Publié vers 1872, 53 ans après
le Vampire de
Polidori, qui a lancé la mode du vampirisme dans la littérature et 25 ans avant le
Dracula de
Bram Stoker qui sacre définitivement
le vampire comme personnage de fiction,
Carmilla est donc une lecture incontournable pour tous les amateurs de vampires.
Je remercie d'ailleurs ma fidèle binômette Missie d'avoir sélectionné cette nouvelle, me permettant ainsi de continuer mon exploration de la littérature vampirique sous ses différents traitements ! ^^
L'histoire se déroule au XIXème siècle en Styrie, un land situé en Autriche. Laura et son père vivent dans un château isolé, à proximité d'un village abandonné où la famille de Karnstein, de triste réputation, a vécu. Elle a pour seule compagnie celle de ses deux domestiques françaises, Mme Perrodon la gouvernante, et Mlle de Lafontaine, la préceptrice.
Laura commence son histoire en racontant un cauchemar qu'elle a eu enfant et où une femme étrange mais belle s'approche de son lit. Cette vision lui laisse d'abord une sensation réconfortante et agréable, jusqu'à ce que l'enfant sente deux aiguilles s'enfoncer dans son cou. Cette expérience, ressentie comme réelle, laissera une impression durable dans l'âme de la jeune fille.
Puis, nous retrouvons Laura jeune adulte solitaire. Elle attend avec impatience la visite d'un ami de son père, le général Spielsdorf et de sa nièce, Bertha Rheinfeldt. Malheureusement, une lettre leur apprend la mort prématurée de Bertha, privant la jeune fille d'une compagne de son âge.
Peu après, lors d'une promenade nocturne, les habitants du château assistent à l'accident d'une voiture, semblant jaillir de nulle part.
De l'équipage sortent une dame majestueuse et sa prétendue fille. La dame, ayant des affaires urgentes à régler et craignant de continuer le voyage avec sa fille blessée et malade, persuade le père de Laura de la garder jusqu'à son retour dans 3 mois, en arrachant la promesse qu'ils ne cherchent pas à savoir leur nom ni leur origine.
Ce n'est que plus tard que Laura découvre que le visage de
Carmilla correspond à celui de son rêve. Malgré l'horreur de cette découverte, Laura ressent inexplicablement un mélange de profonde attirance et de répulsion à l'égard de cette femme.
Carmilla, de santé fragile, semble toujours faible. Elle s'enferme dans sa chambre dès la nuit venue et n'en ressort qu'en début d'après-midi. D'humeur mélancolique et changeante, elle exprime une affection très vive pour Laura.
Peu après, une étrange épidémie se répand à travers la campagne avoisinante : les femmes qui en sont atteintes meurent de langueur, après avoir rêvé être saisie à la gorge et étranglée. Laura commence à avoir des rêves semblables à celui de son enfance . Puis, à se sentir fatiguée et mélancolique. Effrayée à l'idée d'être frappée par la maladie inexpliquée qui sévit alentour, elle tente de cacher son état à son entourage... Jusqu'à ce que l'arrivée du général Spielsdorf lève le voile sur une vérité bien plus effrayante encore !
Bien que le lecteur du XXIème siècle, rompu aux codes vampiriques, devine immédiatement la nature exacte de
Carmilla, la nouvelle n'en est pas moins intrigante et intéressante, puisque le suspens se focalise du coup sur le dénouement de l'histoire : de quelles manières l'influence néfaste de
Carmilla sera-t-elle finalement contrecarrée ?
D'entrée de jeu, l'auteur campe un décor délicieusement gothique avec un château "aux multiples fenêtres, ses tours, sa chapelle gothique (...), une clairière pittoresque, de forme irrégulière ; à droite, un pont gothique en pente raide [permettant] à la route de franchir un cours d'eau dont les méandres s'enfoncent dans l'ombre dense des arbres." (page 6-7)
Ses descriptions sont parfois très poétiques et évocatrices, distillant habilement une atmosphère angoissante.
