Michael, jeune étudiant de musique aux origines modestes, vit avec son frère dans un petit appartement londonien. Un soir, un ami le persuade de sortir dans un bar gay avec lui pour la toute première fois. Non seulement il y découvre un monde qui à la fois le perturbe et le captive, mais surtout, il y rencontre le dessinateur Stuart, de quelques années son aîné. Malgré leur grande différence sociale – Stuart est ostensiblement issu de la haute bourgeoisie, connaissant et pratiquant donc tous ses codes –, les deux hommes se sentent immédiatement attirés l'un par l'autre. Ils se donnent rendez-vous le dimanche suivant pour faire un tour à la campagne, dans la maison familiale de Stuart.
Sans savoir, ils font ainsi naître une belle histoire d'amour, qui se déroulera ensuite précisément dans cette maison de l'Oxfordshire. Ils se mettent en couple, ils aménagent ensemble, ils apprennent à se connaître, ils s'apprivoisent mutuellement, se livrent petite étape par petite étape, construisent leur vie côte à côte, joue contre joue, main dans la main. Ce n'est pas toujours aisé car bien des petites choses du quotidien qui peuvent paraître anodines à d'autres constituent autant d'obstacles, autant de problèmes à surmonter, pour les deux. Mais ne dit-on pas que l'amour donne des ailes même quand on a l'impression de devoir soulever du plomb ?
J'attendais la lecture de ce texte avec beaucoup d'impatience. Pour cause – non seulement s'agit-il du premier roman d'une écrivaine qui me fut vivement et chaleureusement recommandée par un•e ami•e (je laisse planer le doute), mais on y découvre l'histoire d'un ami d'enfance de François – le même François qui se fait conteur de son propre cheminement amoureux dans Frédéric, dont vous pouvez lire mon compte-rendu enthousiaste ici. Cette impatience, je l'avoue sans rougir, s'est traduite par un risque accru de loupage de changement de rame de métro tellement la lecture m'a happé pendant mes trajets professionnels quotidiens, ces derniers jours. Ce ne fut qu'un sixième sens qui m'a fait lever les yeux au bon moment pour refermer ma liseuse à toute hâte et sortir du wagon à la dernière seconde…
Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé. Ces fragments sont présentés avec la voix de Michael, un homme introverti, pudique, peu sûr de lui-même, mais amoureux, si amoureux que, par moments, c'en pourrait presque devenir douloureux. La plume est aérée, belle, construite, poétique, psychologique, empreinte d'une tendresse et d'une douceur qui ne pouvait que toucher mon coeur – Mishka a déjà dû s'entraîner à faire des phrases, des paragraphes, des chapitres, auparavant ; impossible que ceci soit son véritable coup d'essai en écriture, son coup de vierge, si j'ose dire. Elle sait transformer les petits rituels, les petites manies, les choses anodines et innocentes en symboles. Elle sait parler de l'intime, du sensuel, du sexuel même avec franchise (ma liseuse rougissait de temps en temps, je crois, parce que oui, ça croustille, ça fait des étincelles, ça chuchote, ça frétille, ça émoustille, dans ce roman) et en même temps avec beaucoup de classe. Rien n'est cheap, rien n'est gratuit, rien n'est téléphoné, même certains mini-tremblements de terre qui ne pourraient ébranler que le monde que Michael et Stuart se construisent à eux deux et pour eux deux.
Car tout bel et grand amour se conquiert, et c'est ce que Michka montre avec tant de justesse. Ça ne nous tombe pas dessus comme ça, il faut que l'on y mette du nôtre, parfois que l'on laisse des plumes, parfois que l'on verse des larmes. Les incertitudes, ah, et les doutes, ces vilains doutes qui nous parlent plus de nous-mêmes que de l'être aimé… et qui pourtant heurtent, blessent, mettent à terre. Mais ô combien plus belles sont les retrouvailles qui s'ensuivent, les réconforts, et quelle magie que le toucher de ces bras qui nous enlacent pour nous signifier que tout va bien, que ce n'était qu'un malentendu, et que l'amour que l'on recherche si désespérément est toujours là, et pour l'éternité en plus…
Oui, une très belle histoire d'amour, belle en ce que la façon dont elle est racontée est belle. Puis-je y mettre un petit bémol (qui n'engage certainement que moi) ? Les deux protagonistes se parlent en anglais. Oui, vous avez vu correctement – les dialogues (les dialogues uniquement, n'ayez crainte !) se font in English. Pour faciliter la compréhension, Michka a ajouté après chaque phrase sa traduction française, et j'avoue que moi, étant habitué à lire des romans et regarder des séries entièrement en VO anglaise, ça m'a un peu perturbé. Car ces traductions entre parenthèses ont ralenti ma lecture jusqu'à ce que j'apprenne à mes yeux de ne pas lire ce qui était écrit entre l'ouvrante et la fermante, à en faire abstraction. Je me demandais même pourquoi ne pas avoir enlevé l'anglais, tout court. Certes, moi, j'ai beaucoup apprécié l'audace d'avoir gardé ces phrases, qui surtout étaient de toute beauté (pour info, chère Michka, on semble partager la même tendresse inexplicable pour ce « shall we ? » que l'on ne saurait vraiment traduire, hein ?), mais c'est le doublon que je ne trouvais pas pratique.
Mis à part ça, je n'ai rien à redire. Ou peut-être si. Un conseil à l'auteure, une requête plutôt : ne pas en rester là, garder le cap, nous surprendre avec une nouvelle histoire. Les beaux textes, on en redemande, après tout.
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