Depuis Socrate, la littérature a toujours été critiquée soit pour son pouvoir de nuisance, soit pour son inutilité. Il est loin le temps mythique de la Grèce la plus ancienne (celle d'Homère) où la littérature était à la fois art, poésie et porteuse d'un discours d'autorité et de vérité.
Aujourd'hui la littérature est toujours attaquée mais elle a perdu de son danger. Chez les hommes poltiiques, elle est symbole d'élitisme et l'attaque est souvent populiste (la fameuse attaque de N Sarkozy contre "la princesse de Clèves"). Des sociologues comme Bourdieu ont gommé l'apport à la formation de la personnalité pour n'en faire qu'un instrument de domination des élites. Dans les sociétés aristocratiques, il était de bon ton chez certains grands seigneurs de mépriser la littérature alors que dans les sociétés démocratiques c'est le peuple qui la méprise. Elle n'est plus vue comme l'instrument privilégié de la culture, de l'identité (particulièrement en France) car ses enjeux financiers sont moindres que ceux des arts visuels.
Commenter  J’apprécie         71
Diogène Laërce rapporte que, dans sa jeunesse, Platon "écrivit des poésies, d'abord des dithyrambes, puis des poésies lyriques et tes tragédies". Un jour, "tandis qu'il s'apprêtait à concourir pour la tragédie, il entendit Socrate et brûla ses poésies devant le théâtre de Dyonisos". Alors âgé de vingt ans, il décida de consacrer le reste de son existence à la philosophie. Tel fut le premier adieu à la littérature dont on ait conservé la trace. Tel fut le premier autodafé de poésie, par les mains du prince des philosophes. Claire est la leçon : poésie et philosophie ne sont pas compatibles, mais c'est parce qu'elles se disputent les mêmes pouvoirs, les mêmes territoires - et les mêmes hommes.
Apollon fut le dieu de la poésie et de la vérité. Depuis Héraclite, il n'est plus que celui de la poésie. Ainsi tombent les idoles et se brisent-elles.
La critique de la littérature s'exerce toujours au nom d'une autre autorité : religieuse, politique, philosophique. On ne renverse le pouvoir que pour en mettre un autre à la place :
- C'est une révolte ?
- Non, Sire, c'est une révolution.
Or, pas de coup d'Etat sans Etat ou sans pouvoir : s'il y eut une antilittérature, c'est que la littérature fut d'abord une puissance.
Ou, pour parler plus précisément, il y eut avant Héraclite une puisse, et à cette puissance perdue, oubliée, nous donnons aujourd'hui le nom de littérature.
Littérature est nostalgie d'un pouvoir déchu.
Moralité : la littérature n'est pas une expression adéquate de la société. Quand le régime est aristocratique, on lui reproche de ne pas l'être assez et de n'appartenir pas au clan des puissants ; quand il est démocratique, on l'accuse d'être élitiste et de concourir aux failles du système. Bref, elle semble toujours en inadéquation par rapport à une demande politique : trop peu aristocratique, trop peu démocratique. L'écrivain est partout méprisé, sous tous les régimes, ou bien considéré comme dangereux, ou bien dénoncé comme serviteur aveugle d'un système condamnable. Preuve en est que le problème est moins un déficit démocratique essentiel ou permanent de la littérature que son déficit de pouvoir : son impuissance en fait le bouc émissaire idéal.
La littérature est objet de scandale. Elle l'a toujours été. C'est ce qui la définit.
Lecteur, tu es averti : si tu ne veux pas être scandalisé, jette ce livre avant qu'il ne soit trop tard. Autrement, sois le bienvenu et sache que le scandale ne sera pas toujours où tu crois.
Page 9
L'antilittérature n'est parfois le fait que de déçus de la littérature, pour qui elle n'a pas tenu ses promesses.
William Marx, professeur du Collège de France sur la chaire Littératures comparées, introduit son cours de l'année 2023-2024 : Comment lire ?
Découvrez la suite du cours :
https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/comment-lire/lire-une-tache-utopique
Abonnez-vous à la chaîne @Lettres-Arts-Langage-Philo-CdF et retrouvez la playlist de ses enseignements : https://www.youtube.com/watch?v=crVH6aGWWKQ&list=PLHFU8yWQ83n4¤££¤3Lettres-Arts-Langage-Philo-CdF22¤££¤&pp=iAQB
Le Collège de France est une institution de recherche fondamentale dans tous les domaines de la connaissance et un lieu de diffusion du « savoir en train de se faire » ouvert à tous.
Les cours, séminaires, colloques sont enregistrés puis mis à disposition du public sur le site internet du Collège de France.
Découvrez toutes les ressources du Collège de France :
https://www.college-de-france.fr
Suivez-nous sur :
Facebook : https://www.facebook.com/College.de.France
Instagram : https://www.instagram.com/collegedefrance
X (ex-Twitter) : https://twitter.com/cdf1530
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/company/collègedefrance
+ Lire la suite