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EAN : 9782917032619
108 pages
Les Ardents éditeurs (31/08/2015)
5/5   3 notes
Résumé :
La grande Histoire, celle que tout le monde connaît, c’est d’abord l’ascension de Mussolini dans l’Italie des années 1920 qui prive d’emploi ceux qui n’ont pas la carte du parti fasciste.
Les petites histoires, celles dont on entend plus rarement parler, ce sont les parcours de vie de tous ces anonymes, hommes et femmes, qui ont dû s’exiler, changer de vie, de langue, de pays... et qui ont trouvé refuge en France.
Nombre d’entre eux, tailleurs de pierr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« La compagnie le Chat Perplexe » est un collectif d'artistes qui a vu le jour en 2000 à Aubusson dans la Creuse. Sa vocation est la création de spectacles diffusés à travers toute la France. Mais le Chat Perplexe développe également des projets en lien avec le territoire plaçant la rencontre et l'humain au coeur de sa démarche artistique.
Cet ouvrage est une des réalisations d'un projet multiforme intitulé « Éclats de pierres, éclats de vies », qui a donné le jour à un spectacle « le Bal des Casse-Cailloux », une exposition sonore et photographique « le Fil de la Pierre » et un Sentier des Tailleurs de Pierre au départ de Sardent en cours de création… »

« S'émerveiller, c'est résister. »


Pourquoi ai-je choisi ce livre lors des Masses Critiques de Babelio ? …
Alors que je parcourais la liste des titres proposés, un peu fébrile dans les nombreux choix, mon coeur a bondi à « Italiens tailleurs de pierre en Creuse ». Une veille photo en couverture évoquait déjà pour moi une histoire. Pas une de celles qui sont racontées dans ce beau livre, non… mon histoire, mes racines.

En 1920, mon arrière-grand-père Giuseppe Begani a quitté un jour la commune de Palanzano de la province de Parme en Italie, pour aller à Calenzana en Corse, rejoindre quelques cousins. Il devait avoir une quarantaine d'années. Veuf, sa femme avait succombé à la grippe espagnole, il était seul à élever ses cinq enfants ; Luigi, Anghu, Pino, Genia (ma grand-mère) et Nita.
Tailleur de pierre, il a participé avec ses trois fils, à faire des routes, des ponts, des villages et des clochers. Ils ont laissé leurs empreintes et leurs souvenirs restent encore dans la mémoire de certaines personnes. Petite, j'étais si fière lorsque j'entendais parler de lui ! On disait qu'il était d'un grand courage, qu'il avait transmis à ses enfants des valeurs de respect et de travail… La cousine Angèle me confiait « Ça filait droit, avec le grand-père Joseph ! et ses enfants l'écoutaient ! ».
J'ai bien connu ma grand-mère Genia que j'ai beaucoup aimée. Mais femme discrète, d'une autre génération, elle ne m'a jamais parlé de son père. J'imagine que tout ce que j'admirais en elle, sa droiture, sa bonté, sa générosité, c'était lui, aussi.

Dans l'introduction du livre, Thierry Gaillard, maire de Sardent, évoque ces migrants venus du nord de l'Italie qui se sont installés à Sardent. Ils ont modelé la Creuse dit-il. C'était « les faiseurs de bordures de trottoir ». Je retrouve des mots qui symbolisent ma famille… solidarité, fraternité, courage, valeurs, humanité, et je suis sûre que cette lecture, je ne la ferai pas seule car je me sens déjà en compagnie des miens…

Ça ne parle pas de ma Balagne, mais des Italiens qui ont quitté leur pays pour s'installer dans le Limousin. C'était dans les années 20, pour la plupart, ils ont fui à cause de la montée du fascisme. Sur leur passeport la mention « Tendenza politica anarchica » signait un arrêt de mort, et sans carte du parti, ils ne pouvaient pas travailler. Les hommes, des tailleurs, des cogneurs de pierre et d'autres qui ne l'étaient pas, se sont réfugiés en France et ont trouvé de l'ouvrage dans les carrières et les chantiers. L'accueil ne fut pas toujours à bras ouverts car les « macaronis » parlaient une autre langue et prenaient la place des Français (rengaine connue). Mais leur courage et leur ardeur ne pouvaient que forcer l'admiration, et les portes closes se sont ouvertes…

Pour la plus part, ils venaient du nord de l'Italie, communes du Frioul et de la Vénétie.

