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3,92

sur 1155 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Comment développer une sensibilité française quand on grandit en Union soviétique après la seconde guerre mondiale ? Ce destin improbable, c'est la vie romancée de l'auteur. Enfant, il a reçu la langue française en héritage auprès de sa grand-mère maternelle comme un jeune arbre reçoit une greffe, et sa vie s'en voit modifiée à tout jamais. Cela nous est conté à travers un récit raffiné, à l'écriture délicate, mais qui laisse parfois place à des passages crus sinon cruels.
Le narrateur apprend le français à travers les souvenirs personnels de cette grand-mère adorée, née à Neuilly-sur-Seine : le Paris de la Belle Époque, l'inondation de 1910, la visite du tsar, les temps de la première guerre mondiale ; il rêve de ce monde inconnu, aussi vaporeux qu'une Atlantide, dont il découvre des parcelles dans des poèmes, des photos jaunies ou de vieilles coupures de journaux. Les hasards de la vie ont égaré cette femme à la personnalité rayonnante quelque part au fin fond des steppes sibériennes, nous ne saurons jamais pourquoi elle a choisi d'y rester. L'histoire familiale se déroule sur fond de révolution bolchevique avec ses prolongements de terreur stalinienne et de normalisation soviétique. le narrateur comprend en grandissant que la langue bizarre parlée par sa grand-mère n'est pas une simple excentricité mais un vrai langage, un fil d'Ariane, une clé qui lui ouvre la porte d'un univers dans lequel il se lance avec passion, dévorant tout ce qu'il trouve dans les bibliothèques. Il s'instruit et se documente, s'imprégnant définitivement de la culture française et de son histoire.
Cependant, sans qu'il en prenne vraiment conscience, la greffe française l'isole des siens, il se replie sur lui-même. Avec pour résultat qu'à l'adolescence, rejeté par ses camarades et confronté à la brutale réalité de la Russie soviétique, il doit se réveiller de cette illusion française. Il ne veut plus vivre entre deux mondes, il reproche à sa grand-mère de l'avoir "enfermé dans ce passé rêvé" en ayant fait de lui "un étrange mutant, incapable de vivre dans le monde réel". Il se révolte et revendique son identité russe, il lui faut expulser la greffe pour étouffer "ce second coeur" dans sa poitrine. Ce n'est qu'alors qu'il entrera dans la vie et connaîtra ses premières expériences. Il lui faudra du temps pour se réconcilier avec lui-même. Un jour, il décide de retourner vers sa grand-mère pour affronter son alchimie des souvenirs qui "transmute le passé". Lors de cette rencontre, il réalise qu'elle n'a que rarement l'occasion de parler sa langue d'autrefois et que sa solitude fait écho à la sienne. Une fois encore, il est ébloui par elle. Il finit par retrouver la sérénité en acceptant ses deux identités, russe et française. Quelques années plus tard, il fuira l'URSS pour venir vivre en France. J'ai été moins intéressé par cette dernière partie du livre mais c'était probablement inévitable, un regard adulte sur la réalité de la France contemporaine ne peut soutenir la comparaison avec la vision idéalisée d'une Atlantide parisienne sortie des limbes du souvenir.
Au-delà d'une histoire particulière, on trouve dans ce récit une réflexion émouvante sur le rapport de l'imaginaire avec la réalité, et la part de la transmission dans ce qui constitue notre identité. On a pu écrire que la mémoire représente le thème majeur du roman français. Ode à la langue et la culture françaises, cette oeuvre en est une magnifique illustration. Il est permis de se demander ce que l'académicien Makine pense aujourd'hui de ses confrères en habit vert dont les mérites littéraires paraissent parfois bien éloignés de ce qui l'a tant fait rêver.
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Makinemania, épisode 3.
Oui, ces temps-ci je poursuis avec insistance la découverte de cet auteur unique. Ça me chiffonnerait du coup de passer pour une obsessionnelle monomaniaque mais force est de constater qu'à nouveau l'enchantement est là.

« Le testament français », c'est la base. Celui par lequel, en 1995, tout est arrivé. Prix Médicis, prix Goncourt, Goncourt des lycéens. Trio gagnant à lui tout seul. Pour ma part ces distinctions me passent un peu au-dessus du cigare, mais quand cette année-là elles précèdent, comme par hasard, la naturalisation d'Andreï Makine sollicitée en vain cinq ans auparavant, ben moi je dis youpi carrément.

