Le sous titre du livre est Quand la littérature découvre le monde, et il reprend, avec une présentation plus structurée, le cours dispensé la première année de la présence de
William Marx au
Collège de France. J'avais suivi ce cours à distance, en vidéo, et j'y avais trouvé un indéniable plaisir, lorsque j'ai croisé le livre au détour d'un rayon de bibliothèque, je n'ai pas pu résisté à l'envie de le lire.
William Marx donnait la sensation d'inventer, de créer son cours d'une semaine à l'autre, au gré d'une impulsion, d'une suggestion d'auditeur, d'un association d'idées, comme une sorte de voyage collectif qu'il proposait à son public, avec malice et érudition. le format du livre gomme un peu tout cet aspect de spontanéité et d'échange, et diminue fortement le second degré, l'humour, très présent dans le cours. Il ne reste qu'une trame, relativement simple : le livre fait à peine 100 pages.
Le titre et le contenu du cours prennent appui sur le célèbre poème de
José Maria de Heredia : Les conquérants.
William Marx l'avait cité pendant sa leçon inaugurale, et l'a pris comme point de départ pour sa première année d'enseignement. Voici le poème :
Les Conquérants
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bord mystérieux du monde occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;
Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré,
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.
Plus que l'analyse du poème, ce qui intéresse
William Marx c'est cette image d'étoiles nouvelles, différentes de celles que l'on connaît. Son premier angle d'approche seront les lettres d'un marin, envoyé après la mort d'Heredia à
Gaston Deschamps qui tient le feuilleton littéraire dans le journal le temps. le marin fait remarquer que l'image des étoiles nouvelles est factuellement fausse : lorsqu'on navigue vers l'ouest, les astres se levant à l'est, on ne peut voir monter les étoiles penché à l'avant du bateau. Tout un grand débat scientifico-littéraire s'engage, divers points de vue sont exposés, pour sauver le poème. On en vient à la question essentielle : la poésie (et la littérature) doivent elle viser l'exactitude factuelle ou l'effet sur son lecteur ? Il suffit de poser la question pour avoir la réponse,
William Marx se propose donc de continuer le voyage en nous proposant quelques éléments de ce qu'il appelle « la bibliothèque des étoiles nouvelles » autrement dit des ouvrages qui utilisent cette expression, en nous annonçant d'emblée qu'il s'agit en réalité de plusieurs bibliothèques, ou plusieurs rayons, l'image « d'étoiles nouvelles » ayant des aspects, des sens différents.
Sans détailler toutes les oeuvres citées par l'auteur et tous les sens différents envisagés, je vais citer quelques exemples pour donner une idée de qu'attend le lecteur de l'ouvrage.
William Marx part de la conception antique, en donnant un extrait de
Virgile, chez qui les ciels étrangers, au contraire du poème
De Heredia, ne marque pas la découverte, l'augmentation des possibles, mais l'hubris, la démesure, le malheur de sortir de son univers, d'affronter l'exil, le déracinement, le renoncement à soi.
Dans un registre très différent,
William Marx se livre à une analyse sémiologique de quelques planches de Tintin. Sans oublier par un passage fort développé du Voyage de Saint-Brendan, un récit de voyage, réel ou imaginaire, dont le plus ancien manuscrit remonte au IXe siècle.
Je vous fait grâce d'un certain nombre d'autres textes, et des analyses de
William Marx. Il finit son exploration sur les textes qui auraient pu évoquer les étoiles nouvelles et ne l'ont pas fait (bibliothèques fantômes) : ces textes auraient pu complètement changer notre approche de l'image des étoiles nouvelles, faire de par leur autorité qu'en utilisant cette expression nous ne pourrions pas faire abstraction d'un sens qui s'y serait accolé : « Un poème modifie les liaisons entre les êtres et les choses, il change la vision du monde. Une image se développe en une autre, et ainsi croît la littérature ».
C'est très plaisant à lire, on apprend des choses sur des oeuvres pas toutes très connues, jouer avec des textes, passer de l'un à l'autre, est assez amusant. J'ai toutefois été un peu moins séduite que par le cour. le texte écrit laisse tout de même apparaître un contenu mince au final, qui n'hésite pas à assener quelques évidences, et
William Marx se montre un peu pédant parfois (l'analyse de Tintin avec un vocabulaire quelque peu abscons, même en tenant compte du second degré, est un peu agaçante) sans oublier des jugements un peu normatifs, classant des oeuvres selon leur valeur, dont on sait bien à quel point cela est quand même subjectif (il ne le faisait pas de cette façon pendant les conférences).
Je vais continuer à suivre les cours en tous les cas.