Entre les pages, il y a l'écho des coups des masses et des coups des mines, il y a les petites histoires qui sont restées dans les annales, il y a la mémoire qui se transmet aux descendants, des photos, des anecdotes émouvantes, il y a Ettore, Marius, Angelo, Giovanni Batista…, les carrières du Maupuy près de Guéret, le chantier au Bois Chameau…, les accidents, le granit qui s'incruste dans la peau par des éclats, par des poussières, la silicose…, la musique, les bals, les chants qui cadencent le travail…, il y a… le mal du pays, cruel, que l'on tait… Dans « les petites histoires », on évoque aussi les marmites de pâtes, leur amidon qui serait bon pour les blessures, la sieste, le temps pluvieux en plein été, l'amour…

Amelia del Din, la seule femme qui témoigne, dit :
« J'adore danser mais la valse commence à me tirer la langue ! J'étais gaie quand j'étais jeune, et puis la vie nous gifle un peu trop fort, on change, hein, c'est vrai ? »

Ainsi débute la deuxième partie du livre intitulée « Portraits ». le photographe Ernesto Timor a pris le portrait des fils, les derniers cogneurs.
Pasquale Marchio et Marius Paties avaient à peine douze ans quand ils ont accompagné leurs pères pour apprendre le métier. Impliqués, ils l'étaient aussi dans la Résistance durant la guerre. le fascisme ne passera pas en France !
Troisième génération, Roland Bravin, fils d'Augusto, Daniel Delprato, fils de Stefano, et Robert Marchio, fils de Pasquale, ont vu le déclin de l'exploitation du granit, dans les années 60. le temps des tailleurs de pierre est fini et il faut se recycler. Quel plus bel hommage à leurs parents que de continuer autrement le métier ! C'est à l'École des Métiers du Bâtiment de Felletin qu'ils se perfectionnent. Daniel travaille pour les monuments historiques et Robert se spécialise dans la gravure, devenant Meilleur Ouvrier de France… Aujourd'hui, ils sont tous les deux professeurs de taille de pierre.

Les archives de la troisième partie sont celles des carrières du Maupuy. Les Italiens arrivaient d'abord en ces lieux mais n'y restaient pas toujours, car ils préféraient « partir dans les campagnes à la recherche des boules roulantes », plus au sud. Les « boules roulantes » sont des boules de granit dont les moitiés vont rouler à l'explosion de la mine. le travail était dur et la paye n'était pas en rapport. Seuls les hommes forts et aguerris parvenaient à effectuer la tâche. Sur les vieilles photos, le décor paraît immense, les hommes si petits !
Les témoignages de Marius Paties racontent aussi les chantiers au Bois Chameau, ceux à Château-Merle, et ceux au Bois du Clou… chaque famille avait son coin. Il met aussi à la disposition des auteurs, d'autres photos où son père et son oncle posent en compagnie d'autres tailleurs. Ils sont plus d'une dizaine, la chemise blanche, les manches retroussées sur des bras massifs, le regard pétillant, fier et un peu narquois. Ils ressemblent à des maquisards. Sur une autre photo, ils sont les bras croisés, assez impératifs. Puis sur une autre, ils ont la masse au poing, aussi beaux qu'un Marlon Brando ! Les photos se succèdent… des hommes et des roches…

Leur vie n'était pas que labeur ! il y avait aussi l'amour et les joies des bals. Banjo, mandoline, accordéon. Les photos sont belles avec ces familles qui s'agrandissent, ces unions qui réunissent deux cultures, deux pays.

Fais demi-tour… est une de ces « petites histoires » que je tiens à retenir. J'imagine le ravage que peut ressentir un homme qui a quitté son pays pour des raisons politiques.
« Fano Delprato n'est jamais retourné en Italie. Un jour, son fils Joël a réussi à décider son père de faire le voyage ensemble : les voilà partis en voiture. A l'approche de la frontière, il sent son père se crisper ; puis ça y est, ils sont en Italie. Moins de cinquante kilomètres après, Fano dit à son fils : « S'il te plaît, fais demi-tour… »
Joël a bien senti que ce n'était pas la peine d'insister, impossible de retourner là-bas. Ils sont revenus à Pontarion ; ils n'ont plus jamais reparlé de l'Italie. »

Ce très beau livre se suit avec un CD audio de « paroles collectées » par la Compagnie le Chat Perplexe. La voix du Duce est un prélude aux témoignages des derniers cogneurs. Ainsi tout a commencé, ils ont fui le fascisme et sont venus en exil en France pour faire un travail de bagnard. La musique s'infiltre dans la mémoire, les noms défilent. On nous invite à leur table et on les écoute… respectueusement, captivés, charmés. « Chacun avait sa zone… et que des Italiens… Rien que sur Sardent, cent Italiens !… Voilà tout ce qui c'est passé dans notre vie… Ils travaillaient toute la semaine et le dimanche, ils se lavaient et allaient au bal jusqu'à 5 heures du matin. Les filles aimaient danser… Ils ont fait des bagarres, beaucoup, toujours pour des filles… Les Italiens venaient nous inviter. On ne pouvait pas les refuser, ils dansaient tellement bien ! ». L'accent encore intact, la musicalité de la langue, douce et pleine de vie, et des souvenirs, des souvenirs, des émotions qui étreignent le coeur.

Ce livre, ces paroles, sont à partager car c'est notre Histoire. le CD audio se termine et je ne peux m'empêcher d'applaudir… Merci pour ce très beau livre.


