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EAN : 9782715222540
608 pages
Le Mercure de France (07/03/2001)
3.75/5   4 notes
Résumé :
Frédérique Sophie Wilhelmine de Prusse, comme son frère Frédéric II, aimait les décorations rococo, les chinoiseries, les ornements capricieux, peints ou sculptés, avec beaucoup de feuillages, de fleurs, de perroquets, de guirlandes et de rubans. La plume à la main, elle devenait autre : un mémorialiste féroce, réaliste, sans pitié, qui, à distance, effarouchait Sainte-Beuve.

Les mémoires de la Margrave ne se rapportent qu'à sa jeunesse et à son maria... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Préface : Pierre Gaxotte
Notes : Gérard Doscot

ISBN : Non Précisé


Les "Mémoires", rédigés en un français parfait, de la margrave (ou margravine, comme vous voulez) de Bayreuth, constituent la preuve que, pour un fils de prince comme pour un fils de paysan, l'influence de "parents toxiques" ainsi qu'on les appelle aujourd'hui empoisonne à tout jamais l'existence d'un enfant. Or, question "parents toxiques", Frédérique-Sophie-Wilhelmine et son frère, le futur Frédéric II de Prusse, furent singulièrement gâtés.

Leur père, Frédéric-Guillaume Ier de Prusse, surnommé "le Roi-Sergent" par son beau-frère et cousin, le roi George II d'Angleterre, était un être violent, colérique et jaloux, l'un de ces despotes obsédés par la manie de tout contrôler, qui n'hésitait pas à passer ses nombreux mouvements d'humeur sur les membres de son entourage : du plus humble domestique à son épouse elle-même, personne ne trouvait grâce lorsque sa crise le prenait - et elle le prenait très, très souvent.

A l'instar de figures pseudo-paternelles du même type, Frédéric-Guillaume haïssait, le mot n'est pas trop fort, celui qui lui succèderait un jour sur le trône de Prusse, le prince royal Frédéric, qu'il éprouvait une jouissance sadique à frapper et à humilier en public, et ceci alors que son fils était déjà jeune homme. Quant à sa fille aînée, notre margrave, la faiblesse traditionnellement associée à son sexe ne lui épargna ni coups, ni injures en tous genres. Toute leur enfance et leur adolescence d'ailleurs, la crainte que leur inspirait leur père unit étroitement la soeur et le frère.

Fut-ce la découverte de l'homosexualité de son frère qui finit par créer entre eux un vide dont la margrave ne devait jamais cesser de souffrir ? Peut-être. Dans cette cour si spéciale, où les scènes de ménage entre le roi et la reine étaient si fréquentes que, n'eussent été l'or et la pourpre du trône, on se serait cru certains jours chez de simples bourgeois fort occupés à se lancer toute leur vaisselle à la tête, la petite Frédérique a dû assister, très jeune, à des spectacles qu'elle ne comprenait sans doute pas pleinement mais qui lui révélèrent certainement très tôt les "préférences" de son frère bien-aimé. Elle ferma les yeux et elle aurait continué à le faire si, au fur et à mesure qu'il se rapprochait du pouvoir suprême, le futur Frédéric le Grand n'avait révélé une sécheresse de sentiments, une avarice et un goût du despotisme par lesquels il tenta, plus ou moins inconsciemment, de s'identifier à un père qu'il haïssait et aimait tout à la fois. Pareil comportement, qu'elle ne parvenait pas à comprendre - nous sommes à des générations-lumière de Freud - ne pouvait qu'affliger la margrave et l'éloigner de son frère.

Un mot sur leur mère, Sophie-Dorothée de Hanovre, fille de George Ier d'Angleterre. A lire les affligeants "Mémoires" de sa fille, elle se révélait incapable - et là encore, nous sommes en pleine logique des "parents toxiques" - d'aimer ses enfants autrement que comme des objets. En outre, elle tenait absolument à avoir le pas dans leur coeur sur l'affection qu'ils pouvaient encore manifester à leur père, dans les rares moments où son tempérament de volcan complètement dément connaissait une accalmie. En un mot, on ne pouvait s'attirer les bonnes grâces de Frédéric-Guillaume sans perdre automatiquement celles de Sophie-Dorothée, et vice versa. Vous imaginez un peu le calvaire pour les enfants ? ...

