AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Lise Belperron (Traducteur)
EAN : 9782413043355
224 pages
La Croisée (02/03/2022)
2.68/5   30 notes
Résumé :
Elles sont deux ombres dans la fourmillante ville de Madrid : María qui, en 1969, a abandonné famille et enfant pour servir des gens plus riches qu’elle ; et Alicia qui, en 2018, vit et se perd dans un boulot et une relation précaires.
Elles sont deux trajectoires contrariées, deux femmes sous le joug d’un mari, d’un employeur, d’une condition sociale dont elles ne s’extraient pas.
Elles voudraient enfin, un jour, s’appartenir.

« Dans le... >Voir plus
Que lire après Les MerveillesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
2,68

sur 30 notes
5
1 avis
4
7 avis
3
3 avis
2
4 avis
1
0 avis
Je ne vais pas m'attarder sur ce roman que j'ai abandonné après avoir lu la moitié. le fait que l'histoire se passe en Espagne et principalement Madrid est un plus et je n'ai pas manqué de découvrir les quartiers, les rues dont il est question ici mais ce n'est pas un guide touristique et je n'ai pas du tout accroché avec le style. La chronologie m'a déroutée, les personnages ne m'ont pas plu.
La 4ème de couv est très vendeuse, il est même fait référence à Annie Ernaux et Almudena Grandes mais il faut vraiment chercher pour faire soi-même un lien.
Je peux lire ça et là que c'est un roman social fort, et bien pour moi il est juste fort ennuyeux. Je n'arrive pas à m'y intéresser. Il connaît, apparemment un beau succès en Espagne...
Commenter  J’apprécie          391
Maria, trop jeune maman, issue d'un milieu très modeste doit confier sa fille à sa famille et partir travailler à Madrid comme femme de ménage, voire comme nounou pour des enfants plus chanceux que Carmen. Nous sommes à la fin des années 60 et Maria va constater que le lien avec sa fille, déjà très ténu (elle accomplit mécaniquement les soins quand elle s'en occupe sporadiquement) va se déliter. Maria va peu à peu s'affranchir de ce que la société attendait d'elle et gagner en indépendance, financière (même si ses revenus restent modestes), intellectuelle et même sentimentale .
Quant à Alicia, que nous suivons dans les années 2000, elle a subi plusieurs traumatismes, dont un déclassement social. Elle a elle aussi coupé tout lien avec sa famille et analyse froidement ses relations avec les hommes. Nous avons ainsi droit à une description quasi clinique de relations sexuelles où les deux partenaires sont réduits à "quelqu'un", soulignant ainsi leur côté interchangeable.
Toutes deux évoluent dans Madrid, ville qui devient un personnage à part entière, et leurs parcours sont plus ou moins pénibles, car marqués par le fait qu'elles sont des femmes dans un espace public dédié aux hommes, mais aussi des travailleuses pauvres qui doivent emprunter des transports en commun mal commodes.
Ces deux récits d'émancipation à des époques différentes soulignent bien l'importance de l'argent dont le manque conditionne la destinée (pas d'études, des boulots précaires où l'on peut vous remplacer par encore plus pauvres que vous...) mais aussi une certaine forme de solidarité (non idéalisée). Les relations familiales elles aussi sont peintes sans fard et même si les héroïnes semblent faire l'économie des sentiments, comme corsetées dans une armure protectrice, elles n'en demeurent pas moins attachantes. Un roman que j'ai dévoré d'une traite.
Commenter  J’apprécie          150
2018, Madrid. Une manifestation est en cours. Maria, une femme âgée, décide de s'y rendre. Alicia, une jeune femme, s'y retrouve par hasard. C'est l'occasion pour chacune d'entre elles d'égrener leurs souvenirs et leurs difficultés à s'en sortir à plus d'une reprise. Maria sait ce qu'être pauvre signifie, ayant dû quitter sa Cordoue natale et ayant dû laisser derrière elle Carmen, sa fille, afin de pouvoir trouver du travail. Quant à Alicia, elle a d'abord su ce qu'était vivre dans l'opulence, jusqu'au terrible drame familial, qui va l'obliger à changer totalement de mode de vie.

