Neige de printemps, par
Yukio Mishima. Premier des quatre volets du cycle nommé « La mer de la fertilité », au terme duquel Mishima mit fin à à ses jours par la manière traditionnelle, le seppuku, Neige de Printemps est une histoire d'amour contrariée sur fond de changement d'époque insensible, les résistances s'exprimant toujours vivement.
Enfants d'une aristocratie ancienne pour Satoko, et parvenue, riche et influente pour Kiyoaki, cette dernière établie dans les suites de la guerre russo-japonaise, les deux héros de cette histoire ont été élevés côte à côte, voire ensemble, peu avant la fin de l'ère Meiji (en 1912) dans les environs de Tokyio. Ils arrivent au terme de leur adolescence, Satoko chez elle, Kiyoaki au collège que fréquente aussi son ami Honda. Kiyoaki pense que Satoko est amoureuse de lui, ce qui le rend distant, par réaction. Lui que ses études n'intéressent pas - il n'a pas les ambitions que son père nourrit pour lui - il se contente d'être un (très) beau garçon, rêveur, passif, à la recherche d'un sens à sa vie, et s'amuse à jouer les indifférents vis-à-vis de son amie. Satoko est très belle aussi. Un peu plus âgée, légère, lumineuse, elle est plus libre. Bien sûr, son destin est de se marier.
Insidieuse et quelque peu provocatrice, elle demande à Kiyoaki ce qu'il ferait si elle quittait Tokyo. Flairant un piège, rageur, son coeur limpide tout troublé, Kiyoaki fomente une réponse écrite qu'il regrette aussitôt que son courrier est parti. Satoko qui n'est pas sensée la lire - à la demande de son ami -, la lit et n'en dit rien. Elle l'attire à lui et, sous la neige de printemps, dans un pousse-pousse, ils ont leur premier baiser, d'une grande sensualité. Quand il apprend qu'elle a lu la lettre, il se lance dans un grande et longue bouderie.
La vie continue pour elle : elle est sollicitée par un prince qui veut l'épouser. Kiyoaki et Satoko se retrouvent alors, ils s'aiment follement, mais c'est trop tard. Un drame se noue, prélude à une fin tragique.
Les prises de distance, les manipulations et les stratagèmes, les intrigues où interviennent la suivante de Satoko, Tadeshina, le précepteur de Kiyoaki, Iinuma, ou l'ami Honda, tout cela alimente, infiltre, conditionne la passion charnelle et spirituelle des deux amants. Sur fond d'un Japon bien peu permissif, encore moyenâgeux, notamment dans l'aristocratie où tout est affaire d'honneur - d'argent aussi - une telle idylle ne peut s'épanouir. Pourtant, en ce début d'ère Taisho, une évolution, formelle surtout, se dessine, timidement, soulignée sur plusieurs plans par l'auteur : habitât, habillement, musique, moeurs superficiels, maîtrise de l'anglais… Même si Mishima insiste beaucoup sur les aspects psychologiques des protagonistes du roman, le Japon est toujours là, il balance, encore très traditionnel, avec les légendes et les bases théoriques qui ont fondé le bouddhisme, les fêtes qui célèbrent la nature - jardins, floraison des cerisiers -, l'organisation hiérarchique des rapports humains, etc.
Thème classique (ou romantique), écrit dans un style classique, ”retraduit” en français (à partir d'une traduction américaine), Neige de printemps est une oeuvre magnifique. Bientôt le deuxième volet du cycle…