Tant bien que mal, Frédérique II et sa soeur finirent par s'en sortir. Mais ils étaient terriblement mal en point. Si le destin historique du premier fit l'honneur de la Prusse et le désespoir de ses voisins européens, on ne saurait dire de sa vie privée qu'elle se montrât aussi rayonnante. Quant à notre pauvre margrave, douce et fine, victime idéale pour ces maîtres en chantage affectif que sont les parents dénaturés, elle semble avoir flotté sa vie durant dans une sorte de dépression plus ou moins grave contre laquelle elle se battit tout au long avec courage. Elle connut un peu de bonheur auprès de son époux mais celui-ci finit par se lasser de sa santé chancelante et finit par la tromper avec l'une de ses meilleures amies. Les "Mémoires" s'achevant à peu près à l'époque de ces premières infidélités margravines, nous n'en saurons pas plus et c'est tant mieux car le récit de toutes ces années durant lesquelles la princesse de Prusse subit l'existence plus qu'elle ne la vécut incite très tôt le lecteur à se dire, en secouant la tête : "Celle-ci ne sera jamais pleinement heureuse." C'est le lot des enfants issus de "parents toxiques" : sans cesse, même s'ils atteignent un jour au pinacle de la gloire, le Destin implacable leur rappelle que les dés avec lesquels ils jouent sont pipés - et bien pipés.

Des "Mémoires" dont on sort comme on sortirait d'un long, long tunnel obscur, déstabilisé et pensif, triste également de constater que, peu importent le siècle et la classe où ils naissent : les enfants les plus manipulés, les plus mal aimés, les plus tyrannisés ne peuvent, malgré tout, tuer en eux cette minuscule parcelle qui s'entête à avoir foi en leurs parents-bourreaux.

... Mais, dans le fond, n'est-ce pas mieux ainsi ? Quand, par malheur, ils parviennent à le faire, à leur tour, ils deviennent des monstres. Et leurs parents raflent la dernière mise ... Saluons ici la petite margrave de Bayreuth, morte de tuberculose le 14 octobre 1758 : la dernière mise, nous vous l'assurons, c'est elle qui l'a gagnée. ;o)
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
[...] ... Nous suivîmes [le roi] peu de temps après à Postdam, où il tomba malade d'une violente attaque de goutte aux deux pieds. Cette maladie, jointe au dépit qu'il avait de voir ses espérances évanouies, le rendait d'une humeur insupportable. Les peines du purgatoire ne pouvaient égaler celles que nous endurions. Nous étions obligés de nous trouver à neuf heures du matin dans sa chambre, nous y dînions et n'osions en sortir, pour quelque raison que ce fût. Tout le jour ne se passait qu'en invectives contre mon frère et contre moi. Le roi ne m'appelait plus que la canaille anglaise, et mon frère était nommé le coquin de Fritz. Il nous forçait de manger et de boire des choses, pour lesquelles nous avions de l'aversion, ou qui étaient contraires à notre tempérament, ce qui nous obligeait de rendre quelquefois en sa présence tout ce que nous avions dans le corps. Chaque jour était marqué par quelque événement sinistre, et on ne pouvait lever les yeux sans voir quelques malheureux tourmentés d'une ou d'autre façon. L'impatience du roi ne lui permettait pas de rester au lit, il se faisait mettre sur une chaise à rouleaux et se faisait ainsi traîner par tout le château. Ses deux bras étaient appuyés sur des béquilles, qui le soutenaient. Nous suivions toujours ce char de triomphe comme de pauvres captifs, qui vont subir leur sentence. Ce pauvre prince souffrait beaucoup, et une bile noire, qui s'était épanchée dans son sang, était cause de ses mauvaises humeurs.

