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Antoine Emaz (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070308309
256 pages
Gallimard (09/11/2005)
4.31/5   58 notes
Résumé :
À 54 ans, Jean-Michel Maulpoix s’affirme comme l’un des principaux théoriciens de la poésie contemporaine et des promoteurs du « lyrisme critique », grâce à toute une série d’essais publiés chez José Corti et à la revue qu’il dirige chez Champ Vallon, Le Nouveau Recueil. Cette édition de poche reprend sous une même couverture deux de ses principaux livres, qui lui ont valu, lors de leur première parution, en 1992 et en 2000, un écho qui dépasse le cercle restreint d... >Voir plus
Que lire après Une histoire de bleu suivi de L'instinct du cielVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Je ne connaissais Jean-Michel Maulpoix que par l'analyse remarquable qu'il a faite de l'oeuvre poétique de Philippe Jaccottet, un poète que j'admire et dont je chéris la poésie.

Ce sont les commentaires passionnants de mes amies et amis babeliotes, Hordedu Contrevent, jvermeer et Pasoa qui m'ont amené à lire ce livre dans lequel le recueil Une histoire de bleu est suivi par celui intitulé Un instinct de ciel.

Ce sont deux recueils merveilleux, sublimes, avec une forte dimension métaphysique, dont le fil conducteur est de questionner avec acuité et parfois pessimisme le sens de notre vie humaine.
Il y a, je trouve, filiation avec Baudelaire, le Baudelaire de Spleen et Idéal, de Mort.

Quelques remarques d'abord sur la construction du recueil Une histoire de bleu.
Il comporte des textes plus brefs que l'autre recueil, et rassemblés en 9 chapitres. L'auteur a-t-il choisi ce chiffre sciemment, sachant qu'en numérologie il est associé à la couleur bleu marine, et qu'il symbolise l'idéal, la perfection, la vie et l'amour? Je ne sais pas, mais c'est troublant.
L'ensemble est structuré de manière symétrique autour du cinquième chapitre le grand pavois, le seul intégralement écrit en vers libres, qui représente une sorte de césure dans le recueil, et dont l'objet est une critique du lyrisme de pacotille de la poésie associée au bleu.

Le bleu est le thème sous-jacent, avec ses messagers métaphoriques: la mer, le ciel, l'amour.
Le premier poème annonce tout de suite la « couleur », qui va parcourir tout le recueil, celle de l'insaisissable, et aussi de la finitude de l'être humain.
“ Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s'éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l'amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains. »

La mer d'abord, changeante, , « la mer, la mer, toujours recommencée », comme l'a écrit Paul Valéry avec lequel le poète a, je trouve, une parenté. La mer, semblable à la destinée incertaine des êtres humains, mais aussi la mer immuable qui sera toujours là quand nous ne serons plus.

Le ciel comme image de l'idéal, du sacré. Et si Dieu, les dieux, ne sont pour l'auteur qu'une invention humaine, le besoin de sacré est là sans que l'on en comprenne le sens. Il y a d'ailleurs un magnifique poème intitulé Ame, qui questionne son existence:
« Pour cela dont on ne sait rien. Sinon la question sourde. La demande obstinée. …. »
Tout le chapitre « Une incertaine église » développe aussi ce thème. Ainsi:
« Orthodoxie du bleu.
Il va pieds nus derrière le bleu.
Il marchera longtemps vers l'horizon, sous l'abside fortifiée du ciel. Pour le grand sacerdoce de la mer et sa liturgie d'algues sombres. »

L'amour, enfin, amour maternel qui se conjugue au passé, et le poète a des mots bouleversants pour le dire.
Et l'amour de la femme, amour du regard bleu, mais amour impossible à vivre.

A ces trois thèmes, s'ajoute l'acceptation de la mort, de notre finitude. Là encore, des textes beaux et troublants, à lire et relire, à méditer,comme celui-ci:
« La mort est fragile comme l'amour. La mort est en nous l'idée la plus belle, l'idée mère, l'idée douce et sans bornes, la seule idée point trop folle pour laquelle on puisse avoir encore le goût de vivre ».

Le poète interroge aussi le rôle du langage, des mots pour dire cet indicible de la vie et de la mort.

