Gagner son pain à la sueur de son front, ou n'être reconnu par le système que par ce que l'on produit, n'est qu'une conception bourgeoise, chrétienne, marxiste, bureaucrate syndicale. La vie est ailleurs.
Dans une société à construire (qui serait libertaire, sans classes ni État), il est certain qu'un grand nombre de produits fabriqués aujourd'hui ne se feraient plus, car basés sur la rentabilité et ne tenant pas compte de l'environnement. Mais, parce que nous ne vivrons pas tous dans de petits villages autarciques, il faudra bien continuer à fabriquer certains produits. Pour le confort et pour pouvoir nourrir le monde. Aussi, c'est dès à présent qu"il faut penser à "comment on produira". En autogérant des petites unités de production (les grosses unités étant obligatoirement inhumaines) ; en effectuant la rotation des tâches dans la population ; en abaissant le temps de travail (travailler deux heures par jour, trois mois par an, que sais-je ?) ; mais surtout en robotisant et en automatisant au maximum.
Aujourd'hui, l'automatisation, l'informatisation, la robotisation sont facteurs de détérioration des conditions de travail : suppression d'emplois, parcellisation, rythmes de travail, stress... C'est pourquoi il faut concevoir le côté libérateur de la technique, qui pourra permettre à tout un chacun de mettre la main à la pâte un minimum de temps pour tous et nous libérant tous du salariat.
... parce que militant "engagé dans le social" - et qui plus est libertaire -, je veux encore rêver qu'on se batte pour un monde sans classes, ni État, une société sans salariat, où l'on réfléchirait sur la consommation et la production, sur la façon de travailler. Où la production jugée socialement utile (en fonction des besoins) se ferait dans des unités non polluantes, basées au maximum sur des machines, sur l'automatisation et l'informatique. Et où, s'il faut quand même travailler, cela se ferait de façon autogérée, par rotation des tâches et pendant un minimum de temps (deux heures par jour, trois mois par an, voire moins...), parce que la vie est ailleurs que dans le travail. Mais c'est une autre histoire...
Saint-Étienne-du-Rouvray, septembre 2002
J'ai également connu des fermetures d'ateliers (dans l'industrie chimique, pour peu que nos décideurs ne trouvent pas assez de rentabilité, un atelier a une durée de vie assez limitée) mais j'ai toujours eu la chance d'être déplacé dans d'autres unités de production du même site. Là, c'est le drame, et la tension qui règne dans l'atelier est exacerbée. L'épée de Damoclès au-dessus des têtes des soixante personnes amplifie les conflits. C'est le contremaître qu'on envoie balader à la moindre occasion; l'ingénieur qu'on n'écoute pas; le travail qu'on effectue en traînant les pieds; le chapardage de tout ce qui traîne comme pour garder un souvenir de l'usine ou tout simplement son dû... Ce n'est pas encore le sabotage, mais les derniers jours de production seront difficiles. Et qu'on ne nous parle pas "d'amour du travail". Il y a longtemps que cette "étrange folie" nous a quittés. C'est le salaire qui fait tenir. Un point c'est tout.
C'est dans les statistiques : les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres. Qu'on n'incrimine pas seulement le tabac et l'alcool, le rythme et les conditions de travail y sont pour beaucoup. Il y a la pénibilité et la poussières, le stress, les multiples changements d'horaire de travail.
Pour les uns, c'est l'estomac qui se détraque, pour d'autres, le coeur, le dos qui devient fragile, les artères qui se bouchent, le sommeil qui n'est plus qu'un vague souvenir... La liste de nos maux est longue.
Marre. Il y a des jours, c'est pire que tout. On n'a pas envie d'y aller, parce que c'est pas ça la vie. On est loin d'être défini par ce que l'on fait à l'usine. Être salarié, c'est pas nous. Ici, on n'est pas grand-chose; la vraie vie est ailleurs, pas là, pas pendant ces huit heures perdues. La révolution industrielle a fait de nous des salariés, et parce qu'il y avait la sécurité de ce salaire qui tombe tous les mois en échange de notre force de travail, on s'est fait avoir.
Jean-Pierre Levaray : du racisme et du sexisme... .