Après 10 rêves de pierre, j'ai continué sur ma lancée de lectures de recueils de nouvelles, mais des nouvelles étrangères, ce coup ci, avec
le Mur de mémoire, un recueil de 6 nouvelles, édité chez Albin Michel et écrit par un certain
Anthony Doerr que je ne connaissais pas, bien qu'il ait été sélectionné par la revue Granta comme l'un des meilleurs jeunes auteurs écrivains américains, et qu'il ait déjà publié, toujours chez Albin Michel , 2 autres recueils,
le nom des coquillages en 2003 et A propos de Grace en 2006.
Comme pour le recueil de Blandine le Callet, les 6 nouvelles ont un fil conducteur, une thématique en commun, celui de la mémoire et de l'importance de se souvenir, ainsi que ce lien fragile entre les hommes, la matière d'une vie et le manque qui s'installe peu à peu lorsque l'on perd certaines choses.
La première nouvelle qui donne son nom au recueil nous donne le ton des autres nouvelles qui suivront. : En Afrique du Sud, dans un monde un peu futuriste, on peut désormais revivre ses souvenirs encapsulés. Une manière de tromper la mémoire défaillante et oublieuse. Les capsules étant revendues au marché noir, elles permettent de s'introduire dans l'intime d'inconnus, de vivre soi-même des moments qui ne sont plus. le personnage principal, une personne âgée, Alma, se voit ainsi revendre ses propres réminiscences, tandis qu'un margoulin tente de les utiliser pour retrouver un fossile de grande valeur.
Voilà une histoire d'une petite centaine de pages,, à la limite du roman d'anticipation, profondément originale et au ton singulier et assez épatant, à l'image du livre dans son ensemble et qui, je le répète, va tourner tout autour du pouvoir et de l'importance de se souvenir, des belles choses, et des moins belles également.
D'ailleurs, en préambule de ce recueil , figure une citation de Luis Buñuel qui insiste ( je la vulgarise un peu, j'ai la flemme de la reproduire, je sais c'est pas bien) sur la nécessite de cette mémoire sans qui nous ne serions rien.
Et ce précepte servira de fil rouge à l'ensemble de ces histoires, avec l'idée sous-jacente que la mémoire n'est pas un empilement de souvenirs mais une sorte de matière vivante qui, à l'instar d'un minerai précieux, pourrait être engloutie ou au contraire exploitée. Et le livre pose ainsi de belles questions, comme celle ci, page 140 ( allez finalement je l'ai repris mon cher livre) : "Où vont les souvenirs une fois qu'on a perdu la capacité de les conjurer ?"
De l'Afrique du Sud à la Lituanie, de l'Allemagne nazie à la banlieue de Cleveland, le livre d'
Anthony Doerr est un voyage troublant dans l'espace et dans le temps. le temps de la mémoire qui relie, comme un fil fragile, les personnages de ces six nouvelles, tous hantés par la perte ou la résurgence de leur passé, et confrontés à ce manque vertigineux de ce qui a été mais n'est plus.
Ma nouvelle préférée est certainement la toute dernière du recueil, intitulé La Vie posthume, où mémoire individuelle et collective sont mélangés d'une bien élégante façon. On se trouve ici plongé dans l'Allemagne nazie et les douloureux souvenirs d'Esther qui revoit lors de crises d'épilepsie ses jeunes amies juives allemandes. Cette nouvelle - et ce roman en entier- insiste sur la nécessité d'entretenir cette mémoire collective afin qu'elle ne disparaisse pas avec les derniers survivants. Joli principe, n'est ce pas?
Le style , dense, émouvant et fluide, confère une vraie mélancolie et un vrai mystère à ce très beau recueil que je vous conseille plus que vivement.
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