C'est un roman très intéressant que je découvre ici. L'auteure soulève des interrogations constantes et qui poussent à réfléchir le lecteur tout au fil des pages. Elena va nous proposer une fine analyse sociétale et donner à réfléchir sur la place de l'argent dans le quotidien de chacun de ses personnages féminins.

Pour cela, elle va s'aider de plusieurs temporalités dans le récit, afin de nous raconter au mieux comment chacun des personnages féminins s'en sort au quotidien. J'ai trouvé cela très intéressant.

Elena propose des personnages denses et finement esquissés, même si parfois il m'a quelque peu manqué le facteur émotion dans le récit. J'ai beaucoup aimé suivre le quotidien de ces femmes. Ce roman est tout en introspection, il ne faut donc pas s'attendre à de l'action, sous peine de se retrouver déçu.

La plume de l'auteure m'a plu. J'ai beaucoup aimé le schéma narratif, passant d'une époque à l'autre et d'un personnage à l'autre. Je ne m'y suis jamais perdue, l'auteure veillant à insérer une indication spatio-temporelle au début de chaque chapitre.

Un roman abordant des thématiques intéressantes avec beaucoup de finesse. Les personnages sont très bien esquissées. Une bonne découverte littéraire.
Lien : https://mavoixauchapitre.hom..
Commenter  J’apprécie          180
Premier roman profondément social, Les Merveilles nous dépeint plusieurs générations de femmes espagnoles dont les emblèmes sont, d'un côté, Maria, fille-mère qui a dû, dans les années 1960, quitter sa famille et sa fille pour subvenir à ses besoins ; de l'autre, Alicia, jeune femme mariée par défaut à un homme qu'elle n'apprécie que peu, qui ne veut pas avoir d'enfant, vivotant par la précarité de son petit boulot de serveuse.

A travers elles, bien sûr, le manque d'argent, qui permet de vivre juste convenablement, est criant ; mais le manque d'amour véritable, de considération, de liberté, est aussi là, en sourdine, malgré tout responsable de tous leurs faits et gestes. Car ces femmes symbolisent tous les non-dits, toutes les acceptations, plus ou moins conscientes, toutes les entorses faites à leurs désirs, dévolus à leur statut même de femme, peu importe l'époque, ou le statut social dans lesquels elles évoluent.

Réalisme social, servi par une plume simple mais efficace, et analyse sociologique précise de la condition féminine, se mêlent ainsi parfaitement, dans un premier roman prometteur, à la lecture aisée, qui porte à réflexion.

Je remercie les éditions La Croisée et NetGalley de m'en avoir permis la découverte.
Commenter  J’apprécie          120
Ce roman est une ouverture sur la vie madrilène à travers les prismes de trois existences de femmes de la classe ouvrière, aux antipodes l'une de l'autre, et qui appartiennent pourtant à la même lignée familiale : elles sont en effet grand-mère, mère, fille. C'est un texte que l'on peut qualifier de féministe même si pour moi, il tend à réparer des désavantages injustices dont ont été affligées le sexe qu'on se plaît à dire faible. J'ai perçu ce roman comme un hommage, une réhabilitation.

En premier lieu, ce texte m'a déstabilisée. S'il est question de trois femmes d'une même famille, génétiquement parlant, elles ne se côtoient pas ou plus - certaines d'entre elles ne se connaissent même pas. Et comme pour accentuer cet état de fait, cette absence ou cette rupture de relations, les chapitres se succèdent sans suivre aucun ordre précis. La rupture est ainsi totale. Chronologique, narrative, filiale aussi. Il nous faut donc prendre le temps de quelques chapitres pour appréhender, dans sa globalité, le schéma et l'histoire familiale fracassée. Ses No man's land, ses anomalies et contresens. Maria, Carmen, Alicia. Et aussi quelque part derrière ces trois figures principales, Eva, Chico, et toutes celles et ceux qui ne portent pas de nom.