Bella ciao

Una mattina mi son svegliata
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
Una mattina mi son svegliata
Eo ho trovato l'invasor

O partigiano porta mi via
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
O partigiano porta mi via
Che mi sento di morir

E se io muoio da partigiano
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
E se io muoio da partigiano
Tu mi devi seppellir

Mi seppellirai lassu in montagna
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
Mi seppellirai lassu in montagna
Sotto l'ombra di un bel fior

Cosi le genti che passeranno
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
Cosi le genti che passeranno
Mi diranno che bel fior

E questo é il fiore del partigiano
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
E questo é il fiore del partigiano
Morto per la libertà


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MASSE CRITIQUE 2016.
Voilà un livre très intéressant et passionnant sur un thème qui m'était jusque là totalement méconnu. Ces italiens, voir des familles Italiennes entières, venues dans la Creuse pour fuir la dictature de Mussolini, familles ou individu qui étant contre le mouvement, ont perdu tous leurs droits dans leur propre pays. On retrouve une actualité d'aujourd'hui avec une grande migration, mais, à cette époque la France avait besoin de main d'oeuvre et notamment dans la taille de pierre, et en ce qui concerne ces gens, cogner et tailler le granit afin de faire les bordures de trottoir dans nos grandes villes en pleine expansion. Les Italiens connus pour travailler la pierre et étant des maçons chevronnés, ces ouvriers étaient reçus à bras ouverts dans la Creuse réputée terre d'accueil, car même pendant la guerre bon nombre de familles s'y sont réfugiées.
Le livre est très bien fait, on ne se lasse pas de tourner les pages, découvrant de superbes photos d'archives.
Il commence par de petites histoires tantôt hilarantes, tantôt tristes ; histoires vécues et racontées par les Italiens eux-mêmes (voir citations). On continue ensuite par des portraits de gens importants de la communauté avec de belles photographies. La partie centrale du livre et la plus intéressante à mon sens sont les archives : la vie hebdomadaire du travail dans les carrières, dans les bois pour chercher les blocs de granit, les chantiers, les ateliers, les mariages, les bals, les fêtes et les naissances avec de très nombreuses photos d'époque absolument formidables...
Dans cette même partie des archives nous pouvons également prendre connaissance d'un véritable trésor : un carnet de travail de 1968 (kg de granit travaillé par jour) et un registre d'inscription de travailleurs étrangers ...
Une petite partie du livre par la suite retrace l'aspect technique du travail du granit puis conclu avec l'aspect historique de la migration.
Pour couronner ce superbe ouvrage l'auteur : La Compagnie Chat Perplexe à inséré un CD AUDIO avec des paroles collectées qui nous emmène au plus près de cette aventure. Au creux de ces voix se ressent une profonde humanité : des voix, des rires, des soupirs puis un fond musical...
J'adore ce livre, il va rejoindre ma Pal avec les meilleurs. Je vous conseil vivement de le découvrir car il va vous enrichir d'un tas de choses méconnues et oubliées.
Je remercie Babelio, la Compagnie Chat Perplexe (qui est un collectif d'artistes) et les Ardents Editeurs : vous m'avez comblée !!!!
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Ce magnifique livre, conçu comme un passeur de souvenirs, est l'un des éléments du grand et beau projet de la Compagnie le Chat Perplexe, "Éclats de pierres, éclats de vies", proposant également un spectacle, une exposition sonore et photographique et bientôt un sentier découverte au départ de Sardent, l'un des villages clés de l'arrivée des italiens en Creuse dans les années 30 pour la taille de granit destiné aux grandes villes françaises. Il propose des témoignages conçus comme des instantanés de vie décrivant le quotidien, le travail, les accidents aussi. Et puis des portraits de ceux qui ont cogné le granit souvent avec leur père, et de celles qui ont accompagné leurs maris, leurs fatigues, leurs blessures. Et on retrouve enfin des archives, prétextes à décrire l'activité dense et intense de l'extraction du granit. J'ai été particulièrement troublée par les photos de mariages, toutes ces familles et surtout tous ces regards... Enfin deux éclairages, l'un technique, l'autre historique, viennent clôturer cet extraordinaire mémoire de l'une des nombreuses pages du passé ouvrier de la France.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Bien avant l'ère des secouristes et de la sécurité sociale, voilà comment se soignaient les blessures du quotidien chez les Italiens : le tailleur de pierre qui pissait le sang s'éloignait, puis brûlait la blessure avec une cigarette ou même avec un outil de la forge ; le soir, en rentrant du chantier, le vrai remède consistait à baigner longuement la blessure dans ... l'eau des pâtes ! résultat garanti !
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Le granit qui émerge en Creuse, que ce soit au Maupuy ou bien autour de Sardent, appartient à une immense veine qui commence en Ecosse , traverse toute la France et va jusqu'en Grèce.
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Tous écoutaient le beau chant du pays au rythme du poinçon ; le patron vient à passer et lui lance : Change de chanson, parce que celle-là est trop lente, à ce rythme on va pas gagner grand-chose !
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