Il y a aussi, entre tous ces poèmes qui questionnent notre relation à l'existence dans cet univers, d'autres qui forment des pauses de temps suspendu, d'une plénitude, d'une beauté solaires.
Tous les textes sont magnifiques, et souvent je me suis pris à relire à voix haute certaines phrases, ou même tout le poème.


le recueil Un instinct de ciel, référence à une phrase de Mallarmé, est divisé en trois parties, avec, chaque fois, référence à un texte de Stéphane Mallarmé.

Les textes des poèmes sont plus longs, d'une prose poétique fluide.
C'est, tout au long, un questionnement sur le sens de la vie humaine. D'ailleurs, il y a parfois des paragraphes totalement faits de phrases interrogatives.
C'est parfois dur, l'évocation de la mort et de la décomposition des corps bouscule. Les derniers poèmes sont douloureux.
Mais ce n'est jamais morbide. Car, le sens de la vie, comme il le dit dans ces quelques phrases, c'est de continuer son chemin de vie, d'accomplir son être, et d'aller vers les autres :
«Je suis ce fil que je dévide et sur lequel j'avance. Marche et chemin tout à la fois. Et vers qui d'autre que moi-même…..Ai-je rien fait d'autre qu'apprendre à marcher, un peu moins boiteux, un peu mieux capable d'aller et venir, comme d'approcher le coeur d'autrui,…. »
Il y a du Pascal, du Camus, dans ces pages.

Je m'arrête là. Je ne peux, ni ne veux commenter tous les poèmes de ce livre, ni développer tous les autres thèmes qu'il évoque encore.
J'espère vous avoir donné envie de le lire. Pour ce qui me concerne, c'est le genre de livre destiné à être un de mes livres de chevet, tant pour sa beauté formelle que pour la « nourriture métaphysique » qu'il m'apporte.
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Il y a dans l'écriture de Jean-Michel Maulpoix, dans ce recueil réunissant entre autres textes Une histoire de bleu et L'instinct du Ciel, une poésie qui dès les premières pages séduit. Par un lyrisme subtil, un rythme tout en retenue, les textes agissent comme une révélation, une recherche d'intimité et d'unité avec soi-même mais aussi avec les autres. Loin de se refermer sur soi, l'intimité est, dans l'écriture de Jean-Michel Maulpoix, un principe d'ouverture à autrui et au monde, l'intuition d'une possible rencontre, d'un moment où se noue la fidélité.
Fidélité à ce que nous sommes chacun mais aussi à ce que nous sommes au regard des autres et du monde. La prose du poète touche par son climat, par la simplicité de ses mots, de ses images ralliant à lui le commun et l'étrange, le présent et l'ailleurs, la douceur et l'âpreté de la vie. Pas de surcroît de sens, pas de style opaque chez Jean-Michel Maulpoix mais un langage essentiel, une intention dévoilée qui affleure la conscience et la sensibilité du lecteur. Une très belle lecture.

"Compose avec ce bleu
Cette histoire t'appartient. Tu ne pourras jamais te défaire de tout le vague qui s'accumule en toi : tu t'y emploieras, c'est assez. Dresse-toi sur tes faiblesses autant que sur tes forces : ne résiste pas à celui que tu es. Sache reconnaître combien le ciel est pauvre tandis que la terre mélange la misère à la beauté. Dans les yeux de tes semblables, l'infini n'est jamais monotone. Tes limites sont certaines : fais en sorte qu'elles soient vraiment tiennes. Ne fais pas de l'oubli un mauvais usage. Garde en réserve de l'espérance pour les heures de disette : il te faudra quelque jour rendre des comptes."
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Le bleu de l'encre de Jean Michel Maulpoix se déverse, plonge dans nos espaces. Dans le ciel, dans les mers, dans les larmes de nos fenêtres, le long des vitres des taxis.
Il est le mouvement d'une robe, il est la note du saxophone. Il est dans le froissement des songes. Il y prend forme.
Maulpoix ne rêve pas en bleu, il le perçoit si fort qu'il n'en reviendra pas. C'est la couleur de l'exode, des retours, du premier jour.
La poésie de Maulpoix : Tant bleu dans nos âmes méritait bien cette histoire.
A lire, relire, prendre et reprendre.
Astrid SHRIQUI GARAIN
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Ceci est une critique.
Le livre m ouvre des sensations.
Comment pourrais je vous convaincre de vous y arrêter un instant ?