Il nous renvoya un matin que nous entrions pour lui faire la cour. Allez-vous en, dit-il d'un air emporté à la reine, avec tous vos maudits enfants, je veux rester seul. La reine voulut répliquer mais il lui imposa silence, et ordonna qu'on servît le dîner dans la chambre de cette princesse. La reine en était inquiète, et nous en étions charmés, car nous devenions maigres comme des haridelles, mon frère et moi, à force d'inanition. Mais à peine nous étions-nous mis à table qu'un des valets de chambre du roi accourut tout essoufflé en lui criant : venez, au nom de Dieu, au plus vite, Madame, car le roi veut s'étrangler. La reine y courut aussitôt tout effrayée. Elle trouva le roi, qui s'était passé une corde autour du cou, et qui allait étouffer, si elle n'était venue à son secours. Il avait des transports au cerveau et beaucoup de chaleur, qui diminua cependant vers le soir, où il se trouva un peu mieux. Nous en avions tous une joie extrême, dans l'espérance que son humeur se radoucirait, mais il en fut autrement. Il conta le midi à table à la reine, qu'il avait reçu des lettres [du margrave] d'Anspach, qui lui marquaient que le jeune margrave comptait être au mois de Mai à Berlin, pour y épouser ma soeur, et qu'il enverrait M. de Bremer, son gouverneur, pour lui porter la bague de promesse. Il demanda à ma soeur, si cela lui faisait plaisir et comment elle règlerait son ménage lorsqu'elle serait mariée ? Ma soeur s'était mise sur le pied de lui dire tout ce qu'elle pensait, et même des vérités, sans qu'il le trouvât mauvais. Elle lui répondit donc avec sa franchise ordinaire, qu'elle aurait une bonne table délicatement servie, et, ajouta-t-elle, qui sera meilleure que la vôtre, et si j'ai des enfants, je ne les maltraiterai pas comme vous et ne les forcerai pas à manger ce qui leur répugne. Qu'entendez-vous par là, lui répondit le roi, que manque-t-il à ma table ? Il lui manque, lui dit-elle, qu'on ne peut s'y rassasier, et que le peu qu'il y a ne consiste qu'en gros légumes que nous ne pouvons pas supporter. Le roi avait déjà commencé à se fâcher de sa première réponse, cette dernière acheva de le mettre en fureur, mais toute sa colère tomba sur mon frère et sur moi. Il jeta d'abord une assiette à la tête de mon frère, qui esquiva le coup ; il m'en fit voler une autre, que j'évitai de même. Une grêle d'injures suivirent ces premières hostilités ; il s'emporta contre la reine, lui reprochant la mauvaise éducation qu'elle donnait à ses enfants ; et, s'adressant à mon frère : "Vous devriez maudire votre mère, lui dit-il, c'est elle qui est cause, que vous êtes mal gouverné. J'avais un précepteur qui était un honnête homme, je me souviens toujours d'une histoire qu'il m'a contée dans ma jeunesse. Il y avait, me disait-il, un homme à Carthage, qui avait été condamné à mort pour plusieurs crimes, qu'il avait commis. Il demanda à parler à sa mère dans le temps qu'on le menait au supplice. On la fit venir. Il s'approcha d'elle comme pour lui parler bas, et lui emporta un morceau de l'oreille avec ses dents. Je vous traite ainsi, dit-il à sa mère, pour vous faire servir d'exemple à tous les parents, qui n'ont pas soin d'élever leurs enfants dans la pratique de la vertu. Faites-en l'application !" continua-t-il en s'adressant toujours à mon frère, et voyant qu'il ne répondait rien, il recommença à nous invectiver jusqu'à ce qu'il fût hors d'état de parler davantage. Nous nous levâmes de table et comme nous étions obligés de passer à côté de lui, il me déchargea un grand coup de sa béquille, que j'évitai heureusement, sans quoi il m'aurait assommée. Il me poursuivit quelque temps dans son char, mais ceux qui le traînaient me donnèrent le temps de m'évader dans la chambre de la reine, qui en était fort éloignée. ... [...]
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[...] ... J'en reviens à l'entrevue du roi et de la reine. Cette princesse était seule dans l'appartement de ce prince lorsqu'il arriva? Du plus loin qu'il l'aperçut, il lui cria :

- "Votre indigne fils n'est plus, il est mort !"

- Quoi," s'écria la reine, "vous avez eu la barbarie de le tuer ?"

- "Oui, vous dis-je," continua le roi, "mais je veux la cassette [qu'il vous a laissée]."

