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EAN : 9782701192666
288 pages
Editions Belin (20/05/2015)
4/5   1 notes
Résumé :
En 1974, l'écrivain dissident Alexandre Soljénitsyne fait imprimer en France son monumental Archipel du Goulag, dont il a réussi à faire sortir clandestinement le manuscrit d'Union soviétique. Ce récit terrible de son expérience de prisonnier dans les camps soviétiques lui vaudra d'être déchu de sa nationalité et contraint à l'exil, avant sa réhabilitation et son retour sous l'ère Gorbatchev. C'est à cette oeuvre que Lefort consacre, en 1976, Un homme en trop. «Du d... >Voir plus
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Ce commentaire est aussi un documentaire sur la vie intellectuelle dans les années 70. Quand l'Archipel est publié en 1973 à Paris, un compte-rendu du Conseil économique et Social sur le travail forcé en URSS (1949) est déjà connu depuis 25 ans, mais le PC est le premier parti politique en France et les intellectuels sont encartés comme Louis Althusser à Normale Sup, ou « compagnons de route » comme Jean Daniel au Nouvel Obs et Jean-Paul Sartre aux Temps Modernes. L'intelligentsia se met en marche pour nier les faits, pour les attribuer à la seule déviance de Staline l'« Egocrate » (les camps ont pourtant commencé sous Lénine « Nettoyer la terre russe de tous les insectes nuisibles » (cité p 67), et ils ont mollement régressé sous Khrouchtchev), et pour neutraliser Soljenitsyne comme droitier, ou pire, comme croyant.
Lefort défend Soljenitsyne : Soljenitsyne de droite ? mais où est donc la droite en URSS ? où sont les conservateurs, les réactionnaires, les confits en dévotion, les bien-pensants (comme lui-même les nomme si bien) ? Où sont les gens qui ne veulent pas la justice, sinon pour eux, quand ils se sentent menacés, qui sont assurés de la supériorité des supérieurs et de l'infériorité des inférieurs, ne tolèrent ni critique, ni encore moins opposition constituée, jugent l'ordre établi intangible, où sont les chauvins et les racistes, ceux qui font grief aux autres non seulement d'une action mais d'une pensée supposée non conformiste ? Eh bien ! ils règnent, ils sont au sommet de l'État, dans le Parti, occupent partout les premiers rangs de la société. Il contre-attaque avec une ironie mordante : Nos professeurs-militants ont le goût de l'autorité. Et ce sont de rudes chiens de garde. Quand on pense que Nizan a forgé le terme pour les universitaires bourgeois ! Que pourchassait-il alors ? Des toutous… A nous la race des molosses (p 108). Il analyse les mécanismes du totalitarisme et de sa curieuse tolérance par les intellectuels français.
Soljenitsyne a rapproché les massacres historiques et les crimes soviétiques : « L'imagination et la force intérieure des scélérats de Shakespeare s'arrêtaient à une dizaine de cadavres. Parce qu'ils n'avaient pas d'idéologie. L'idéologie ! c'est elle qui apporte la justification recherchée à la scélératesse, la longue fermeté nécessaire au scélérat… C'est ainsi que les inquisiteurs s'appuyèrent sur le christianisme, les conquérants sur l'exaltation de la patrie, les colonisateurs sur la civilisation, les nazis sur la race, les Jacobins (d'hier et d'aujourd'hui) sur l'égalité, la fraternité et le bonheur des générations futures. C'est l'IDEOLOGIE qui a valu au XXe siècle d'expérimenter la scélératesse à l'échelle des millions » (cité p 53). S'il apprécie l'éloquence de l'auteur, Lefort se garde de comparer l'intention génocidaire des nazis à l'intention soviétique d'exclure l'homme en trop, le mauvais élément. Il se garde aussi des comparaisons quantitatives (combien de millions de morts ?). Mais il relève chez les nazis et chez les soviétiques la même deshumanisation traduite par les mêmes euphémismes : « transports » pour déportation, « traitement » pour assassinat, « solution finale » pour génocide chez les nazis ; « organes » pour puissances de répression (c'est le terme officiel, mais Soljenitsyne préfère le « hache-viande »), « prophylaxie sociale » pour déportation, « mesure suprême de protection sociale » pour exécution chez les soviétiques. Selon Lefort, l'ennemi n'est plus figurable dans le monde de « la nature » comme le Juif, le Polonais, tel groupement ethnique, promis à l'anéantissement par les nazis – un autre identifiable, représentant la sous-humanité… Cet ennemi se définit nécessairement, à partir de sa propre image, comme le représentant de l'antisocial […], le porteur d'une altérité dont la menace est toujours à conjurer […]. Il faut aussi l'image de cet ennemi, de cet autre, pour soutenir celle du peuple uni, sans division. L'opération qui instaure la « totalité » requiert toujours celle qui retranche les hommes « en trop » ; celle qui affirme l'Un requiert celle qui supprime l'Autre. Et cet ennemi, il faut le produire, c'est à dire le fabriquer et l'exhiber, pour que la preuve soit là, publique, réitérée, non seulement qu'il est la cause de tout ce qui risquerait d'apparaître comme signe de conflit ou même d'indétermination, mais encore, qu'il est éliminable en tant que parasite, nuiseur, déchet (p 66). L'objectif est d'assurer l'occultation la plus efficace de la division sociale, pour donner l'image du bloc compact gouvernants-gouvernés, pour dissoudre tout élément particulier dans la généralité du social et annuler enfin la différence du politique, de l'économique, du juridique, du pédagogique, de l'esthétique… (p 92-3). Et pour dissoudre cet élément nuisible il faut non seulement l'exil en Sibérie, l'exclusion du monde réel, mais aussi l'anéantissement symbolique que seul assure l'aveu.
Le chapitre sur « Une idéologie de granit » confirme chez Soljenitsyne le sens de la formule mais ennuie chez Lefort, peut-être parce que nous avons oublié en 2016 « la Science Marxiste » et abandonné la lecture « des adhérents et des non-adhérents », de Boukharine, de Koestler, de Merleau-Ponty et de bien d'autres, abondamment cités. le dernier chapitre, « Avec des fissures », pose la question posée aussi à l'occasion du procès Eichmann : Pourquoi vous êtes-vous laissé faire ?, puis celle du « mystérieux embrasement des âmes humaines » (p 270), celles du tournant tardif des révoltes, des assassinats des bourreaux par les Zeks, celles de la violence, de la vengeance et du mal. Chez Lefort, les explications historiques priment : l'arrivée dans les camps de soldats trempés par la guerre, les rumeurs sur l'intervention américaine anticommuniste en Corée, la mort de Staline. Pour l'âme humaine, on lira plutôt Hannah Arendt.
Il n'empêche, cette lecture donne à réfléchir et prépare aux potentialités dangereuses et proches du Brexit, de l'enfermement de l'Europe, de Trump et de le Pen.
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