Il a cette force de supprimer les mots habituels pour en placer d autres, plus beaux, et soudain, l image se colorise et devient plus encore une réalité.

Il a cette force de décrire un ressenti par des allégories vivantes, mots assemblés qui s infiltrent et se mélangent dans notre conscience pour devenir devant nos yeux un vrai tableau que l on ne se lasse pas de lire et relire.

Il a cette force de faire de la poésie un petit chemin à côté de la route altérée par l habitude. Et l on s y promène dessus, effaré par tant de beautés.

Il a cette force de tout nous dire par l invisibilité des mots, encre étrange qui trouve petit à petit sa couleur.

Il a cette force de rendre humaine la mort et de matérialiser son ombre et son odeur, frisson derrière l échine.

Il a cette force religieuse de ne plus croire, et d absoudre l église dans sa croyance déçue.

Il a cette force de jouer avec les couleurs comme on jouerait avec les douleurs.

Il a cette force de faire de l insondable une terre fertile sur laquelle s étend notre regard.

Il a cette force, par sa fièvre créatrice et des phrases parfois compliquées , de rendre simple la poésie, doigts géniaux qui caressent notre compréhension.

Il a cette force de poser un baiser sur le front de la nostalgie.

Il a eu cette force de faire de mon coeur subjugué le créateur de chacune de ses phrases.

J ai écrit ces mots directement dans son livre, griffés au bout de chaque lecture, un peu ma manière à moi de le remercier.

Lisez ce poète. Lisez ce poète. Lisez ce poète.
C est finalement mon seul résumé.

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Comme tous les poètes, Jean-Michel Maulpoix est un être tourmenté, hanté par un questionnement sur sa propre vie. Amoureux du bleu, de la mer, des grands espaces et de "l'instinct de ciel", il aspire à autre chose. Sa poésie est simple, belle, limpide. On y découvre sa vie en filigrane et on l'imagine. J'ai découvert Maulpoix à la fac, où il était mon prof de poésie en prose et je dois dire que j'ai été surprise de la qualité de ses oeuvres. Une poésie moderne, qui n'a rien d'obscur.
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Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
Les femmes aux yeux noirs ont le regard bleu.
Bleue est la couleur du regard,
du dedans de l’âme et de la pensée,
de l’attente, de la rêverie et du sommeil.

Il nous plait de confondre toutes les couleurs en une.
Avec le vent, la mer, la neige, le rose très doux des peaux, le rouge à lèvres des rires, les cernes blancs de l’insomnie autour du vert des yeux, et les dorures fanées des feuilles qui s’écaillent, nous fabriquons du bleu.

Nous rêvons d’une terre bleue, d’une terre de couleur ronde,
neuve comme au premier jour,

et courbe ainsi qu’un corps de femme.


(p38)
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Neuf jours sur la mer comme dans une église.

Seul avec les dieux, avec leur absence.
La pression de leurs mains invisibles sur mes épaules.
Seul à comparaître devant le bleu.
Dans le grand dimanche de la mer.
Buvant l'espace comme un ivrogne.
Des goulées d'angoisses et de croyance.
Désireux d'ajouter encore du ciel au ciel et de l'eau salée à la mer …

J'aime allumer une cigarette au milieu de la mer.
C'est un minuscule point rouge sur le bleu.
Un point d'incandescence, de grésillement et de chaleur.
Il signifie que j'existe :
je suis une graine, une pépite d'homme, une parcelle d'âme en larmes,

prête à s'agenouiller comme à disparaître.


(p103)
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Le goût du jour

Le premier janvier à treize heures, un pigeon s'est posé sur la tête chauve de
Paul
Verlaine.

Cette année encore, il ne neigera pas.
Arthur continue de raser les murs.
II porte un sac à dos de cuir.

Le ministre du calcul mental a soufflé sous les lambris les trente-sept bougies de son centième anniversaire.

Marie a deux trous rouges au côté droit.
Elle dort.
Le menton contre la poitrine.
D'un si beau sommeil d'image peinte.

