais, si l'un d'entre eux, par exemple, ne parvenait pas à rester très longtemps avec les compagnes qu'il a successivement épousées, faut il vraiment se hâter d'attribuer cela au passé de ses parents ? J'ajoute que, comme dans les témoignages recueillis par Madame Laufer, dans deux des familles, les parents ne parlaient pas de ce qu'ils avaient vécu, alors que dans les deux autres cas, au contraire, ils éprouvaient un besoin de témoigner bien au-delà du cercle familial. Madame Laufer présente également ces deux situations, les premières plus nombreuses que les secondes. Et pour elle, dans le premier cas, les enfants sont traumatisés parce que les parents ne disent rien de ce qu'ils ont subi, et dans le deuxième cas, ils ne le sont pas moins, car l'expérience rapportée est trop lourde à porter pour les enfants. Bref, il faut toujours trouver à expliquer les éventuels mal-être en remonter ce fil là exclusivement.
Je le redis : ce livre mérite d'être lu par la richesse et l'intérêt des témoignages recueillis. Mais enfin, le lecteur doit garder un certain recul par rapport à l'analyse qui en est faite, qui est vraiment trop dans l'air du temps de l'analyse psychologique qui cherche absolument à découvrir une source expliquant tout comportement, qu'il s'agisse de criminologie, de pédagogie, d'analyse littéraire ou de bien d'autres domaines encore.
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Beaucoup de choses dans ce livre sont intéressantes. C'est un éclairage sur la génération venant après la Shoah. L'indicible de cette tragédie n'ayant pas pu être transmis, puisque la parole a souvent été réduite au minimum. Cependant, l'ambiance autour des silences inexpliqués, des douleurs psychosomatiques, des colères sans lien avec le présent, de la dépression ou du déni, cette ambiance a marqué les familles. Rares sont celles qui racontaient le vécu dans les camps, mais l'effet dévastateur est tout aussi flagrant.
Ce livre se présente comme un recueil de témoignages sur le vécu des enfants de déportés, il est utile pour comprendre.
Hélas, l'autrice écrit comme elle parle, avec des clichés. Elle étale sa relation avec sa mère, toxique parce que rescapée de la Shoah, toute son histoire est vue par ce prisme. Au bout de quelques chapitres, cette analyse subjective devient lassante. Il est dommage que l'autrice ne soit pas davantage restée en observatrice et se soit placée au centre des témoignages néanmoins intéressants.
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Merci Babelio et les éditions du Faubourg de m'avoir permis de lire ce livre dans le cadre de la masse critique du mois de février.
J'ai toujours été interessée par la seconde guerre mondiale, que ce soit la bataille, les camps, l'annexion de certaines regions.. le tout. J'ai beaucoup lu dessus, et ce livre la ne ressemble pas aux autres.
J'ai mis du temps à lire ce livre, ce recueil de témoignages de ces hommes et ces femmes qui n'ont pas vécu durant la guerre, qui n'ont pas connu l'horreur des camps, mais qui en sont les victimes tout de même.
Que ce soit la mère ou le père, on voit ici qu'un traumatisme peut se transmettre, même lorsqu'il est tû.
Les gens se livrent, parlent de leur enfance, avec pour certains ce parent qui a vécu l'enfer des camps et qui transmet involontairement les stigmates à ces enfants qui n'auraient "pas dûs naître"
Le manque d'amour, la folie pour certains, la surprotection... Comment grandir dans un monde de non dits, car on ne parle pas de cette horreur qui est indescriptible.
Mais aussi comment vivre, grandir en étant juif la ou l'antisémitisme lattent est toujours la, toujours présent, et comment transmettre aux générations suivante qu'il ne faut pas que ça se reproduise.
Certains passages m'ont émue au point d'en avoir les larmes aux yeux, d'autres mots m'ont choquée, comme ce père qui dit à son fils qu'il "ne sera jamais un homme accompli car il n'est pas passé par Auschwitz".
Mais ce livre est aussi un message d'espoir, qu'on peut malgré tout vivre avec ce poids... Certes pour beaucoup a coup de psychanalyse, de travail sur soi....
Je relirai ce livre, peut etre pas demain, mais dans quelques anneés, car sincerement ces témoignages sont très importants. Il ne faut pas perdre l'histoire....
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Fille de déportés, l’autrice a questionné une vingtaine de témoins ayant connu, comme elle, une jeunesse hantée par un passé innommable. Un livre douloureux.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Contre l'oubli, la voix de Francine Christophe, rescapée des camps, se mêle à celles de plusieurs enfants de déportés, réunies avec finesse par Danièle Laufer.
