Aujourd'hui, papa a tué grand-mère.
Mathilde peut bien dire tout ce qu'elle veut, me raconter des contes en m'obligeant à rester dans la cuisine, me bourrer de tartines de confiture en invoquant un accident, un jeu qui aurait mal tourné, "mais tout va rentrer dans l'ordre mon chéri, il ne faut pas t'en faire", je sais ce que j'ai vu.
La face convulsée de mon père et ses yeux qui lançaient des éclairs.
Et le sursaut du fusil entre ses mains quand il a épaulé. Et les yeux stupéfaits de grand-mère avant qu'ils chavirent. Et le trou rond au milieu de son front.
On l'appelait le "Pati" . C'était une friche, une sorte de terrain vague, tout aussi vaguement caché par une haie de buissons miteux qu'une âme sensible avait plantée là pour éviter d'offenser le regard de ceux à qui la richesse avait fait oublier d'où ils venaient et qui s'offusquaient facilement de tout ce qui le leur rappelait. Alors effectivement, en passant le long du chemin, ils ne le voyaient pas, ce "Pati", mais ils le sentaient !
Hélène Legrais présente "Les Ombres du pays de la Mée"
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