“Seul le présent comptait, j’en avais le sentiment, la conviction. Le plus important à mes yeux, c’était de vivre pleinement, de faire les choses de mes propres mains. C’était de vivre conformément à l’idée que je me faisais de ce qui vaut la peine d’être vécu ...en se gardant de trop imaginer par avance, de trop parler avant d’accomplir. Je ne comprenais pas encore que la méditation peut elle aussi pourvoir à nos exigences d’accomplissement, que l’individu peut concrètement “ agir “ tout en réfléchissant ou en écrivant . A cette époque , je croyais encore que mediter revient à se complaire dans un passé éteint, que c’était là le signe d’un reflux d’une energie vitale désormais incapable de vous faire aller de l’avant, le signe marquant le début de l’extinction .”
Je piaffais d'impatience. Tiens, ils n'ont pas viré franchement. Cette fois encore la barge est trop venue au lof. La trinquette, d'abord, ça claque trop...et le point d'écoute de grand-voile, avec son énorme poulie qui ébranle tout le vire-lof...
Le vent avait tellement forci lorsque je suis remontée sur le pont que j'ai dû me protéger la tête par un foulard. Seule la dérive au vent était abaissée, ce qui ne servait pas à grand-chose.
Encore une fois, Dooley serrait de trop près, risquait de mettre en panne. Puis il a mis la barre au vent, si bien que la rafale suivante nous a pris par le travers alors que nous n'avions plus d'erre. Tant d'effort exigé de la vieille barge a disjoint le bordage, et dans la cale l'eau a monté jusqu'au planchéiage. Il a fallu pomper.
Au bout de quelques jours j'avais pu constater que ma présence à bord était acceptée tant par son capitaine que par la barge elle-même. Pour ce qui concerne cette dernière, j'en avais eu la preuve formelle à dater du jour où elle avait renoncé, si je puis dire, à placer obstinément baux et barrots à hauteur de mon front, et où mes pieds avaient cessé de se cogner aux taquets, aux bittes et aux chaumards. Désormais je la connaissais suffisamment pour me diriger sans peine dans tous ses recoins en pleine nuit et examiner sans complaisance sa quille pourrissante sans craindre de la vexer. Il avait été décidé que nous traiterions sa lèpre à la poix navale.
Un tablier de cuir noir, patiné, ceignait ses hanches de sauterelle, et dans son long visage qui faisait songer à quelque visage du Gréco, seul le blanc de ses yeux luisait sous le masque de poussière. Il vous manipulait sans effort apparent la pièce de métal qu'il allait façonner pour en faire un collier de gui, maintenait fermement l'anneau rougeoyant du bout de ses longues tenailles, en travers de l'enclume, pour marteler d'un rythme nonchalant le fer attendri. Et quand la pièce incandescente grésillait dans la cuve d'eau, nous nous regardions.
Pour la première fois j'avais l'occasion d'admirer de près le Britannia, le yacht de la famille royale, qui à cette époque n'était pas encore gréé en Marconi. Au moment où nous l'avons rangé, le colonel a donné l'ordre de hisser le pavillon bleu. Je pouvais lire au passage les noms de superbes voiliers - La Carlotta, la Dolphina - et ce fut là pour moi l'occasion d'apprendre que tout yacht qui se respecte se doit de porter un nom de baptême se terminant par la lettre "a".
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Quelle bourlingueuse suisse a aussi bâti une oeuvre littéraire de tout premier plan ? Aventurière et pilier de la littérature de voyage ?
« La vagabonde solitaire », d'Ella Maillart, c'est à lire en poche chez Payot.