« Le pêne dormant rêve de la gâche. Dehors, le carillon de la charogne exulte, sa scansion percute les nez délicats, volète jusqu'à notre antre. Les fissures du chambranle transpirent un gaz gris. La clef remue dans la serrure, bascule, ne tombe pas, retenue de justesse par son museau coincé que viennent surplomber dans le petit tunnel une tête jaune, des yeux rouges—un frelon se débat dans le métal. Trente frelons géants massacrent trente mille abeilles. Combien d'abeilles sommes-nous ? »
Smog Rosé fascine et terrasse tant par le rêve étrange dans lequel le lecteur est transporté, que par la précision et la chatoyance de l'écriture poétique de
Thibault Marthouret.
Écriture rythmique et mélodies de timbres, qui explorent l'infiniment petit et le vertige des paysages de la ville désolée. Écriture implacable et fine, qui entrelace des intrigues comme si le poète-musicien se faisait cinéaste... et peintre.
L'auteur scande une thrène à laquelle « nous » sommes associés. « Nous » faisons le même rêve étrange. Comme à la veille ou au lendemain d'une apocalypse, comme sur la terrasse en bois d'un tableau d'
Edward Hopper (j'ai beaucoup pensé à People in the Sun en lisant ce recueil), avec une pointe d'humour noir - peut-être - à la Twin Peaks.
On ne ressort pas de ce
Smog Rosé, comme lui-même ne nous lâche jamais vraiment.
On l'inhale.
On laisse beaucoup de soi dans la doline.
Smog Rosé est un objet poétique non-identifiable, si ce n'est par la certitude qu'il constitue le livre magistral d'une des figures montantes de la poésie actuelle.