Chaque fois, je me répète la même chose : je n'écrirai plus de poèmes.
C'est déjà de l'histoire ancienne.

Pourtant, ça me reprend, cette envie bizarre, ce curieux besoin de paroles hâtives, de discorde et de bruit.

Je n'ai rien à dire, mais j'espère.
Comme si quelque chose allait se passer.
Comme si quelqu'un allait venir.

L'amour est un cargo chinois qui rouille.
Les seins des femmes portent le deuil.
Mais le noir leur va bien.

Beau temps pour se perdre en cette fin de siècle.
Nous n'irons plus au bois.
Les lauriers sont coupés.

Je ne prête cette fois aucune attention aux paroles que vous attendez de moi.
Je ne suis qu'un hoquet d'ivrogne.

La poésie est une vieille chienne qui sait prendre seule son plaisir en arrosant les réverbères.

Je compte les heures qui me séparent de ma mort. Ça me fait rire aux larmes.
Pardonnez-moi, je grince.

Je suis une porte qui bat.
Tout ce qu'il reste des maisons que j'ai pu rêver de construire.

Avec vue sur la mer et balcons de bois peint.
Le dimanche, tous ensemble, on trempait dans le thé de petits gâteaux secs.

Près de la plage, au bord du bleu...
C'est rire pour ne pas en pleurer, bien sûr, vous m'avez compris.

Le poème ?
Une vaisselle brisée.
L'héritage de grand-mère qui m'apprit à écrire, naguère, dans la cuisine.

Je suis si seul depuis sa mort : il m'a fallu noircir quantité de papiers.
Personne n'a noté cette absence.

J'écris pour oublier quelqu'un.
Comme d'autres boivent ou font la fête.
J'écris pour lui être fidèle.
C'est pareil.

La poésie, disais-je, est une vieille chienne qui aboie contre les enfants des autres.
Elle ne mord plus.

Tout cet amour qu'on n'aura pas.
Cet amour qu'on ne fera plus.
L'espérance n'est plus à la mode.

Trop de gens cherchent du travail.
Moi, je cherche mes mots.
Je collectionne les dictionnaires et les anthologies.

La fabrique de silence embauche.
Elle lait un excellent chiffre d'affaires.
On chuchote que le temps s'enfuit.

On n'entend pas crier les morts.
Ni le bruit des obus en fleurs.
La télévision marche toute seule.

Les citernes d'Afrique sont vides.
Nos pleurs de crocodiles ne les ont pas remplies.
La charité a du chagrin.

Le
Dieu s'occupe de ses affaires.
Sa soutane est d'un blanc parfait.
Il porte des chaussures de toile.

L'herbe même se demande à quoi bon reverdir.
Le paysage a pris de l'âge.
C'est curieux, autant de fatigue.

Sale temps pour l'amour en cette fin de siècle.
Nous n'irons plus à la piscine : les bassins sont vidés.

La poésie est une vieille chienne. Ça la fait rire, ces os de lapin dans les poubelles et ces puces qui la grattent.

Ça l'amuse un peu de n'être plus rien, et de jouer à faire rimer ensemble la tristesse d'autrui et la sienne.

Fumeur, ou non fumeur ?
Avec sel ou sans sel ?
Je les préfère d'un blond très doux, ou très brunes aux yeux bleus.

C'est faux, ce que j'affirmais tout à l'heure : pour une fois, je fais attention à ne dire que la vérité.

Les photographies de femmes nues sont des avions de chasse.
En piqué, droit sur le boulevard.
Arrêtées aux feux rouges.

Moi, je traverse dans les clous.
Quand trouverez-vous la cisaille qui nous délivrera de ces barbelés ?

Nous reprendrons goût au lyrisme, je vous le certifie.
L'enthousiasme nous reviendra.
Avec des cris intempestifs.

Pas celui des ânes qui vont brouter derrière l'église et qui écoutent dévotement sonner les cloches.

Celui plutôt de la mitraille et de l'explosif.
Celui qui accompagne au loin de longs convois d'enfants blessés.

Je sais de quoi je parle : je suis né un jour d'armistice.
A portée de fusil des morts.
J'ai le cœur plutôt pacifiste.

