Ceux qui me suivent savent que je suis une fan inconditionnelle d'
Agnès Martin-Lugand. Néanmoins, je pense être capable de faire le distinguo s'il devait s'avérer qu'un de ses livres devait être moins bien écrit.
Subjectivité mise à part, je pense pouvoir affirmer que
La Déraison tient, une nouvelle fois, ses promesses.
Quelles promesses ?
Celle de traiter d'un thème qui n'est pas courant en littérature contemporaine ; celle de se laisser embarquer par sa lecture ; celle d'être en empathie avec ses personnages ; celle de ressentir des émotions... Car, au-delà, de l'aspect documentaire, ce que j'attends d'un livre, c'est ça.
Traiter d'un thème pas courant en littérature ?
Tout un chacun est bien sûr mal à l'aise face à la maladie incurable (ici, le cancer pour Madeleine, mais aussi la dépression sévère pour Joshua) et face à l'inéluctabilité de la mort. Traiter de ces thèmes dans un roman peut paraître choquant et peut rebuter certains lecteurs qui aspirent, le temps de leur lecture, à s'évader d'un quotidien souvent difficile. Et pourtant, la fonction de la littérature n'est-elle pas aussi de nous faire réfléchir ? Pour ma part, j'ai apprécié la façon dont ces questions ont été abordées par l'auteure. En effet, les évocations plus difficiles restent soft et l'accompagnement bienveillant des proches adoucit certains aspects et permet d'être sensibilisée sans toutefois être choquée.
Se laisser embarquer par sa lecture ?
J'ai lu ce livre en quelques heures, tant j'avais comme l'héroïne de l'auteure, Madeleine, ce sentiment d'urgence face à la mort qui, inéluctable, l'attendait. L'écriture fluide et particulièrement vivante, les dialogues ciselés, les courts chapitres et l'alternance entre ce qui se passe "Quelque part" (vie de Joshuae) et ce qui se passe "Autre part" (vie de Madeleine) impriment un rythme qui rend la lecture addictive.
Etre en empathie avec les personnages ?
Comme toujours,
Agnès Martin-Lugand a l'art et la manière de nous donner à voir et à vivre des personnages qui nous ressemble et auxquels il est possible de s'identifier. D'emblée, militante de l'association du droit à mourir dans la dignité, je ne pouvais que me sentir en empathie avec Madeleine désireuse de profiter de ses derniers instants pour retrouver des lieux qui lui sont chers et revivre l'un de ses meilleurs souvenirs de jeunesse... et de ses proches qui comprennent la finalité de ce besoin et font tout pour le lui permettre.
En empathie aussi avec cet homme Joshua qui, malgré ses masques, souffre de son amour perdu et apparemment de l'impossibilité de le retrouver. A travers lui, on comprend tout le poids d'un fonctionnement dysfonctionnel dans une famille. Et à travers son fils qui, manifestement, a fait les frais de son père souffrant, on comprend toute la difficulté à donner de l'amour quand on en a guère reçu...
Ressentir des émotions ?
Très tôt dans le livre, les larmes ont glissé sur mes joues. Parce que je suis bon public ? Parce que j'ai un coeur d'artichaut ? Non, je crois que c'est parce que je suis très sensible à la façon dont le ressenti intérieur des personnages (l'une confrontée à sa mort prochaine et à la nécessité de révéler à sa fille tout un pan de sa vie qu'elle ignore ; l'autre confronté à la dépression sévère et à la tentation du suicide... et à la nécessité de reconstruire le lien père/fils) est mis en lumière par l'auteure (qui, par ailleurs, a indiqué lors d'une interview que ce livre était celui qui lui était le plus proche, le plus intime).
Et la fin... prévisible, bien sûr... mais là, il y a vraiment de quoi se sentir émue... et finir en larmes.
Certes, on pourrait attendre dans ce contexte une réflexion plus philosophique ou intellectuelle sur ce que l'on ressent à l'approche de la mort... mais, ce sont les actes, les mots, les ressentis des personnages qui nous éclairent sur ce qui est vraiment important : donner et se donner de l'amour pour partir en paix, c'est la seule chose qui compte !
J'ai lu ici ou là des critiques. Oui, il était toujours possible de faire plus, de faire mieux, de ne pas envisager une fin cousue de fil blanc, d'avoir une réflexion plus philosophique sur la fin de vie. Pour ma part, je n'ai pas du tout ressenti ce livre de façon négative (mais c'est clair, je suis une fan...). J'ai pris en pleine figure l'histoire de ces deux-là que la vie avait réunis avant de les séparer et je me suis laissée totalement emporter, sans chercher à analyser le pourquoi du comment, par la force de cet amour inassouvi qui, malgré le temps et la distance, explose de toute sa force et de sa lumière, alors même qu'il est trop tard.
Et, pour celles et ceux qui en ont envie, il est toujours temps, après avoir refermer ce livre, de réfléchir à ce qu'il ou ce qu'elle ferait si confronté(e) à la même situation. Idem pour les proches qui, ici, ont la force de refuser l'acharnement thérapeutique pour permettre à Madeleine de vivre ses derniers instants dans la sérénité. Je dis Respect !
A n'en pas douter, c'est un livre que je ne peux que vous recommander et qui laissera sa trace dans ma tête et dans mon coeur !