Né en Russie à la fin des années cinquante, réfugié politique trente ans plus tard, Makine aura donc dû endurer plusieurs années difficiles avant d'être enfin reconnu par cette France qui le fascine et dont il a d'emblée adopté la langue pour l'ensemble de son oeuvre. La faute à Charlotte (merci Charlotte) qu'il nomme sa grand-mère, originaire de Neuilly-sur-Seine (personne n'est parfait), dont l'énigmatique et attentive présence, les souvenirs et la culture, auront façonné pour toujours l'existence et la sensibilité du jeune Andreï.

Empreint de cette double identité culturelle, l'omniprésente mémoire de Charlotte pour guide idéal, « Le testament français » se déploie à la manière d'un songe où, avec pudeur et lucidité, le narrateur transcende de longues et bouleversantes bribes de son parcours et de son imaginaire prodigieusement fertile, merveille d'intuition émotionnelle et de pure poésie.

La base moi j'dis.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Qu'est-ce qui fait notre identité, semble nous demander Makine dans ce livre merveilleux, aérien, complexe, raffiné qui a engrangé tant de prix…et qu'à ma très grand honte je n'avais pas lu jusqu'ici ?

Est-ce une famille, une enfance, un pays, une langue maternelle ?

Ou est-ce plutôt un fin réseau de souvenirs rêvés plus que vécus, l'incantation d'un livre lu le soir sur un balcon, ouvert au vent de la steppe, la voix d une grand-mère chérie et doublement lointaine- par ses origines, françaises , et par son lieu de vie, une petite bourgade sibérienne perdue au bout du monde- dont la silhouette tutélaire et bienfaisante se découpe sur la toundra, et qui lit Nerval ou Baudelaire en français, et compare leur traduction en russe, sont-ce de vieilles et mystérieuses photos, soigneusement conservées dans une malle, ou des anecdotes parisiennes pleines d'exotisme et de piquant ?

La réponse est dans la question.

Rien n'est simple, pourtant.

La "francité choisie" du jeune narrateur est son identité rêvée, son identité d'élection mais faute de pouvoir la partager, elle l'isole des autres petits Russes, fait de lui un objet de moquerie, de rejet. Plus tard, ce repli linguistique et culturel devenant insupportable, avec la tension et l'excitation des désirs adolescents, il la rejette, se sent et se veut russe..

Mais une langue, une culture épousées dans l'enfance et dans l'ombre d'un être aimé, cela ne s'abandonne pas comme une mue de serpent…

Dans une langue –française- lumineuse, légère, subtile, presque proustienne parfois, Makine -ou plutôt son narrateur- raconte ce périple culturel et linguistique passionnant.

Qu'on se rassure : jamais le récit ne devient abstrait, intellectuel ou pédant : il est émaillé de scènes intimistes, croquées avec délice, de scènes effrayantes aussi – qui s'inscrivent , en arrière-plan,dans la fresque historique où se déploie la grande Russie.

Celle-ci vit de toute la force de son incroyable résistance, de son inépuisable résilience. On voit passer toutes ses épreuves – la guerre, la révolution, la terreur stalinienne, la guerre encore, la normalisation difficile…- derrière les récits de la grand-mère, Charlotte, Française devenue Russe par amour et par choix –au point de traverser, en pleine guerre et à pied, toute l'étendue qui la séparait de sa mère, au fin fond de la Sibérie !

Mais surtout, même si le jeune narrateur- un avatar romancé de Makine- est parfois égratigné avec humour pour sa naïveté et son égoïsme, c'est le personnage de Charlotte qui jaillit de ces pages avec une merveilleuse netteté, un charme et une force inoubliables .

Belle, cultivée, tendre, forte, toute en retenue et en contrôle de soi, profondément authentique et sincère - et si confiante dans sa relation avec son petit-fils , elle est vraiment l'âme du récit.

Elle éclaire, quand il faut, le jeune garçon, s'ouvrant à lui sans l'envahir, l'enrichissant sans le noyer, et elle lui délivre, par-delà la barrière sombre de la mort, le permis d'être ce qu'il a rêvé , en le libérant de pesants secrets qui vont lui permettre de vivre, d'écrire.