Je n'ai pas déposé les armes.
Vous voyez, je cherche mes phrases.
C'est dire que je crois encore à des choses.

Chaque fois que la nuit tombe, j'ai le mal de la lumière.
La nuit, je ne prends plus la mer.
Mon sommeil reste au port

La poésie, je le répète, est une vieille femme qui soulève le rideau et qui observe les passants par la fenêtre.

Clouée dans son fauteuil par son arthrose et ses varices, elle regarde les jolies filles qui défilent à la télévision.

Depuis longtemps, elle ne jouit plus, et fait collection de timbres, de porte-clefs, de pin's et de cartes postales.

Des quatre coins du monde, depuis que le monde est carré, brillant et coloré comme un verre de
Venise.

Il y a toujours de vieux fous pour lui expédier des nouvelles et l'assurer qu'ils pensent à elle de tout leur cœur.

Bons baisers de partout !
D'aucuns parlent de la clairière, de la margelle du puits, et de la clameur des grands vents.

Ils affirment qu'un dieu furtif vient parfois loger son immense amour dans une embellie de paroles bien accordées.

Ils abusent cette infirme, rivée à sa chaise de misère, qui a appris à lire dans les livres des autres.

Elle aime croire à ces choses.
Ces mots lui font du bien.
Ils rendent un joli son.
Sa vie n'est plus si grise.

D'aucuns prétendent que le poème fait se lever le jour, ou que la poésie vient à bout de l'obscurité.

C'est redire deux fois la même chose.
Qu'ils aillent donc se faire foutre !
Je n'aime pas la croyance.

Je la veux sans espoir, nue sur une chaise de paille, comme une femme qui se donne pour rien au premier venu.

Je n'ai guère de goût pour les prouesses de cirque et les cartes truquées.
Je ne fais pas commerce.

Je me contente pour mon salut de la dose d'espoir minimum qui permet à un homme de se relever le matin.

Si par surcroît les mots offrent un peu d'amour, je ne le refuserai pas : c'est une denrée rare, il me semble.

Le vrai, celui des autres qui s'en vont deux par deux dans la tiédeur d'un soir, avec des regards et des rires.

Celui-là ne se discute pas.
On voudrait plutôt l'apprendre par cœur, et le réciter à voix haute.

Comme un poème du père
Hugo ou de
Ronsard cueillant des roses dans son jardin à l'heure où la campagne blanchit.

Après tout, c'était pas si mal, ce bruit d'horloge ou de violoncelle du cœur bien accordé.

Dans une poitrine heureuse, la parole naguère rendait de beaux sons.
Parfois, on se prenait à croire.

La poésie me dit : «
Ne touche pas à mes seins. »
Je lui réponds : «
Evitez, je vous prie, de me téléphoner le soir.

Surtout après huit heures.
Je reprise mes chaussettes et repasse mes leçons.
Je voudrais y voir clair.

Je réapprends, seul, à parler.
Je n'aime pas que l'on me dérange.
Ma tristesse est la seule chose qui m'appartienne. »

Inutile de mentir : la poésie, en vérité, ne me demande rien.
C'est moi qui voudrais lui causer.
Elle fait la sourde oreille.

Et ma mémoire est si mauvaise que c'est à peine si je me souviens d'avoir vécu.
Je ne reconnais plus mon ombre.

J'ai dû manquer quelqu'un, ou quelqu'un a dû me manquer, sans même que je m'en aperçoive, à l'arrêt de l'autobus

Pour trouver si peu de goût aujourd'hui, à ce qui m'entoure, si peu de choses qui vaillent la peine.

A moins que ce ne soit le monde qui ne ressemble pas aux idées que l'enfant que je fus s'en était faites.

J'ai renoncé et j'ai vieilli, ne voyant plus passer les heures, mangeant vite et dormant profond.

Ma vie même ne m'appartient plus.
J'ai oublié d'être quelqu'un.
J'attends celle qui me prouvera le contraire.

Le cœur nu comme un ongle.
Du sparadrap collé aux lèvres, mon amour essaie de chanter.
Sa grimace ne rend aucun son.

Adieu marines et beaux dimanches, le souvenir des cahiers neufs.
Manteau rouge de la petite fille.

Seule à la sortie de l'usine : un oiseau de faïence sur la cheminée, mais pas de quoi en faire un plat !