Que ce soit la scène précédant la rencontre avec
Carmilla, durant laquelle les habitants du château se promènent pour profiter "du merveilleux clair de lune" tout en admirant l'horizon au-dessus duquel "s'étendait mollement une mince couche de brume, légère comme une fumée, qui masquait les distances de son voile transparent" (page 14-15) ou les scènes évoquant à plusieurs reprises la forme bestiale revêtue par la jeune suçeuse de sang : "... je fis le guet jusqu'à une heure du matin environ. Alors, je vis une forme noire aux contours mal définis gravir le pied du lit et s'étendre rapidement jusqu'à la gorge de ma pauvre fille, où elle s'enfla rapidement en un instant pour devenir une grosse masse palpitante." (page 89-90)
Ainsi,
Le Fanu égrène tout au long du récit des indices sur la nature surnaturelle de
Carmilla, faisant progressivement monter l'horreur et la tension...
L'autre intérêt du récit réside dans la fixation de certaines caractéristiques du vampire : être doué d'une beauté inhumaine, sa séduction quasi hypnotique subjugue ses victimes, impuissantes à reconnaître le danger et fatalement attirées par lui ; sa capacité à changer de forme et à traverser les murs ; ses canines pointues lui permettant de sucer le sang de ses victimes ; sa nature de prédateur le poussant à traquer sa proie avec une persistance s'approchant d'une certaine forme de désir sexuel ; son besoin de se régénérer dans son cercueil (dans
Carmilla,
le vampire y baigne dans une mare de sang) ; la seule manière de le tuer définitivement est de lui couper la tête et de lui enfoncer un pieu dans le coeur.
Par contre, dans
Carmilla, bien que doté d'une pâle carnation et voué à des activités nocturnes,
le vampire n'est pas confiné au monde de la nuit, et peut se déplacer en plein jour, se mêlant à la société humaine d'une manière tout à fait normale.
Autre originalité du roman :
le vampire est ici une femme, ne s'attaquant qu'aux femmes dont elle tombe parfois passionnément amoureuse. Mais c'est un amour mortifère et possessif qui prive progressivement l'être aimé de son essence vitale. Les discours enflammés que
Carmilla adressent à Laura sont on ne peut plus explicite sur la nature et la violence de ses sentiments : "Parfois, après une heure d'apathie, mon étrange et belle compagne me prenait la main et la serrait longtemps avec tendresse ; une légère rougeur aux joues, elle fixait sur mon visage un regard plein de feu languide, en respirant si vite que corsage se soulevait et retombait au rythme de son souffle tumultueux. On eût cru voir se manifester l'ardeur d'un amant. J'en étais fort gênée car cela me semblait haïssable et pourtant irrésistible. Me dévorant des yeux, elle m'attirait vers elle, et ses lèvres brûlantes couvraient mes joues de baisers tandis qu'elle murmurait d'une voix entrecoupée : « Tu es mienne, tu seras mienne, et toi et moi nous ne ferons qu'une à jamais ! » Après quoi, elle se rejetait en arrière sur sa chaise-longue, couvrait ses yeux de ses petites mains, et me laissait toute tremblante." (page 30-31)
Pour conclure, grâce à une écriture et une progression narrative efficaces, l'auteur nous immerge complètement dans ce récit gothique à l'ambiance et à l'univers fantastiques subtilement retranscrites. Et audace pour l'époque qui mérite d'être soulignée : le lesbianisme est ici abordée à travers ses deux héroïnes ,
Carmilla et Laura.
Par contre, j'ai été un peu déçue de ne pas en apprendre davantage sur la prétendue mère de
Carmilla et ses domestiques qui l'aident à chaque fois à gagner les bonnes grâces de ses victimes. Dommage qu'on n'en sache pas plus sur leur rôle véritable...
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