Je ne connaissais
Jean-Michel Maulpoix que par l'analyse remarquable qu'il a faite de l'
oeuvre poétique de
Philippe Jaccottet, un poète que j'admire et dont je chéris la poésie.
Ce sont les commentaires passionnants de mes amies et amis babeliotes, Hordedu Contrevent, jvermeer et Pasoa qui m'ont amené à lire ce livre dans lequel le recueil
Une histoire de bleu est suivi par celui intitulé Un instinct de ciel.
Ce sont deux recueils merveilleux, sublimes, avec une forte dimension métaphysique, dont le fil conducteur est de questionner avec acuité et parfois pessimisme le sens de notre vie humaine.
Il y a, je trouve, filiation avec
Baudelaire, le
Baudelaire de Spleen et Idéal, de Mort.
Quelques remarques d'abord sur la construction du recueil
Une histoire de bleu.
Il comporte des textes plus brefs que l'autre recueil, et rassemblés en 9 chapitres. L'auteur a-t-il choisi ce chiffre sciemment, sachant qu'en numérologie il est associé à la couleur bleu marine, et qu'il symbolise l'idéal, la perfection, la vie et l'amour? Je ne sais pas, mais c'est troublant.
L'ensemble est structuré de manière symétrique autour du cinquième chapitre le grand pavois, le seul intégralement écrit en vers libres, qui représente une sorte de césure dans le recueil, et dont l'objet est une critique
du lyrisme de pacotille
de la poésie associée au bleu.
Le bleu est le thème sous-jacent, avec ses messagers métaphoriques: la mer, le ciel, l'amour.
Le premier poème annonce tout de suite la « couleur », qui va parcourir tout le recueil, celle de l'insaisissable, et aussi de la finitude de l'être humain.
“ Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s'éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l'amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains. »
La mer d'abord, changeante, , « la mer, la mer, toujours recommencée », comme l'a écrit
Paul Valéry avec lequel le poète a, je trouve, une parenté. La mer, semblable à la destinée incertaine des êtres humains, mais aussi la mer immuable qui sera toujours là quand nous ne serons plus.
Le ciel comme image de l'idéal, du sacré. Et si Dieu, les dieux, ne sont pour l'auteur qu'une invention humaine, le besoin de sacré est là sans que l'on en comprenne le sens. Il y a d'ailleurs un magnifique poème intitulé Ame, qui questionne son existence:
« Pour cela dont on ne sait rien. Sinon la question sourde. La demande obstinée. …. »
Tout le chapitre « Une incertaine église » développe aussi ce thème. Ainsi:
« Orthodoxie du bleu.
Il va pieds nus derrière le bleu.
Il marchera longtemps vers l'horizon, sous l'abside fortifiée du ciel. Pour le grand sacerdoce de la mer et sa liturgie d'algues sombres. »
L'amour, enfin, amour maternel qui se conjugue au passé, et le poète a des mots bouleversants pour le dire.
Et l'amour de la femme, amour du regard bleu, mais amour impossible à vivre.
A ces trois thèmes, s'ajoute l'acceptation de la mort, de notre finitude. Là encore, des textes beaux et troublants, à lire et relire, à méditer,comme celui-ci:
« La mort est fragile comme l'amour. La mort est en nous l'idée la plus belle, l'idée mère, l'idée douce et sans bornes, la seule idée point trop folle pour laquelle on puisse avoir encore le goût de vivre ».
Le poète interroge aussi le rôle du langage, des mots pour dire cet indicible de la vie et de la mort.
Il y a aussi, entre tous ces poèmes qui questionnent notre relation à l'existence dans cet univers, d'autres qui forment des pauses de temps suspendu, d'une plénitude, d'une beauté solaires.
Tous les textes sont magnifiques, et souvent je me suis pris à relire à voix haute certaines phrases, ou même tout le poème.
le recueil Un instinct de ciel, référence à une phrase de Mallarmé, est divisé en trois parties, avec, chaque fois, référence à un texte de
Stéphane Mallarmé.
Les textes des poèmes sont plus longs, d'une prose poétique fluide.
C'est, tout au long, un questionnement sur le sens de la vie humaine. D'ailleurs, il y a parfois des paragraphes totalement faits de phrases interrogatives.
C'est parfois dur, l'évocation de la mort et de la décomposition des corps bouscule. Les derniers poèmes sont douloureux.
Mais ce n'est jamais morbide. Car, le sens de la vie, comme il le dit dans ces quelques phrases, c'est de continuer son chemin de vie, d'accomplir son être, et d'aller vers les autres :
«Je suis ce fil que je dévide et sur lequel j'avance. Marche et chemin tout à la fois. Et vers qui d'autre que moi-même…..Ai-je rien fait d'autre qu'apprendre à marcher, un peu moins boiteux, un peu mieux capable d'aller et venir, comme d'approcher le coeur d'autrui,…. »
Il y a du Pascal, du Camus, dans ces pages.
Je m'arrête là. Je ne peux, ni ne veux commenter tous les poèmes de ce livre, ni développer tous les autres thèmes qu'il évoque encore.
J'espère vous avoir donné envie de le lire. Pour ce qui me concerne, c'est le genre de livre destiné à être un de mes livres de chevet, tant pour sa beauté formelle que pour la « nourriture métaphysique » qu'il m'apporte.