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Nina Berberova (Traducteur)Mina Journot (Traducteur)Luba Jurgenson (Éditeur scientifique)
EAN : 9782358730211
781 pages
Le Bruit du Temps (26/10/2010)
4.46/5   23 notes
Résumé :
Enfin publié ici dans son intégralité pour la première fois au monde et sous son titre original, Voyage au pays des Ze-Ka est l'un des plus bouleversants témoignages jamais écrits sur le Goulag. Le livre était paru en France en 1949 sous le titre La Condition inhumaine, bien avant les chefs-d'oeuvre de Soljenitsyne et de Chalamov. Cet hallucinant récit de cinq années passées dans les camps soviétiques ne le cède en rien à ceux de ses célèbres successeurs, ni pour la... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Coupable … de rien !


Julius Margolin dénonce, dans la première partie de son livre, l'absurdité des régimes totalitaires et les conséquences catastrophiques pour les populations.


Absurdité lorsque la nationalité polonaise n'est plus reconnue par les Soviétiques après qu'ils se soient partagé le pays avec les Allemands.

Absurdité lorsque son statut d'étranger (il vit en Palestine et se trouve en voyage en Pologne) n'est pas reconnu et qu'on lui demande, à lui comme aux polonais, de choisir entre devenir Soviétique ou partir dans la partie allemande de la Pologne...

Absurdité lorsqu'il voit d'un côté des populations qui fuient devant l'avance Allemande et ceux qui, inversement, fuient les Russes.

Absurdité, encore, lorsqu'il raconte le destin de ceux qui sont restés, comme ses parents, et qui, si ils ont survécu sous le joug nazi, seront considérés comme traîtres par les Russes et déportés en masse.


Son récit est teinté de colère et parfois de haine, mais comment ne pas en éprouver après avoir subi la disparitions de ses proches ?
C'est un homme révolté qui raconte la bêtise humaine, la folie des hommes et la misère qu'elle entraîne.


Dans la seconde partie de son ouvrage, c'est un ton plus posé, l'auteur se veut précis dans la description de ses cinq années passées dans les camps. Il a choisi, comme il le précise lui-même, de ne pas raconter "d'horreurs" même si la violence du quotidien se suffit à elle-même, de ne pas tout décrire afin de rendre son témoignage accessible à tous.

Julius Margolin, tout comme Varlam Chalamov, deviendra un crevard, il ne sait toujours pas comment il a survécu si ce n'est grâce à un homme qui lui permettra, lors des dernières années, de devenir "invisible" aux yeux du système bureaucratique du Goulag. Il va vivre ou plutôt survivre "en souterrain", être inexistant pour l'administration jusqu'à sa libération.

Même s'il ne raconte pas, en détail à la manière de Varlam Chalamov ou d' Alexandre Soljenitsyne, son ouvrage n'en reste pas moins un témoignage très fort et bouleversant sur sa déportation et sa vie quotidienne dans les différents camps où il fut emprisonné.
Julius Margolin ne se contente pas de raconter, il analyse les situations, les hommes, essaye d'entrevoir et d'appréhender ce qui lui est arrivé, à lui et à tant d'autres.


Mais peut-on comprendre ou expliquer la folie des hommes?

Un témoignage essentiel de la part d'un homme dont le seul "crime" fut d'être au mauvais endroit au mauvais moment...
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Julius Margolin est un intellectuel juif polonais qui a émigré en Palestine à la fin des années 30, l'été 1939 il est en visite en Pologne, du jour au lendemain les frontières se ferment, le pacte Germano-Soviétique va conduire cet agrégé de philosophie à chercher refuge dans sa ville natale de Pinsk où se retrouvent beaucoup de juifs fuyant les nazis.
Pendant une année Margolin va tenter de sortir du pays, faisant valoir son passeport palestinien, lui qui a au cours de sa vie changer plusieurs fois de nationalité au gré des guerres, va se retrouver sans nationalité, toutes ses tentatives échouent et il est finalement arrêté pour infraction aux lois sur les passeports !
Condamné, un voyage interminable aux conditions matérielles épouvantables, va le conduire au fin fond de la Sibérie. Il n'est plus un homme, il est devenu un Ze-Ka terme qui désignait les prisonniers qui creusaient le canal de la mer Blanche à la Baltique : le sinistre Belomorkanal, et qui passa dans le langage des camps. Il passera cinq années au Goulag.