Chant d'amour à une langue et à une culture, ce livre poétique et puissant est aussi –est surtout ? - un chant d'amour à celle qui a permis cet envol, cette mutation, ce choix parfois douloureux.
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Ce livre m'a émue, éblouie.L'écriture est dense, délicate, poétique, même lorsqu'elle évoque des épisodes sanglants, peu supportables, des époques de guerre ou de trouble, en Russie.L'histoire revêt un caractère autobiographique et n'en est que plus touchante.

La grand-mère, Charlotte,au centre du récit, est un personnage magnifique de vie, d'intensité, de fusion avec la nature, malgré toutes les douleurs endurées.Parmi les images évocatrices de cette grand-mère charismatique et à l'aura puissant, en voici une que j'aime tout particulièrement: " L'étroit balcon de Charlotte planait dans le souffle épicé de la plaine, à la frontière d'une ville endormie, coupée du monde par l'éternité des steppes.Chaque soir ressemblait à un fabuleux matras d'alchimiste où s'opérait une étonnante transmutation du passé."

Le narrateur est intéressant dans ses déchirements intérieurs entre la langue russe et le français grand-maternel, entre deux mondes différents.Cet adolescent qui rêvait la France et la découvre, dans sa réalité, à l'âge adulte, va avoir une révélation finale surprenante, concernant ses origines...

L'auteur russe rend un hommage personnel vibrant et unique à cette langue française qu'il manie avec grâce et magie." Elle palpitait en nous,telle une greffe fabuleuse dans nos coeurs, couverte déjà de feuilles et de fleurs, portant en elle le fruit de toute une civilisation.Oui, cette greffe, le français."

Un livre inspiré et inspirant, une ode à la vie, à la beauté des choses, des êtres, de leurs rêves, où Russie et France se mêlent, dans un tourbillon d'émotions qui nous transporte et nous ravit...
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S'il est français, ce testament transmet surtout une langue écrite magnifique et peu commune, érigée par le narrateur au gré de ses tergiversations identitaires entre la Russie et les récits de sa grand-mère Charlotte, à la valise pleine de souvenirs de France. Depuis son petit balcon russe où elle se raconte avec l'immensité de la steppe en lisière, le frisson, l'émotion et la nostalgie miroitent au firmament de l'indicible, par la magie d'une prose céleste. "L'indicible ! Il était mystérieusement lié, je le comprenais maintenant, à l'essentiel. L'essentiel était indicible. Incommunicable. Et tout ce qui, dans ce monde, me torturait par sa beauté muette, tout ce qui se passait de la parole me paraissait essentiel. L'indicible était essentiel."
Un roman difficile à résumer, l'histoire en elle-même n'a pas vocation de voler la vedette à la belle Charlotte, encore moins à la langue dont il dessine les contours d'un hymne vibrant. Pourtant le récit, ou plutôt les histoires dans le récit (celles du narrateur et sa famille, dont Charlotte) agrémentent la lecture du sel romanesque nécessaire.
Mais rien n'y est gratuit, la narration suit son cours (parfois tortueux), le style et la langue élèvent et suggèrent.
C'est beau, c'est virtuose.
(et c'est à lire bien sûr)
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Il y a quelque chose de Romain Gary chez Andreï Makine, peut-être parce que l'aube de la vie détermine la suite, peut-être parce que l'amour de la France et de sa langue est là, et sans doute aussi peut-être parce que la beauté de l'écriture entraîne le lecteur. Quoi qu'il en soit, Andreï Makine, nous raconte une histoire différente.
Le narrateur égrène ses souvenirs dans l'ordre où ils lui viennent et même si c'est parfois un peu confus, je me suis laissée prendre au jeu des évocations, sachant qu'il s'agit d'un roman autobiographique. L'auteur ne cherche jamais à émouvoir le lecteur, il raconte des faits tels que le narrateur les a vécus, bien plus préoccupé de l'impact de sa culture française sur sa vie que de l'histoire soviétique.
L'écriture, magnifique, sublime les souvenirs