C'est curieux, ce besoin d'en repasser périodiquement par une sorte de galimatias pour se baigner dans la musique !

De la prose, encore de la prose : la poésie viendra plus tard, avec le petit camion noir, les chrysanthèmes et les couronnes.

Les mots se chargent de la mort, pour la vie on se débrouille seul.
Les oreilles d'autrui sont distraites.

J'ai l'âme un peu humide et le cœur plutôt sec.
Je ne porte pas encore de lunettes.
Mes deux tempes ont blanchi.

Je nage comme un poisson perdu au fond d'un bois, un morceau de pain dans la soupe, un caillot de sang dans un cœur.

Je touche la nuit avec les doigts.
Chaque matin je caresse le ciel quand ses paupières sont encore chaudes.

J'aime les buvards, les bouteilles d'encre, la mémoire qui fait mal et les étoiles filantes.

J'aime l'amour de
Marie : notre vie somme toute n'est pas si monotone.
Nous nous aimons souvent dans des pièces vides.

D'un jour à l'autre, on se répète : «
Je voudrais être une phrase nouvelle, avec des mots pas encore dits ».

Je rouille comme un cargo chinois transportant de la trinitrine sur les eaux vertes du
Pacifique.

Et cent vingt mille tonnes d'apparences paisibles à échanger contre l'uranium enrichi d'un simple cri de joie.

Avec un accent circonflexe, juste au-dessus du
A majuscule du mot amour.
Je suis sûr que mon âme, alors, se sentirait mieux.

Tirer, tirer sur l'élastique de la mélancolie : qu'il claque entre mes doigts.
Que le ciel pousse un cri !

Les oiseaux, pour leurs chants, ne touchent qu'un bien maigre salaire.
Pas de quoi nourrir la nichée.

Avec tous ces impôts en plus, payés cash sur le bleu, pour venir en aide à la solitude nocturne des étoiles.

Les bas noirs ont filé.
La robe de bal se mite.
L'or des vieux bijoux se ternit.
La poésie, pourtant, a de beaux restes.
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Convalescence du bleu après l'averse...

Le ciel se recolore. Les arbres s'égouttent et le pavé boit. La ville aussi essaie des phrases. Rires mouillés et pluie de pieds nus. On dirait que le paysage est tout éclaboussé de croyance.

On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener ses parfums, tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier.

On voudrait, on regarde, on sait qu'on ne peut en faire plus et qu'il suffit de rester là, debout dans la lumière, dépourvu de gestes et de mots, avec ce désir d'amour un peu bête dont le paysage n'a que faire, mais dont on croit savoir qu'il ne s'enfièvre pas pour rien, puisque l'amour précisément est notre tâche, notre devoir, quand bien même serait-il aussi frêle que ces gouttes d'eau d'après l'averse tombant dans l'herbe du jardin.

(extrait de "Le regard bleu") - p. 35
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Le bleu ne fait pas de bruit.

C'est une couleur timide, sans arrière pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge, mais qui l'attire à soi, l'apprivoise peu à peu, le laisse venir sans le presser, de sorte qu'en elle, il s'enfonce et se noie dans se rendre compte de rien.
.
Le bleu est une couleur propice à la disparition.
Une couleur où mourir, une couleur qui délivre, la couleur même de l'âme après qu'elle s'est déshabillée du corps, après qu''a giclé tout le sang et que se sont vidés les viscères, les poches de tourtes sortes, déménageant une fois pour toutes le mobilier de ses pensées.

Indéfiniment, le bleu s'évade..
Ce n'est pas, à vrai dire, une couleur. Plutôt une tonalité, un climat, une résonance spéciale de l'air. Un empilement de clarté, une teinte qui naît du vide ajouté au vide, aussi changeante et transparente dans la tête de l'homme que dans les cieux.
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Vidéo de Jean-Michel Maulpoix
Jean-Michel MAULPOIX – En son for intérieur (France Culture, 1996) L’émission « Poètes en pied », série d’été de « For intérieur », par Olivier Germain-Thomas, diffusée le 3 août 1996. Invité : le poète en personne. Mise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant, dans l'unique objet de perpétuer la Poésie française.
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