On pourrait sous-titrer ce magnifique livre « voyage autour du monde d'un dandy prussien ».
Outre le témoignage du voyageur, par ses mots et surtout ses photographies, ce livre est intéressant car il nous montre le voyageur lui-même, de l'autre côté de l'objectif, porteur d'une certaine vision du monde.
Waldemar Abegg est né en 1873 à Berlin. Il est mort en 1961. Né dans une famille bourgeoise prussienne, il est en 1905, à 33 ans, à l'aube d'une brillante carrière de haut fonctionnaire.
Mais l'envie de sillonner le monde l'occupe depuis de longues années. Il part donc après avoir obtenu un congé d'un an, avec un appareil photo, ses préjugés d'occidental, une certaine misanthropie et un goût du confort certain.
Il passera six mois aux Etats-Unis, à New-York avant de parcourir la côte ouest, manquer de se faire dépouiller à San Francisco, sera ébloui par la culture japonaise, séjournera en Chine, traversera la Corée, jouera à l'espion, visitera l'Inde. A Ceylan, terrassé par la fièvre de la malaria il songera à retourner à l'état sauvage dans la jungle. Une fois remis et rappelé par sa hiérarchie, il rentrera via le canal de Suez au bout d'un an et demi de périple.
Il revient transformé. Il s'est défait en partie du carcan de son éducation bourgeoise prussienne, a découvert des lieux et des cultures qui l'ont émerveillé. La « suprématie de l'Occident » lui paraît alors bien illusoire.
Il rapporte également des centaines de photographies, qui vont dormir près de 50 ans dans des cartons, il va les exhumer au crépuscule de sa vie. Les photos colorisées sont accompagnées de commentaires par Waldemar Abegg et de textes de Boris Martin.
Un très beau témoignage géographique, historique, sociologique, photographique.
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Derrière les mœurs étranges, la crasse de la pauvreté, il a découvert peu à peu les gens qui le peuplent. Cet indien Pueblo au bord du Rio Grande, ces jeunes américaines dans les Rocheuses, ces deux geishas à Beppu, cet artisan à Tokyo, son ami Nakano, ce boy chinois à Pékin, ces dévots à Bénarès et ces gens « qui ressemblent à des fleurs » à Java…
Le voyageur misanthrope, presque craintif, s’est humanisé autant qu’aguerri. Ces six derniers mois passés au cœur des Etats-Unis l’ont déjà transformé. Prêt pour le grand saut vers l’Extrême-Orient, il lance un dernier regard vers San Francisco promise à une destruction quasi complète quelques mois plus tard. Oui, la ville ne le sait pas encore, mais son sursis va bientôt prendre fin.