Giulio Minghini, italien installé à Paris depuis plusieurs années ne supporte pas qu'on lui déverse dans l'oreille tous les clichés les plus attendus sur son pays qu'il voit comme « un hôpital psychiatrique en flammes » et qu'il décrit en ces termes : « Un pays gouverné par le pire. L'Avant-garde même du Pire : abolition de tout discours, vulgarité diffuse des moeurs, corruption généralisée et systématique, ignorance érigée en règle, culte éhonté de l'argent, mépris affiché pour l'intelligence et les idées, moralisme rance. » Giulio est traducteur d'auteurs français pour une petite maison d'édition italienne, et sort avec Judith depuis trois ans. Date fatidique ? Ils n'ont plus rien à se dire, il ne tente pas de sauver le couple, elle le largue.
Giulio commence par déprimer, boire des litres de vodka, bouffer des lexomil et prozac par poignées… Jusqu'à ce qu'une de ses amies lui suggère de s'inscrire sur PointsCommuns. Un site de rencontres ? « Mais pas tout à fait comme les autres. Un site de rencontres basé sur les affinités culturelles, des goûts partagés. » Giulio sort sa CB et s'inscrit sur le site.
Fake rend compte de ses rencontres, ses ahurissements, et toute la palette de sentiments à travers lesquelles il passe dès qu'il se lance dans la grande aventure du site. Accro à sa dose de rencontres pixellisées où s'ensuit le vertige inévitable de la rencontre réelle, « le moment où le pseudo quitte l'ordinateur pour prendre corps ». Lucide et vite désespéré (comme tout toxico qui se respecte), Giulio ne cesse néanmoins de scruter et utiliser le site pour combler sa dépression post-rupture. Il se met de facto à éviter toutes les filles qui ont Belle du seigneur comme livre de chevet, se rend compte à quel point « l'alibi culturel est un facteur érotisant » (il voit quel effet ça fait quand les filles voient ses étagères bourrées de livres), jongle avec les filles (et parfois traverse la ville à 3h du mat' pour terminer un échange bien chaud en réel).
Très vite, PoinsCommuns et sa population d'intellos-bobos ne suffit plus à Giulio, qui file sur Meetic, puis sur Netéchangisme (depuis devenu Wyylde), sur AdopteUnMec et consomme des rencontres et des fiches sans jamais atteindre l'overdose. Jusqu'au jour où il s'amuse à créer plusieurs
fake, fiches masculines et féminines confondues pour manipuler ses conquêtes, voir comment les hommes abordent les autres femmes selon ce qu'elles affichent, aller au fond du fond des possibilités offertes par tous ces sites. Avec un cynisme d'autant plus violent, qu'il ne se fait plus aucune illusion alors qu'il brocarde toutes les névroses et solitudes de se conquêtes.
Fake est une plongée dans l'univers des sites de rencontres et de réseaux sociaux d'autant plus marquante qu'elle frappe par sa justesse et sa véracité. Entre le journal de bord et le carnet de notes littéraires (Giulio en prend régulièrement et les place au fil du texte en italique, ce qui donne souvent un effet-miroir assez désenchanté avec le récit d'une rencontre ou le détail d'une fiche lue sur un site), un texte où l'humour n'est jamais anodin ou simplement là pour faire joli. Entre désenchantement et férocité, un texte court, qui en quinze ans n'a rien perdu de son acuité.