Il y a comme ça, pour chacun je pense, des écritures qui vous parlent, dans lequel on se coule, que l'on voudrait croire voix à vous seul (ou seule) adressée, presque comme venant d'un vous qui en serait capable. Et l'on est un peu bouche ouverte, mais en même temps si bien, on reconnaît, et en même temps on pense mais oui, c'est ça, j'aurais pas su.
Enfin, en clair, j'aime, sans pouvoir analyser. Juste cette exactitude, cette tension sans effort apparent, cette tristesse qui se berce, cette faculté d'émerveillement, la simplicité des choses, la délicatesse et le travail du regard.
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Son coeur n’est pas à lui. Qu’en ferait-il ? Il l’offre à qui le prend. Il le pose sur la page et invente quelque créature qui saura se l’approprier. Peu d’encre lui suffit. Il n’est pas dépensier. Un pauvre amour a plus de prix qu’un long discours. Il y met pourtant tout son soin. Ce qui n’existe pas a besoin d’attention. (..)
Son coeur qui s’aventure ne porte pas de nom.
Il voudrait prendre dans ses mains les mains de la mer et marcher tout le soir avec elle près des entrepôts, suivre les rails le long des quais jusqu’aux navires, descendre à fond de cale, se blottir entre des paquets d’épices, attendre minuit et partir. Il conduirait la mer vers des îles qu’elle ignore, avec des maisons plates peintes à la chaux et de petits jardins où poussent de la vigne et des fleurs. Ils dormiraient sur une natte multicolore, dans une chambre toute blanche. Ils boiraient le matin un café très fort, visiteraient des plantations à bicyclette, iraient au bain ou à la pêche, et regarderaient la mer chaque soir avant de s’endormir
Les fenêtres de la chambre donnent sur la mer. Pourtant, on est en ville, peut-être même à la montagne, au milieu d’un bouquet de sapins noirs. Aucun bruit, sinon le griffonnement de la plume qui frotte un peu la mer contre la page. Comme une écume, la nuit, froissée au pied d’un phare. Ou la surdité singulière de celui qui plonge en apnée et qui, de l’intérieur, écoute son propre sang.
C’est l’automne. Des feuilles tombent sur la mer. Elles ont recouvert sa mémoire. Il s’assoupit, elles le protègent.
Son cœur est si petit, si frêle, qu’on ne pourrait l’aimer sans le briser, ni le voir sans y regarder à deux fois, avec des verres épais et beaucoup d’attention, comme quand on entreprend de lire une histoire compliquée, aux personnages et aux péripéties nombreuses, ou de déchiffrer un auteur qui prend plaisir à de longues phrases, imprimées en caractères minuscules sur du papier très fin
S’effacer, lui laisser la place, il ne l’occupera jamais toute, il fait le vide autour de lui. Difficile à dire : il se concentre et se ramifie, un rien suffit à son visage, il en change, ne veut pas savoir, mais connaît des choses. Il va, passe, s’infléchit, se propage et parle à peu près sans rien dire, derrière les bouquets d’ortie, appelant avec peu de mots du fond d’un terrain vague.
Jean-Michel MAULPOIX – En son for intérieur (France Culture, 1996)
L’émission « Poètes en pied », série d’été de « For intérieur », par Olivier Germain-Thomas, diffusée le 3 août 1996. Invité : le poète en personne.
Mise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant, dans l'unique objet de perpétuer la Poésie française.