Vous ne connaissez pas mon visage de nuit
Mes yeux tels des chevaux fous d'espace
Ma bouche bariolée de sang inconnu
Ma peau
Mes doigts poteaux indicateurs perlés de plaisir
Guideront vos cils vers mes oreilles mes omoplates
Vers la campagne ouverte de la chair
Les gradins de mes côtes se resserrent à l'idée
Que votre voix pourrait remplir ma gorge
Que vos yeux pourraient sourire
Vous ne connaissez pas la pâleur de mes épaules
La nuit
Quand les flammes hallucinantes des cauchemars réclament
le silence
Et que les murs mous de la réalité s'étreignent
Vous ne savez pas que les parfums de mes journées meurent
sur ma langue
Quand viennent les matins aux couteaux flottants
Que seul reste mon amour hautain
Quand je m'enfonce dans la boue de la nuit
La cuirasse
Quand la guerre pleuvra sur la houle et sur les plages
J’irai à sa rencontre armée de mon visage
Coiffée d’un lourd sanglot
Je m’étendrai à plat ventre
Sur l’aile d’un bombardier
Et j’attendrai
Quand le ciment brûlera sur les trottoirs
Je suivrai l’itinéraire des bombes parmi les grimaces
de la foule
Je me collerai aux décombres
Comme une touffe de poils sur un nu
Mon œil escortera les contours allongés de la
désolation
Des morts brasillants de soleil et de sang
Se tairont à mes côtés
Des infirmières gantées de peau
Pataugeront dans le doux liquide de la vie humaine
Et les moribonds flamberont
Comme des châteaux de paille
Les colonnades s’enliseront
Les astres bêleront
Mme les pantalons de flanelle s’engloutiront
Dans l’espace géant de la peur
Et je ricanerai dents découvertes violette d’extase
dithyrambique
Hystérique généreuse
Quand la guerre pleuvra sur la houle et sur les plages
J’irai à sa rencontre armée de mon visage
Coiffée d’un lourd sanglot
Croissant de brume
extrait 2
Comme une gaine
Le jour meurt épinglé sur le mur
Et moi dans mon lit
(Ne t’agite pas sur ta chaise)
Mes pieds sont des glaçons qu’aucun son ne fracassera
Mes jambes ont oublié leurs sauts dans la prairie
Seule ma bouche souffre encore et tremble
Mais qui entend les cris d’une langue platement inerte
Dehors le soleil crève le cœur de la dernière flaque d’eau
Là dans le parc où je rampais enfant
Timide comme une limace mais cambrée de ruse
Et heureuse quelquefois
Vos yeux viennent aux nouvelles
S’éternisent sur mon nez valsants inquiets
Incapables de comprendre
Déjà vos pas traînants s’éloignent sur le gravier
C’est bien
Je tomberai comme une feuille
Seule digne et sans maquillage
C’est gênant d’agoniser quand les parents veulent parler
Le râle même profond est souvent débraillé
Croissant de brume
extrait 1
Malade malade
Sur mon lit de mort toujours frais
Telle une mouche sur un fromage blanc
Je me console à l’idée que vos yeux me survivront
Qu’ils recaresseront nos animaux faméliques
Qu’ils reverront nos plages
Et que les cheveux des fillettes au fond de l’eau grise
Qui se balancent et se pavanent au passage des poissons
Charmeront comme toujours vos prunelles vinifères
Je pense en souriant à vos yeux à leurs regards sans adresse
Ni excédent de larmes
Vos yeux qui se reposent là sous mon drap comme une bouillotte
ancienne
…
Vous ne connaissez pas…
Vous ne connaissez pas mon visage de nuit
Mes yeux tels des chevaux fous d’espace
Ma bouche bariolée de sang inconnu
Ma peau
Mes doigts poteaux indicateurs perlés de plaisir
Guideront vos cils vers mes oreilles mes omoplates
Vers la campagne ouverte de ma chair
Les gradins de mes côtes se resserrent à l’idée
Que votre voix pourrait remplir ma gorge
Que vos yeux pourraient sourire
Vous ne connaissez pas la pâleur de mes épaules
La nuit
Quand les flammes hallucinantes des cauchemars
réclament le silence
et que les murs mous de la réalité s’étreignent
Vous ne savez pas que les parfums de mes journées
meurent sur ma langue
Quand viennent les malins aux couteaux flottants
Que seul reste mon amour hautain
Quand je m’enfonce dans la boue de la nuit
Joyce MANSOUR – La femme surréaliste (France Culture, 2005)
L’émission « Poésie sur parole », par André Velter, diffusée le 4 septembre 2005.