J-5
Vincent Livair, biologiste. J’ai soutenu une thèse en biologie cellulaire et en exobiologie. J’ai été recruté dans le cadre de la mission d’exploration internationale Beyond. Ce projet a pour but de tester les conditions de vie d’astronautes en isolement pendant deux mille jours. Nous serons cinq : la capitaine Alice Kingstone (Etats-Unis) ; les ingénieurs de vol Vassili Akhmenko (Russie) et Claudio Aquino (Brésil) – Claudio étant également chargé de cartographier les zones traversées ; la médecin et géologue Nan Jia Li (Chine) et moi-même. Nous nous dirigerons vers l’exoplanète KOI-423b en améliorant la cartographie du parcours, réalisant diverses expériences biologiques et recueillant le plus d’informations possible sur les exoplanètes potentiellement habitables.
La préparation à l’expédition a été très rude. Et je n’ai eu l’assurance ferme de ma participation au voyage qu’il y a quinze jours puisque nous étions, au départ, trente candidats pour quatre places… Exercices en centrifugeuse, tests d’endurance extrême mais aussi séquences d’isolement avec tortures psychiques inspirées, dit-on, de Guantanamo. Des vieux tubes des années 2000 à fond dans les oreilles avec lumières clignotantes et infrabasses saturées pendant des heures et des heures – je pense même des jours voire des semaines. Pour tester notre résistance. Il paraît que la désorientation endurée n’est rien à côté de ce que fait subir l’impesanteur. Ceux qui devaient craquer ont craqué. J’ai résisté, avec quelques migraines et troubles mineurs de l’équilibre. Et un dégoût de Madonna.
J’ai la chance d’avoir une excellente condition physique mais le challenge est également psychologique. En cela, cette expérience est une première très risquée. Pour mémoire, je rappelle qu’elle est motivée par la dégradation écologique irréversible actuellement au stade 4/5 de la Terre. Dans une trentaine d’années, tout au plus, il nous faudra avoir trouvé des solutions de survie extra-planétaire. Trente, c’est ce qui est officiellement annoncé. Puisque ce document est confidentiel, j’estimerai davantage ce laps à quinze ans. C’est très court au vu de nos avancées actuelles, justifiant des missions que d’aucuns qualifient de suicide. Je reste plus optimiste en parlant de danger calculé. Mes motivations : œuvrer à la survie de l’espèce, bien sûr ; mais aussi faire partie d’une étape historique de la post-humanité. Inscrire son nom dans le marbre lorsqu’il n’y en aura plus, en y songeant, ça a quelque chose d’absurde. Mais les plus grandes avancées de l’humanité ont eu besoin d’élans démesurés. (« Axolotls en impesanteur »)
Au bout de plusieurs jours, on perçoit qu’on sursaute souvent. Des personnes qu’on n’avait pas entendues arriver surgissent tout à coup dans notre champ de vision. Près, trop près. Leur haleine se pose sur la peau avant même que le regard ait pu atteindre leurs pupilles. Ces collègues ou supérieurs ne sont pas pieds nus ni chaussés de mocassins de sioux que l’on voit dans les westerns. Ils portent des chaussures de ville, fort classiques pour la plupart. Escarpins, babies, salomés, Charles IX, bottines, derbies, Richelieu, loafers, mocassins, boots. Reste donc à accuser le support qui se révèle soudain dans toute sa sournoise efficacité : la moquette. C’est elle qui transforme ses usagers en proies potentielles. La roue tourne : chaque prédateur peut devenir proie à la faveur d’une situation. Et vice versa. Le DRH à la parole trop libre espionné par le stagiaire répétant ses propos à l’assistant surpris par le directeur. Les fibres dissimulent une toile d’araignée extrêmement efficace, adhérente, sous l’aspect soyeux. Personne ne peut échapper à l’étouffement des pas. Tout le monde est relié par le poyamide et la teinte neutre. (« Le chant de la moquette »)
Marc Liblin comptait sans doute sur le Pacifique pour apaiser son destin. Hélas, cet homme pâle habité de mots qu’on ne lui a jamais appris est apparu comme une chimère, un démon, une malédiction débarquée sur l’île. Mystère en France, il resta mystère à Rapa, phénomène dont on se méfiait, signe d’un malheur imminent, symbole de ces dominateurs qui s’approprient tout, sans honte. On évitait sa route, il ne fallait pas croiser son regard et encore moins l’entendre proférer cette langue qui n’était pas la sienne, tout en l’étant. Au moins son anomalie conjuguée lui avait-elle donné l’amour. (« Umiki »)
Conférence de Laure LimongiUn nouveau cycle de conférences et lectures met en lumière des autrices oubliées de l'histoire littéraire, de l'époque classique au XXe siècle.Dans cette séance, Laure Limongi, autrice, éditrice et enseignante en création littéraire à l'École nationale supérieure d'arts de Paris Cergy se penche sur Hélène Bessette (1918-2000), pionnière du roman poétique.La conférence est accompagnée d'une lecture par Anaïs de Courson.