La reine alla la chercher. Je profitai de ce moment pour la voir ; elle était hors d'elle-même et ne discontinuait de crier : "Mon Dieu, mon fils, mon Dieu, mon fils !" La respiration me manqua et je tombai pâmée entre les bras de Madame de Sonsfeld. Dès que la reine eut remis la cassette au roi, il la mit en pièces et en tira les lettres qu'il emporta. La reine prit ce temps, pour rentrer dans la chambre où nous étions. J'étais revenue à moi. Elle nous conta ce qui venait de se passer, m'exhortant à tenir bonne contenance. La Ramen releva un peu nos espérances, en assurant la reine que mon frère était en vie et qu'elle le savait de bonne main. Le roi revint sur ses entrefaites. Nous accourûmes tous pour lui baiser la main, mais à peine m'eût-il envisagée, que la colère et la rage s'emparèrent de son coeur. Il devint tout noir, ses yeux étincelaient de fureur et l'écume lui sortait de la bouche. "Infâme canaille, me dit-il, oses-tu te montrer devant moi ? va tenir compagnie à ton coquin de frère." En proférant ces paroles, il me saisit d'une main, m'appliquant plusieurs coups de poing au visage, dont l'un me frappa si violemment la tempe, que je tombai à la renverse et me serais fendu la tête contre la carne du lambris, si Madame de Sonsfeld ne m'eût garantie de la force du coup, en me retenant par la coiffure. Je restai à terre sans sentiment. Le roi, ne se possédant plus, voulut redoubler ses coups et me fouler aux pieds. La reine, mes frères et soeurs, et ceux qui étaient présents l'en empêchèrent. Il se rangèrent tous autour de moi, ce qui donna le temps à Mesdames de Kamken et de Sonsfeld de me relever. Ils me placèrent sur une chaise dans l'embrasure de la fenêtre, qui était tout proche. Mais voyant que je restais toujours dans le même état, ils dépêchèrent une de mes soeurs, qui leur apporta un verre d'eau et quelques esprits, à l'aide desquels ils me rappelèrent un peu à la vie. Dès que je pus parler, je leur reprochai les soins qu'ils prenaient de moi, la mort m'étant mille fois plus douce que la vie, dans l'état où les choses étaient réduites. Il est impossible de décrire la funeste situation où nous étions. ... [...]
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[...] ... J'en reviens à l'entrevue du roi et de la reine. Cette princesse était seule dans l'appartement de ce prince lorsqu'il arriva? Du plus loin qu'il l'aperçut, il lui cria :

- "Votre indigne fils n'est plus, il est mort !"

- Quoi," s'écria la reine, "vous avez eu la barbarie de le tuer ?"

- "Oui, vous dis-je," continua le roi, "mais je veux la cassette [qu'il vous a laissée]."

La reine alla la chercher. Je profitai de ce moment pour la voir ; elle était hors d'elle-même et ne discontinuait de crier : "Mon Dieu, mon fils, mon Dieu, mon fils !" La respiration me manqua et je tombai pâmée entre les bras de Madame de Sonsfeld. Dès que la reine eut remis la cassette au roi, il la mit en pièces et en tira les lettres qu'il emporta. La reine prit ce temps, pour rentrer dans la chambre où nous étions. J'étais revenue à moi. Elle nous conta ce qui venait de se passer, m'exhortant à tenir bonne contenance. La Ramen releva un peu nos espérances, en assurant la reine que mon frère était en vie et qu'elle le savait de bonne main. Le roi revint sur ses entrefaites. Nous accourûmes tous pour lui baiser la main, mais à peine m'eût-il envisagée, que la colère et la rage s'emparèrent de son coeur. Il devint tout noir, ses yeux étincelaient de fureur et l'écume lui sortait de la bouche. "Infâme canaille, me dit-il, oses-tu te montrer devant moi ? va tenir compagnie à ton coquin de frère." En proférant ces paroles, il me saisit d'une main, m'appliquant plusieurs coups de poing au visage, dont l'un me frappa si violemment la tempe, que je tombai à la renverse et me serais fendu la tête contre la carne du lambris, si Madame de Sonsfeld ne m'eût garantie de la force du coup, en me retenant par la coiffure. Je restai à terre sans sentiment. Le roi, ne se possédant plus, voulut redoubler ses coups et me fouler aux pieds. La reine, mes frères et soeurs, et ceux qui étaient présents l'en empêchèrent. Il se rangèrent tous autour de moi, ce qui donna le temps à Mesdames de Kamken et de Sonsfeld de me relever. Ils me placèrent sur une chaise dans l'embrasure de la fenêtre, qui était tout proche. Mais voyant que je restais toujours dans le même état, ils dépêchèrent une de mes soeurs, qui leur apporta un verre d'eau et quelques esprits, à l'aide desquels ils me rappelèrent un peu à la vie. Dès que je pus parler, je leur reprochai les soins qu'ils prenaient de moi, la mort m'étant mille fois plus douce que la vie, dans l'état où les choses étaient réduites. Il est impossible de décrire la funeste situation où nous étions. ... [...]
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