Quinze nouvelles poignantes ou saisissantes, échos d'une civilisation crépusculaire.
Paru en mars 2015 aux éditions de la Table Ronde, dans la collection La Petite Vermillon, ce recueil permet de retrouver avec délectation, ou de découvrir, le talent de
Jérôme Leroy pour dire le regret des printemps insouciants, la nostalgie poignante face à l'ultralibéralisme et la marchandisation à outrance, et la persistance de l'amour et de l'espoir.
Voici un aperçu de quelques-unes de ces nouvelles mélancoliques ou drôles, âpres et désespérantes, à l'image de l'époque.
François Mareuil, personnage central du premier de ces contes noirs (Rendez-vous rue de la Monnaie), un ancien barbouze féru de poésie reconverti dans le business, ressemble au très attachant Berthet de «
L'Ange gardien». Son ancienne officine l'ayant lâché, ce tueur mélancolique d'un monde évanoui dans les dernières années du XXème siècle, se retrouve entre pris entre plusieurs feux dans les rues du vieux Lille, entre le désir de vengeance de son ancien mentor, et celui de revoir une femme qu'il a aimé.
«Il met ses lunettes noires, autant pour marquer une sorte de deuil du monde ancien que pour se protéger du miroitement cuivré de la façade lisse d'un grand hôtel pour nomades mondialisés.» (Rendez-vous rue de la Monnaie)
«C'est étrange, tout de même, Mareuil n'a que des souvenirs de soleil à Lille. Rêveuse bourgeoisie. Les terrasses, les places, les avenues, toujours légèrement ébloui, avec Pauline en lunettes de soleil, à côté de lui. Il traverse le carrefour, entre dans un bar-tabac où il a ses habitudes. Des lycéennes aux bras nus de Valentine-Labbé sèchent leurs cours. Des économiquement faibles sèchent leur RMI au Rapido. Des commerciaux cravatés sèchent sur pied en attendant que passe la récession. C'est un matin de printemps.» (Rendez-vous rue de la Monnaie)
Une très belle nouvelle inédite – quand une jeune fille amoureuse croise dans un printemps splendide et amoureux la trajectoire d'un avion de guerre et de ses bombes – rend hommage aux victimes de Guernica (Guernica ou les définitions).
En prolongation ou conclusion de «
La minute prescrite pour l'assaut», le beffroi de la bourse du Commerce Lille, ultime sentinelle d'un monde disparu, livre le dernier récit du destin d'une humanité engloutie par la folie du profit à tout prix (Moi, le beffroi).
Jouant avec les genres de l'horreur et du fantastique, comme dans ses «
Dernières nouvelles de l'enfer»,
Jérôme Leroy dresse un portrait saisissant des dérives inhumaines du capitalisme sauvage, dans DRZ, ou dévoile l'envers peu reluisant de la médaille de l'entrepreneur dynamique dans Enfer fiscal, tandis que le candidat Albemuth, dystopie dédiée à
Philip K. Dick, raconte comment la démocratie et le pouvoir politique ont été liquidés.
Saisissante d'actualité, 44 grammes est aussi un hommage footballistique et au «
Rouge ou mort» de
David Peace.
L'espoir égalitaire est vivace malgré tout et peut renaître même après une longue glaciation, comme dans la nouvelle post-apocalyptique Bankdefran, car le militant égalitaire a de la résistance (L'Histoire du militant qui ne vieillissait pas). La nouvelle éponyme qui conclut ce livre donne une piste d'antidote au désespoir et aux calamités contemporaines, le rôle de la littérature en somme et de celle-ci en particulier.
Un recueil inspiré, dur et émouvant.
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