Publiée en 1998 et traduite en français cette année, "
Et devant moi, le monde" est l'autobiographie de
Joyce Maynard, journaliste et romancière américaine à qui l'on doit notamment les romans "
Prête à tout" et "
Long week-end".
Issue d'une famille formée par une soeur qui s'illustre dans plusieurs concours littéraires, une mère intrusive qui la prive de son intimité et un père dont l'alcoolisme demeure un sujet tabou,
Joyce Maynard tente de trouver sa place au sein de cette tribu pour qui le bien-être passe après l'éducation et la réussite.
Etudiante à l'université de Yale, elle est une jeune femme repliée sur elle-même qui évite de se mêler à ses camarades et cultive plusieurs obsessions : rester mince, renoncer à sa virginité et connaître le succès.
A 18 ans, elle rédige un article pour le New York Times Magazine.
Ce témoignage qui laisse entrevoir le désenchantement de toute une génération suscite de vives réactions et vaut à la jeune femme de recevoir plusieurs centaines de lettres.
L'une d'entre elles, provenant d'un certain J.D Salinger, signe le début d'une longue correspondance entre la jeune étudiante et l'écrivain confirmé.
Il lui parle d'édition, d'homéopathie, de cinéma des années 30 et de ses enfants qui lui tiennent tant à coeur tandis qu'elle évoque ses cours et son quotidien sur le campus.
Flagorneur et bienveillant, l'écrivain se montre des plus enthousiastes quant à son talent et n'hésite pas à lui prodiguer des conseils visant à la détourner des personnes susceptibles de dénaturer son écriture.
Tombée sous le charme de l'homme avant l'oeuvre (qu'elle ne découvrira que plus tard) malgré une différence d'âge de 35 ans, la jeune Joyce voit en lui la seule personne en mesure de pouvoir la comprendre, lui qui tout comme elle vit dans la réclusion volontaire.
Elle n'hésite d'ailleurs pas à renoncer rapidement à sa bourse d'études pour vivre pleinement cette nouvelle passion fusionnelle à Cornish, la propriété de Salinger.
Mais au fil des jours, l'homme se montre de plus en plus critique et autoritaire à son égard, l'isolant des éditeurs et de sa famille et la sommant de renoncer aux futiles occupations de son âge pour se concentrer sur l'essentiel : l'écriture et la méditation.
Soumise à un régime alimentaire drastique et en proie à plusieurs blocages physiques et psychologiques, la jeune femme se montre
prête à tout pour mériter l'attention de son "mentor" qui jugera bon de la rejeter sans plus d'explications.
Bien que de courte durée, cette relation destructrice continuera de la hanter bien des années plus tard...
Divisée en une vingtaine de chapitres, cette autobiographie retrace 3 périodes intimement liées de la vie de
Joyce Maynard : l'avant, le pendant et l'après-Salinger.
Si le sujet au centre de cette autobiographie - la perversion narcissique- m'intéressait davantage que son aspect pipole, je dois bien reconnaître que je ne serai désormais plus en mesure de relire Salinger (pour autant que cela arrive un jour, "L'Attrape-coeurs" ne m'ayant pas plu du tout) sans penser à l'homme infect dépeint ici.
Et pourtant on ne peut pas dire que
Joyce Maynard se perde en insultes à l'égard de cet homme dont elle ne diffuse d'ailleurs pas les lettres.
L'auteure qui a souffert toute sa vie du poids des non-dits a entrepris de se libérer de son passé de la façon la plus élégante qui soit, en laissant de côté le ton revanchard pour ne s'en tenir qu'aux faits (largement suffisants d'ailleurs que pour en déduire les conclusions qui s'imposent).
Comment peut-on prétendre aimer éperdument quelqu'un pour ce qu'il est pour ensuite le casser dans son être au point qu'il en reste affecté durant des années? Il est terrible de constater comme les faiblesses de cette jeune femme naïve et dépendante affective ont pu être exploitées par un homme plus âgé qu'elle soucieux de la transformer et qui, n'y parvenant pas assez à son goût, la congédie du jour au lendemain en la laissant endosser toute la culpabilité de cet échec.
Même si
Joyce Maynard s'est reconstruit une vie après son éviction de la "secte Salinger", elle n'a jamais vraiment réussi à repartir à O malgré ses déménagements, son mariage, la naissance de ses 3 enfants, mais a continué à mener sa barque "malgré lui" avec encore le vain espoir qu'ils puissent un jour reprendre contact.
Mais lorsqu'elle entreprend de rédiger cette autobiographie, les résultats de ses recherches anéantissent sa dernière illusion. Il y eut d'autres lettres adressées à des femmes tout aussi jeunes.
Et voilà que 20 ans après la rupture, elle tombe sur l'une d'entre elles alors qu'elle est venue dire adieu et poser une seule question à cet homme qu'elle a tant aimé et qui continue de la mépriser pour ses choix de vie pourtant fort courageux.
J'ai réellement été révoltée par ce parcours de femme si violemment marqué par la manipulation d'un seul homme comme j'ai été touchée par l'écriture pudique et tout en dignité de
Joyce Maynard qui parvient à sortir du champ circonscrit de l'intimité pour s'étendre à un puissant témoignage sur la violence psychologique et ses ravages.
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