Si le lien du sang reste le seul fil qui les unit au travers des aléas de la vie, c'est avant tout leur condition de femme qu'elles ont en commun dans un pays ou le dogme catholique est partie prenante de la vie intime et sociale. Elena Medel ne fait pas de façons : il n'y a rien d'autre à faire qu'à lire, observer, comprendre. Lorsqu'une femme avait le malheur de tomber enceinte, il y a encore quinze ans à peine, charge à elle seule d'élever l'enfant si le géniteur avait la riche idée de prendre le large. L'auteure espagnole concentre toute l'attention sur ces trois femmes, en ne tombant pas dans l'écueil de complètement occulter ou condamner les figures masculines. Ne pas tomber dans le piège de la victimisation. Mais plutôt dans la valorisation de ce qu'elles doivent endurer. On y lit des tranches de vie, ces circonstances qui les ont amenées, chacune à sa façàn, à occuper le travail qu'elles exercent - femmes de ménage et vendeuse - et à préserver farouchement leur indépendance, en refusant toute forme d'union conjugale et ainsi de ne pouvoir admirer toutes ces merveilles éponymes que de loin.

Mariage ou célibat, maternité, ou refus de procréer, choix d'une profession, responsabilisation financière de sa vie indépendamment de toute aide masculine, les trois femmes se posent toutes ces questions, en y répondant d'une manière résolument tranchée et autonome. L'auteure est allée explorer en profondeur toutes leurs problématiques personnelles, ces hommes qui dévorent les forces vitales de leur compagne - culture, argent, énergie, jeunesse, temps - ou la pauvreté, au-delà de tout aspect purement vénale, les aliène à cette absence de liberté, d'être elle-même, de s'épanouir en tant que telle. C'est le pouvoir véritable de ces Merveilles, qui en réalité représente le luxe de s'exprimer, de réfléchir à voix haute, de contredire, de débattre. Voilà la véritable valeur de ces Merveilles.


Les hommes brillent par leur absence, par leur transparence, par leurs faiblesses, lire Les merveilles c'est aussi suivre le lent processus d'émancipation de ces femmes, lesquelles doivent choisir entre pauvreté ou liberté, cette dernière exigeant moult sacrifices. Et cette écriture sans concession, qui vise et appuie précisément là où ça fait mal, vive et terre-à-terre, n'épargne pas même ses modèles féminins, qui sont elles-mêmes partie prenante dans cette mécanique perverse huilée par la possession des billets, l'apanage du pouvoir.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
Commenter  J’apprécie          00