De Varlam Chalamov à Soljenitsyne, de Evguenia Guinzbourg à Gustaw Herling, ils sont nombreux à avoir témoigné sur le Goulag. Qu'est ce qui fait de ce livre un document très particulier ?

Julius Margolin n'est pas Russe, il n'a jamais vécu sous le régime soviétique, il n'a pas été soumis à l'idéologie communiste, il n'a subi aucune répression. Il a une très grande capacité d'observation et de réflexion, sa formation intellectuelle le pousse à s'interroger, à tenter de comprendre le processus qui est à l'oeuvre au Goulag. Très tôt pendant sa détention il s'imagine alertant l'opinion publique mondiale, il s'ingénie à décrypter l'absurde des situations, le phénomène de déshumanisation qui est en oeuvre, il lutte avec acharnement allant jusqu'à vouloir écrire des traités de la haine ou du mensonge.

Il décortique pour mieux les analyser les consignes qui régissent le camp : la ration de nourriture est proportionnelle au travail accompli, les jours de repos la ration diminue, si le Zek est malade la ration diminue, s'il fait un travail moins dur la ration diminue.
Il démonte les consignes ridicules sur le rendement attendu des prisonniers, les punitions, les brimades, la terreur que font régner les ourkis prisonniers faisant régner la terreur , les chantiers épuisants et inutiles, les simulacres de justice.
Il décrit les relations entre prisonniers, le grand mélange de nationalités qui exacerbe les sentiments les plus violents, il en est lui même victime et lorsqu'un jour il frappe un de ses compagnons il dit « Parmi toutes les choses que je ne pardonnerai jamais, ni au camp ni à ses sinistres créateurs, ce coup restera dans ma mémoire, car il fit de moi un instant, leur complice, leur élève, leur prosélyte »

Le livre de Julius Margolin est irremplaçable, la traduction de Nina Berberova et Luba jurgenson respecte toute profondeur du texte, font entendre magnifiquement la voix qui s'élève contre la barbarie. Dans la postface vous apprendrez le rôle important qu'à joué jusqu'à sa mort l'auteur pour alerter l'opinion mondiale car dit-il « Chaque crime commis dans le monde doit être appelé par son nom, à haute voix. Sinon, la lutte contre lui est impossible.»

Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Julius Margolin était un Juif d'origine polonaise. Sioniste, il a émigré en Palestine en 1936. En septembre 1939 il est de passage à Lodz quand l'Allemagne nazie envahit la Pologne. Il se réfugie dans la partie est du pays, bientôt occupée à son tour par les troupes soviétiques. Il cherche à rejoindre la Palestine par tous les moyens mais n'y parvient pas. Refusant d'accepter le passeport soviétique il est arrêté, condamné à cinq ans de détention et déporté au goulag.

"On photographia tous les prévenus et on pris nos empreintes. (...) Je ne sais plus à quelle occasion je pus voir ma photo. C'était une image terrible, et non seulement parce qu'elle était techniquement mauvaise : je ne m'étais pas reconnu. Six semaines de prison soviétique avaient détruit toute trace de vie intellectuelle : on y voyait la trogne renfermée, émaciée, poilue et criminelle d'un tueur professionnel avec des yeux écarquillés (on m'avait obligé à retirer mes lunettes) cernés de bleu et de grosses lèvres enflées. Un type comme ça méritait au moins cinq ans de travaux forcés."