Lire la critique sur le site : LaCroix
On sait aujourd'hui que beaucoup de rescapés ont voulu raconter, mais ne se sont pas sentis écoutés. Certains se sont clivés pour survivre et ce clivage les a protégés pendant la déportation et dans leur vie d'après. Ne pas en parler pour tenter d'oublier. Faire comme si ça n'était pas arrivé. Pourquoi se sont-ils tus ? Pour nous protéger, nous qui redonnions du sens à leur existence ? Pour faire comme si tout cela n'avait été qu'un abominable cauchemar ? Parce qu'ils n'arrivaient même pas eux-mêmes à croire à la réalité de ce qui leur était arrivé ? Parce qu'ils ne voulaient plus y penser ? Parce qu'ils ne pouvaient plus y penser ? Parce qu'ils espéraient qu'en n'en parlant pas, cela finirait par s'effacer, par disparaître de leur conscience, de leur vie, de leurs souvenirs ? Parce que c'était indicible, impartageable ? Parce que même si on les avait écoutés, ils n'en seraient pas moins restés seuls dans l'horreur ce qu'ils avaient vécu ? Parce que les mots ne sont que des mots que chacun entend avec sa propre subjectivité et que personne n'aurait été capable de les consoler de ces familles disparues dans les chambres à gaz, de ces errances, de cette culpabilité suprême d'être en vie quand tous les autres, six millions d'autres, étaient morts sans sépulture sur laquelle se recueillir ? Comment parler de ça à des enfants ? Et comment grandir de ce silence quand on a été l'enfant d'un de ces rescapés qui n'ont pas su, qui n'ont pas pu parle ?
Quand il lui arrive d'entendre des propos antisémites, Sarah Perahia réagit : " Je ne ferme pas ma gueule. Je repense par exemple à une journaliste qui avait fait un article sur la galerie d'art de mon père et avec laquelle je m'étais liée d'amitié. Elle était très affectueuse, avec mon père. Un jour, on déjeune à la pizzeria en face de la galerie et elle m'annonce qu'elle est pétainiste. Interloquée, je lui dis : "Mais tu sais à qui tu parles, quand même ?" Elle me répond : " Ah oui, mais toi ce n'est pas pareil" J'ai renversé la table et je suis partie. Je n'ai plus jamais eu de nouvelles. Je ne sais même plus comment elle s'appelle."
Ce n'est pas grave, diront certains. Peut-être. Mais pourquoi sommes-nous obligés de supporter ça ? Après tout ce qui s'est pasé ?
"J'ai zéro tolérance là-dessus, poursuit Sarah Perahia. A Avignon, j'ai vu une vieille femme toute seule devant un théâtre qui jouait une pièce qui n'avait rien à voir avec ça. Elle portait une pancarte " Israël assassin, boycottons". je suis allée la voir pour qu'elle m'explique ce qu'elle fabriquait là, alors que cela n'avait rie n à voir, et elle m'a répondu : " Il faut le montrer partout et là il y a du monde." Je lui ai demandé : 'En quoi êtes-vous concernée, vous, par ce problème ? Est-ce que vous êtes déjà allée, vous en Israël ? -Jamais, et je n'irai jamais." Jai vu que ça ne servait à rien donc je suis partie mais ça m'a interpellée. Il fait quarante degrés, elle est là avec son panneau, qu'est-ce qui motive ces gens-là à faire ça ? "
Nous sommes nés après un maelstrom d'atrocités qui ne nous a pas réduits au silence. Nous ne demandons de comptes à personne, nous ne réclamons pas vengeance, nous voulons juste continuer à porter haut et fort la voix de ceux que les nazis ont voulu réduire au silence éternel, nos parents, afin qu'on n'oublie pas. Non, nous ne voulons pas qu'on oublie la souffrance de nos parents. Nous ne voulons pas que l'histoire se répète. Nous ne voulons pas -je ne veux pas- qu'on nous haïsse juste parce que nous sommes juifs, sans même savoir ce que nous sommes juifs, sans même savoir ce que cela signifie pour nous. Je ne veux pas.
Beaucoup de ceux qui ont su créer ou recréer une famille après la guerre dans un nouvel environnement ont été envahis et pris par des sentiments de perte et de deuil, et entravés dans leurs relations avec les enfants. Cette préoccupation constante a bloquée ce qu'on appelle leurs disponibilités d'investissement libidinal. Toute leur énergie psychique s'est mobilisée pour se mettre en mode survie et leur permettre de s'adapter dans tous les domaines, sociaux aussi bien que familiaux. " La particularité des relations parent-enfant dans les familles de survivants débute au moment de la grossesse", écrit Natalie Zajde. Notre naissance après la déportation a placé nos parents dans un cadre psychique de " double-bind". Par notre existence, nous leur avons prouvé à la fois qu'ils étaient en vie et qu'ils le "méritaient" (ce dont ils avaient sans cesse besoin d'être assurés), et n même temps nous leur rappelions leurs morts.
(Note. Double-bind : Situation dans laquelle une personne est soumise à deux contraintes ou pressions contradictoires ou incompatibles. Si la personne est ou se sent prisonnière de la situation, cela rend le problème insoluble et engendre à la fois troubles et souffrances mentales).
L'obsession pour la nourriture est assez communément répandue chez ces parents venus d'ailleurs et revenus décharnés des camps où ils avaient crevé de faim. Murielle Aronowicz-Fellous se souvient de ces petites phrases que beaucoup d'entre nous ont entendues pendant leur enfance : " Si je laissais un morceau dans mon assiette, il devenait fou ' Tu ne te rends pas compte, ce morceau que tu laisses, c'est la ration qu'on avait pour une semaine." Si je laissais un morceau de pain, pareil. J'ai eu des petites phrases comme ça. Il me demandait aussi toujours : " Qu'est-ce que tu as mangé à midi ?"