critiques presse (1)
LeMonde
18 avril 2022
Un premier roman bouleversant qui raconte les destins précaires de deux femmes, convergeant lors d’une manifestation féministe, à Madrid.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
Inma et Celia aussi se remémoraient parfois cet après-midi chez Alicia.
Les semaines suivantes, elles avaient eu du mal à expliquer aux autres ce
qui s’était passé : tout le monde leur demandait si elles étaient montées,
si on leur avait montré l’appartement, si elles étaient là quand le
téléphone avait sonné une première fois, ou juste la deuxième. Au début,
Inma répondait : oui, il y avait un téléviseur dans chaque chambre ; oui
on a bu des sodas ; non, on n’est pas restées longtemps, et Celia gardait le
silence. Même quand ses parents lui rapportaient une rumeur qu’ils
avaient entendue au bar du coin, essayant maladroitement de soutenir
leur fille, elle ne voulait pas répondre. Des années plus tard, Celia
commença à ajouter quelques détails : un jour, au lycée, à la pause, elle
se souvint de la couette rose dans la chambre d’Eva ; longtemps après, de
Coimbra, où elle était en Erasmus, elle envoya à Inma un long mail où
elle évoquait ses sensations quand elle repensait à cet après-midi-là, le
contact avec toutes ces richesses impensables pour deux filles comme
elles. Pour la première fois, elle parlait de sa jalousie envers Alicia, qui
ne l’avait pas quittée de l’année, les pulls hors de prix à côté des
ensembles débardeurs-pantalons dont elles devaient se contenter, et pour
la première fois aussi elle parla du soulagement qu’elle avait éprouvé cet
après-midi-là, à la fin de cet après-midi-là, de sa sérénité quand elle était
rentrée chez elle et qu’elle avait trouvé sa mère et sa tante assises sur le
canapé, son petit frère et ses deux cousines en train de finir leurs devoirs ;
son grand-père dans le fauteuil à bascule, les volets baissés, dans une
pénombre voulue. Sa sérénité, aussi, quand elle avait entendu la porte se
fermer derrière sa tante et ses cousines, et plus tard, quand son père était
rentré du travail : elle s’était précipitée dans ses bras, il avait taché son
chemisier avec la graisse du garage. Pour l’objet du message, Celia avait
choisi un mot qui n’avait en apparence rien à voir avec la situation :
« Les merveilles ».
Commenter  J’apprécie          30
C’était une des pires angoisses de Celia, expliquait-elle à Inma, de
repérer des élèves qui pouvaient lui rappeler cette journée. Elle avait
identifié un modèle, qu’elle surnommait « Alicia », doté des mêmes traits
de caractère que son ex-camarade. Une fille qui se sentait supérieure à
tous points de vue, parce qu’elle avait grandi dans une famille plus
fortunée, qu’elle se trouvait plus belle ou plus intelligente, tout en se liant
à des camarades plus pauvres, plus laides, plus bêtes. Comme à la
piscine, quand on s’appuie sur les épaules de quelqu’un pour s’élancer,
qu’on saute en coulant l’autre en même temps. Quelques semaines après
la rentrée, Inma et elle s’appelaient et analysaient leurs élèves : d’abord
avec l’enthousiasme de la nouveauté, puis l’agacement d’une leçon qu’on
connaît par cœur. Celia prétendait que l’exercice était plus difficile pour
Inma, parce qu’on a moins tendance à humaniser ses élèves en cours de
sciences, alors que sa matière, l’histoire de l’art, lui facilitait la tâche :
une Alicia, expliquait Celia, une Alicia, ça ne s’émeut pas. Une Alicia
fait mine de s’émouvoir ; elle ouvre grand les yeux, parce qu’elle sait que
c’est ce qu’il faut faire, ce qu’on attend d’elle. Cette fille s’était
transformée en archétype. Avec les années, face à une Alicia désincarnée,
sans faiblesses ni égards, Inma et Celia – Celia et Inma – étaient
devenues des spectatrices : assises chacune sur une chaise autour de la
table du salon, elles entendaient le téléphone sonner, les propos de
Carmen et les pleurs d’Eva, qu’était-il arrivé à Carmen, qu’était-il arrivé
à Eva ; le silence d’Alicia. Mais le temps les éloigne, les expulse de la
scène ; d’abord assises sur la terrasse pour regarder ce qui se passe dans
le salon, et plus tard dans la rue, de nouveau sur ce passage piéton d’où
elles contemplent l’immense baie vitrée.