Le récit commence par un long développement sur la situation de la Pologne et de sa population (particulièrement des Juifs) pris entre le marteau et l'enclume à l'automne 1939. C'est une heureuse découverte pour moi qui me suis intéressée à ce sujet depuis quelque temps. le gros de l'ouvrage est consacré aux conditions de détention de Margolin à travers trois camps différents. Sont évoqués le travail forcé à l'abattage des arbres, la sous-alimentation chronique particulièrement sévère en ces années de guerre où les détenus meurent littéralement de faim, les violences des gardes et encore plus entre prisonniers.

Julius Margolin est un intellectuel bien peu préparé à ce qu'il découvre. C'est à la fois sa faiblesse et sa force. Faiblesse car il est une victime toute désignée pour les droit commun qui volent nourriture et biens, force car il s'attire la bienveillance des médecins du camp et à plusieurs reprises il est sauvé in extremis. En dénutrition il est admis à l'infirmerie où les places sont comptées. Son voisin de lit meurt aussi de faim mais c'est lui que l'équipe médicale décide de sauver car elle n'a pas assez pour deux. Vous avez une famille, lui non, lui dit le médecin. Mais je sens bien qu'il y a autre chose de non-dit derrière ce choix.

En 1946 Julius Margolin rentre enfin chez lui avec l'envie de témoigner qui ne l'a pas quitté depuis son arrestation.

"Pendant ces derniers mois, souvent, dans les rues de Pinsk, j'avais vu passer des camions pareils à celui-ci et je les croyais vides; ils cahotaient bruyamment sur le pavé et, dans un coin, sur le rebord, un homme armé était assis. Ceux-là aussi étaient pleins de gens couchés, recroquevillés afin qu'aucun des passants ne pût les apercevoir. En ce moment, des gens que j'avais connus passaient peut-être et on me dérobait à leur vue. Ce régime dissimulait ce qu'il faisait derrière les ridelles vertes du camion. Et moi, étendu, je fis le serment de rabattre un jour ces ridelles vertes afin que le monde entier vît ce qu'elles cachaient."

Voyage au pays des Ze-Ka a été publié pour la première fois en France sous le titre La condition inhumaine. Tout est dit dans cet ouvrage de la réalité du goulag que les compagnons de route du PC ont voulu taire et que le grand public n'a découvert que beaucoup plus tard. le reste de son existence Margolin a lutté pour les détenus du goulag et ce que lui disait son entourage c'est Tu mens ou Tu as raison mais il ne faut pas le dire. Je trouve que c'est une violence supplémentaire qui s'est ajoutée à la violence qu'ont été ses conditions de survie pendant cinq ans.

"Ne te trompe pas, lecteur, et ne confonds pas les camps soviétiques avec ceux de Hitler. N'excuse pas les camps soviétique parce que Auschwitz, Majdanek et Tréblinka furent pires. Rappelle-toi que les usines de mort de Hitler n'existent plus; elles ont passé comme un cauchemar et, sur leur emplacement, s'élèvent des monuments au-dessus des tombes des victimes. Mais le 48° carré, Krouglitsa et Kotlas fonctionnent toujours, et des hommes y périssent aujourd'hui comme ils y périssaient il y a cinq et dix ans. Tends l'oreille et tu entendras comme moi, chaque matin à l'aube, venant de loin :

- Debout !"

Voyage au pays des Ze-Ka est donc un ouvrage très intéressant mais pas toujours facile à lire parce qu'il est très long (près de 800 pages).
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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Même si Dominique a déjà tout dit dans son excellent billet, il est de mon devoir d'insister : les 780 pages de ce récit de Julius Margolin, qui passa cinq années dans les camps soviétiques du grand nord soviétique, sont à lire absolument. C'est dur, oui, mais on tient là de l'exceptionnel.



"Le seuil de la maison de la rue Logiszynska une fois franchi, je cessai d'être un homme."