Lien : https://dequoilire.com/le-te..
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Roman autobiographique romancé de la jeunesse de l'auteur, Andreï Makine, qui soulève avec intelligence la difficulté de la biculturalité, ici russe et française et le legs d'une culture, la transmission de connaissance. Sous sa plume délicate, poétique, dans un style direct et d'une grande richesse l'auteur nous offre un récit époustouflant. A travers son regard, nous découvrons tour à tour une France romantique et romanesque déjà disparue quand il en reçoit le témoignage par Charlotte, sa grand-mère française, et une Russie dure et rude mais pourtant aimée et admirée de son peuple (paradoxe que j'avais découvert dans « La Fin de l'homme rouge » de Svetlana Alexievitch). Une lecture rendue très émouvante par sa relation avec Charlotte et passionnante par ses aspects psychologiques et cette Russie où s'entremêlent, indissociables, l'historique et le quotidien. Un livre à ne surtout pas manquer.
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Que j'aime cet écrivain ! Peut-être est-ce parce que j'ai vécu un peu en Russie et qu'il y a chez lui cette francité et cette russité qui m'ont toujours envoûté ?
- le testament français -, Prix Goncourt ( +lycéens ), Prix Médicis, est un roman autobiographique, auto-fictif où l'on retrouve à peu près tout ce que nous connaissons de la vie de ce jeune académicien.
Son enfance en Sibérie, au coeur de "l'empire" ( URSS ), sa "grand-mère" Charlotte Lemonnier qui va lui donner le goût de la langue française, une double culture... sorte d'hémiplégie identitaire, et ce en traversant à la fois en France et en Russie presqu'un siècle d'histoire.
C'est un très beau livre, écrit avec un esprit slave imprégné de cette francité à laquelle j'ai déjà fait référence, et une des plus belles plumes françaises imbibée de cette russité déjà évoquée.
Une des forces de Makine, dans ce livre comme dans d'autres, c'est de savoir qu'on ne peut vraiment aimer que ce que l'on est capable de bien châtier.
En l'occurrence, c'est, dans ce roman, parfaitement réussi.
PS : j'ai mis 4 étoiles et pas 5... je n'arrive pas à rectifier !
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L'auteur évoque ses souvenirs des récits de sa grand-mère chez qui il passait tous les étés de son enfance en compagnie de sa soeur, à Saranza, en Russie, en lisière de la steppe. Née en France, elle évoque régulièrement les événements qui ont marqué le début du 20ème siècle et qui se sont mêlés à sa propre histoire et qui ont relié celle de la France à la Russie, dans la sonorité d'une langue, le français, qu'ils croient alors un patois de famille. Revenue en Sibérie à l'âge adulte, elle connaît la famine de 1921, le cannibalisme dans les villages de la Volga, puis la guerre, le fiancé perdu, les samovars : ces jeunes soldats-troncs sans bras, sans jambes. Adolescent, le narrateur veut se débarrasser de ses origines françaises qui le gênent, cette étrangeté que ses camarades de classe rejettent, cette solitude et cette étrangeté qui l'encombrent, la France : cette illusion d'un paradis, un mirage. La Russie est monstrueuse et pourtant, il se sent profondément russe. Déchiré dans ses sentiments contradictoires, il finit par se réconcilier avec ses deux identités et se réfugie dans les livres, dans la magie des mots ; il rend hommage à cette langue qui l'enchante et qui le relie pour toujours à sa grand-mère adorée, conteuse hors pair, détentrice de bien des secrets. Un livre d'une grande beauté, très poignant, nostalgique. Chaque phrase est un bijou.
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2ème ouvrage que je lis de cet écrivain,j'avais lu: l'archipel d' une autre vie,que j'avais beaucoup aimé ( voir ma critique).
C'est en écoutant un extrait de Spartacus ,d'Aram Katchaturian ,que j'écris cette critique.
C'est avant tout un roman intimiste, j'ai mis du temps pour le lire,rôle de mamie oblige,je ne lisais que le soir,mais ces quelques pages tournées le soir dans mon lit,furent un vrai bonheur.
Le narrateur est un enfant: c'est le petit-fils qui nous raconte les soirées passées en compagnie de sa grand-mère Charlotte ,sur un balcon pendant les vacances d'été ,en Russie à Saranzo .
Charlotte est française et n'a de cesse de raconter ses souvenirs de France ,à ses petits-enfants qui du reste maîtrisent aussi bien le Français que le Russe.
Mais le petit-fils oscille et est partagé entre les deux cultures bien différentes de ces deux pays.De ces récits il se forge une vision très mythique de la France.
Un superbe récit ,un style très maîtrisé et imagé ,on est ,sans effort plongé dans cette histoire,à conseiller pour vos vacances j'ai beaucoup aimé .⭐⭐⭐⭐
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