— C’est là que le téléphone a sonné, tranchait Celia. Absurde, la façon
dont leur vie a été bouleversée, n’est-ce pas ? Par un simple coup de
téléphone.
Commenter  J’apprécie          30
Inma et Celia aussi se remémoraient parfois cet après-midi chez Alicia.
Les semaines suivantes, elles avaient eu du mal à expliquer aux autres ce
qui s’était passé : tout le monde leur demandait si elles étaient montées,
si on leur avait montré l’appartement, si elles étaient là quand le
téléphone avait sonné une première fois, ou juste la deuxième. Au début,
Inma répondait : oui, il y avait un téléviseur dans chaque chambre ; oui
on a bu des sodas ; non, on n’est pas restées longtemps, et Celia gardait le
silence. Même quand ses parents lui rapportaient une rumeur qu’ils
avaient entendue au bar du coin, essayant maladroitement de soutenir
leur fille, elle ne voulait pas répondre. Des années plus tard, Celia
commença à ajouter quelques détails : un jour, au lycée, à la pause, elle
se souvint de la couette rose dans la chambre d’Eva ; longtemps après, de
Coimbra, où elle était en Erasmus, elle envoya à Inma un long mail où
elle évoquait ses sensations quand elle repensait à cet après-midi-là, le
contact avec toutes ces richesses impensables pour deux filles comme
elles. Pour la première fois, elle parlait de sa jalousie envers Alicia, qui
ne l’avait pas quittée de l’année, les pulls hors de prix à côté des
ensembles débardeurs-pantalons dont elles devaient se contenter, et pour
la première fois aussi elle parla du soulagement qu’elle avait éprouvé cet
après-midi-là, à la fin de cet après-midi-là, de sa sérénité quand elle était
rentrée chez elle et qu’elle avait trouvé sa mère et sa tante assises sur le
canapé, son petit frère et ses deux cousines en train de finir leurs devoirs ;
son grand-père dans le fauteuil à bascule, les volets baissés, dans une
pénombre voulue. Sa sérénité, aussi, quand elle avait entendu la porte se
fermer derrière sa tante et ses cousines, et plus tard, quand son père était
rentré du travail : elle s’était précipitée dans ses bras, il avait taché son
chemisier avec la graisse du garage. Pour l’objet du message, Celia avait
choisi un mot qui n’avait en apparence rien à voir avec la situation :
« Les merveilles ».
Inma l’avait tout de suite lu, mais elle mit plusieurs semaines à lui
répondre. Elle pianotait sur son clavier avant de tout effacer, et finissait
par tout résumer en deux phrases, qu’elle changeait intégralement le
lendemain. Finalement, elle parvint à avouer à Celia que pendant des
années elle avait attribué ce qui s’était passé ce jour-là à une sorte de
justice divine : l’avarice fait partie des péchés capitaux, en tout cas, c’est
ce que sa grand-mère lui avait dit. À quoi bon tout cela, tous ces
téléviseurs, ces voyages : elle se le demandait tous les soirs, se le répétait
comme un mantra. Elle n’arrivait pas à savoir ce qui l’avait le plus
dérangée : l’ingénuité avec laquelle Eva leur avait montré la maison, sans
aucune conscience du niveau de vie qu’elle était en train d’exhiber, ou
l’indifférence d’Alicia, qui ne voulait pas s’embêter à partager son
intimité avec elles. Celia lui répondit tout de suite, un message de
quelques lignes, en plus des anecdotes sur la fête de la veille.
Elles n’avaient pas oublié Alicia, ni Eva, ni même Carmen, leur mère,
un corps endormi qui respirait de l’autre côté de la porte, une voix de
plus en plus stridente, passée du balbutiement au cri. Pendant toutes ces
années, de temps en temps, Celia et Inma – Inma et Celia – avaient
évoqué des souvenirs communs, la sortie du cinéma, les coups de main
qu’elles s’étaient donnés pour leurs déménagements respectifs, leurs
visites à l’hôpital à la naissance de leurs enfants.
— Tu crois qu’on va devenir comme eux ? demandait l’une ou l’autre.
Et l’autre répondait que non, avec une grimace, éclatant d’un rire
partagé entre l’envie et la terreur.
Commenter  J’apprécie          10
C’est toujours la même
histoire : ils disent mon nom, mon âge, peut-être d’où je viens et dans
quoi je travaille, si toutefois je travaille, et ensuite ils baissent la voix et
disent que mon père s’est tué. Ils miment une douleur impossible, parce
qu’ils ne le connaissaient pas, et qu’ils ne savent rien des circonstances,