En 1939, rien ne préparait cet intellectuel qui vivait avec sa famille en Palestine et visitait ses parents et amis en Pologne, à être broyé par la machine stalinienne. Il se comportait envers l'URSS "sans illusions et sans hostilités", et quand la guerre éclate, il fait confiance aux soviétiques pour le laisser rentrer chez lui. Las! Condamné à cinq ans de redressement par le travail, il va connaître de l'intérieur une entreprise de déshumanisation à l'échelle d'un état. Des millions d'hommes soumis à un épuisant travail sans relâche, sans tenir compte des qualifications de chacun (hormis les médecins), et souffrant de malnutrition. Sans doute des millions de morts. Lui a eu la chance d'en sortir vivant.



Ce qui frappe, c'est sa façon de se déclarer Occidental, par rapport aux populations soviétiques. Il a connu des pays développés et prospères, et même démocratiques. Au début il reçoit des colis, des lettres de sa mère restée en Pologne. Tout au long de ses années, il analyse son expérience , conscient lorsqu'il risque, dans ce "royaume de la mort", de basculer vers un état sans retour, et réussissant à écrire trois essais (qui seront détruits avant sa libération). Il décrit en détail le fonctionnement de ce système.



Il écrivit ce Voyage au pays des Ze-Ka dès 1947, mais il se heurta "à un deuxième mur de pierre, dressé par la lâcheté et la traitrise." Son témoignage choquait, mais il lutta pendant des années pour faire connaître la vérité sur ces camps (qui ont existé encore des années après).



J'ajouterai que les qualités littéraires de ce Voyage rendent sa lecture non pas agréable, bien sûr, mais tout à fait passionnante.
Lien : http://en-lisant-en-voyagean..
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Manger, se reposer sentir la chaleur bienfaisante, vivre uniquement le moment présent en rejetant les souvenirs et en ne pensant jamais à l'avenir, voilà le comble des désirs et le degré de déshumanisation auquel parvient, tôt ou tard, chaque détenu.
Le jour vient où tout ce qui se passe lui devient indifférent, où il s'abrutit jusqu'à être complètement insensible. Alors, il devient "digne de confiance", on l'a déshumanisé, on peut le laisser sans surveillance...
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Les hommes libres et lucides supprimeront un jour la Haine et édifieront un monde où personne ne devra haïr ou être victime de la Haine. Sans chercher des définitions complexes de la "Liberté", on peut admettre qu'elle chasse immanquablement le mensonge et la Haine, non seulement du coeur des hommes, mais des relations entre les hommes et de l'ordre social.
Ainsi, l'opposition au mensonge et à la Haine est déjà une première manifestation de la Liberté...
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Je sais d'expérience qu'aucun argument, aucun témoignage ne saurait convaincre un homme qui se considère comme communiste. Seule la réalité soviétique elle-même peut lui faire changer d'avis. J'ai compris également que le communisme, ce n'est pas une somme de convictions que l'on s'est mise dans la tête. Le « communisme imaginaire » dans le cadre d'un régime démocratique n'est qu'un ensemble d'opinions ou une position politique qui ne fait de mal à personne. Sur cent personnes qui professent le communisme à Paris ou à Rome sans avoir la moindre idée de ce qu'il est en réalité, quatre-vingt-dix-neuf l'auraient renié si elles avaient eu l'occasion d'en sentir les effets sur leur propre peau. Il ne resterait parmi ses adeptes que des bouchers, des hommes pour qui la violence est non seulement un moyen d'action, mais aussi le fondement de la société.
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Durant ma première année de détention, chaque nuit, invariablement, je me voyais libre. J'attendais la nuit avec impatience afin de pouvoir, au moins en rêve, sortir du camp.
Puis vinrent les rêves de faim, communs à tous les Z/K. Il y avait aussi les rêves de vol de nourriture. Nous n'étions jamais rassasiés dans nos rêves, car nous ne l'étions jamais non plus dans la réalité.
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Au printemps 1942, le camp fut menacé d'anéantissement par la faim. Les rations diminuaient progressivement. Nos forces s'épuisaient, nous tombions dans une profonde apathie, dans une torpeur....

....G. me donna une recette pour rendre comestibles les courroies de cuir non tanné. Il m'assura que de petits morceaux de courroie, bien grillés, ne se différencient nullement des rillons d'oie ou de porc.
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