New York, la Grosse Pomme. Surface. Belle et lisse, débordante de vie. Couleurs et lumières. Ville où tout s'agite, se bouscule, s'entrechoque. ville de chairs et de sang. Ville d'actions et de mouvements, où tout se perd et tout s'oublie.
New York, la Grosse Pomme. Souterraine. le fruit grouille de vers. Noire, blanche et sombre. Ville statique et silencieuse. Ville d'os et de poussière. Refuge des morts. S'y fige la vérité.
C'est là, à l'abri du tumulte et de l'effervescence du monde des vivants qu'opère Paul Konig, chef de l'Institut médico-légal de New York. Occupant les lieux depuis quarante ans, à déchiffrer les maux d'une société devenue immorale. C'est son domaine, son univers, il en connait le moindre recoin, il y est le maître (« Chaque fois que Konig accomplit cette descente, chaque fois qu'il pénètre dans cet abattoir, ce charnier qu'embrument, toujours plus épaisses, des vagues de miasmes putrides, il se sent submergé par l'impression bizarre, et pourtant parfaitement appropriée, qu'il rentre une fois de plus chez lui»).
A la tête de son équipe il rassemble, recompose, et déchiffre les corps mutilés, les corps démembrés ou déchiquetés. La vérité est mise à nue, crue, froide (« Tout est écrit là, sous les yeux du médecin, comme si les organes étaient une espèce de papyrus où s'inscrivent les hiéroglyphes absurdes de nos vies »). Car le médecin légiste est un expert, sa renommée est mondiale et son avis fait force de loi dans son domaine.
Mais Paul Konig est aussi un vivant. Son coeur bat encore. Pour sa fille, là haut, quelque part. Disparue depuis plusieurs semaines. Enfuie. Depuis la mort de sa mère. Depuis le reproche qu'elle en fait à son père. Un coup de téléphone, parfois, mais le silence comme seul interlocuteur. Les flics cherchent.
Le médecin est en effervescence. Les souvenirs remontent à la surface de sa mémoire. Sa femme emportée par un cancer, cette fille qu'il n'aura pas vu grandir, et qui ne lui pardonne pas d'être un médecin qui ne guérit pas. Chaque retour à la ville, à ce monde qu'il subit et ne maîtrise pas est pour lui une mise en péril.
Alors il s'enferme dans son travail, s'acharne jusqu'à l'épuisement à reconstituer les corps, à remonter l'histoire de leurs derniers instants. Dans ces salles d'autopsies, rien ne peut l'atteindre. Pas même la calomnie quand celle-ci risque de toucher son service, ni même la trahison d'un membre de son équipe prêt à tout pour lui prendre la place. Aussi froidement et méticuleusement qu'il dissèque, il supportera l'une et écartera l'autre.
Ce roman a reçu le Grand prix de littérature Policière en 1978. Si je ne me trompe pas, c'est le premier roman qui fait entrer de plain-pied la médecine légale dans l'univers du polar. La précision quasi chirurgicale de Lieberman à décrire le travail du médecin légiste dans ses moindres détails (le travail de recherche de l'auteur a du être phénoménal !) et à retranscrire l'atmosphère des salles d'autopsies reste à ce jour inégalé. Et ce n'est pas l'héroïne de
Patricia Cornwell, Kay
Scarpetta qui pourra venir concurrencer Paul Konig sur son terrain !
A travers 500 pages, et l'histoire de ce personnage atypique qu'est Paul Konig, un homme recraché par la vie, et avalé par les morts, c'est à la dissection d'une ville malade, New York, que procède
Herbert Lieberman. Et plus de trente ans plus tard, les maux d'hier restent les maux d'aujourd'hui.
Ce roman s'apprécie autant pour l'histoire qu'il rapporte que pour la science de la médecine légale qu'il narre au fil des pages. Un livre majeur, un classique du roman noir qui doit avoir sa place dans toute bonne bibliothèque de romans policiers qui se respecte.
Lien :
http://passion-polar.over-bl..