ni des motifs qui l’ont poussé à faire ce qu’il a fait. Ou parce qu’ils sont
peinés, c’est pour ça qu’ils parlent à voix basse : parce qu’ils me
considèrent comme victime du moment où mon père s’est tué, de tout ce
que ça a provoqué par la suite, et tout ce que je peux faire de mal est
justifié par sa décision à lui. Pendant des années je me suis sentie
parfaitement à l’aise avec ça : le suicide de mon père me donnait carte
blanche pour faire tout ce qui me passait par la tête, j’avais l’excuse de la
pitié et du chagrin. Mais petite déjà j’aimais être cruelle. On peut même
parler de plaisir. Je ne pouvais pas m’en empêcher, je ne peux toujours
pas m’en empêcher : ça m’amusait de me moquer de mes camarades plus
bêtes ou plus pauvres que moi, c’était quelque chose d’assez facile à
l’époque, et je m’en fichais d’être rejetée dans la cour du collège ou que
personne ne m’invite à son anniversaire. On t’a dit aussi que je ne suis
pas très gentille, non ? Ton amie a dû te prévenir. J’ai une petite sœur.
Non, on ne se parle quasiment pas. Je te raconterai plus tard. Eva, elle
s’appelle Eva, elle a quatre ans de moins, et elle a toujours été le
contraire de moi : exubérante, heureuse quand il fallait passer tout le
week-end dans un des restaurants de mon père, trottinant entre les tables
et jouant les serveuses. Quand mon père s’est tué, Eva s’est renfermée
sur elle-même, elle n’a plus parlé, ou presque, elle dessinait tout le
temps ; c’était sa façon de dire ce qu’elle voulait dire, je ne sais pas trop
quoi d’ailleurs et ça ne me préoccupe pas plus que ça. Ma mère a été
élevée par un oncle et une tante, et j’ai toujours trouvé bizarre que ma
sœur ressemble autant à Chico, déjà avant le suicide, après c’est
carrément devenu une copie conforme de tante Soledad, – d’ailleurs ce
prénom lui va si bien. Eva a toujours fonctionné par imitation : en
reproduisant les attitudes qui lui donnaient le plus de sécurité. Je ne sais
pas si elle manque de personnalité : c’est ma sœur, mais je ne la connais
pas bien. Je ne me suis jamais intéressée à sa vie, ni à l’époque, ni
maintenant. Pour te dire, on ne se fréquente presque pas. En ce qui
concerne Eva, son changement d’attitude est clairement lié à la mort de
mon père, je crois. Pas pour moi. Moi j’étais déjà comme ça.
Commenter  J’apprécie          10
Quand le métro quitte la station Sáinz
de Baranda ou Conde de Casal, elle entend des femmes se plaindre de
l’odeur de détergent, des crevasses aux mains ; ça les fait souffrir, mais
María est assez fière de ce qu’elle fait. Avec le temps, elle a appris à
connaître sa fonction : remettre en état ce que d’autres ont sali. Elle aime
bien effacer les taches sur le sol, que les fenêtres laissent passer plus de
lumière. Elle se sent utile, elle sait qu’elle fait ça bien. Elle aime penser
que ses mains rendent ça possible, elle aime répéter la même mécanique,
se vider l’esprit tandis qu’elle passe de box en box ; parfois elle observe
l’écume qui se forme à la surface de l’eau, ou la traînée presque
imperceptible de la javel qui se dissout. Si on la remercie, elle apprécie,
même si elle se sait invisible pour la plupart. Qui irait observer ce corps
de femme qui prend de l’épaisseur, tous les ans, deux bras et deux jambes
et un visage, gommés par l’uniforme ? Elle n’a pas besoin des autres
pour se sentir bien avec ce qu’elle fait. Parfois, l’après-midi, l’entreprise
l’appelle pour lui proposer un deuxième tour, pour un remplacement, ou
la prendre à l’essai pour un nouveau client ; elle accepte
systématiquement, parce que toute seule elle a du mal à payer son loyer,
la nourriture, le reste des factures, et économiser un peu.
Commenter  J’apprécie          20

Video de Elena Medel (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Elena Medel
Elena Medel - Les merveilles
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus
Livres les plus populaires de la semaine Voir plus

Lecteurs (110) Voir plus



Quiz Voir plus

Un couple : un chef d'oeuvre et son musée (n°2/2)

"Impression, soleil levant" de Monet

Musée d'Orsay à Paris
Musée Marmottan-Monet à Paris

10 questions
80 lecteurs ont répondu
Thèmes : peinture , art , culture généraleCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..