Le succès de l'Etourdi, sa première pièce en cinq actes, encourage
Molière à devenir un comédien-auteur. Sa deuxième grande pièce,
le dépit amoureux est ainsi créée à Béziers sans doute vers la fin de l'année 1656.
Molière s'inspire encore du théâtre italien, et plus précisément de L'interesse de Nicolo Secchi, une oeuvre dans la veine de la comédie à l'imbroglio sentimental.
Un jeune homme, Eraste est amoureux de Lucile, la fille d'Albert. La jeune fille ne lui cache pas qu'elle l'aime aussi et le pousse à la demander en mariage à son père. Mais Lucile a un autre soupirant, Valère. Elle ne l'aime pas, mais il est aimé par Ascagne, censé être le frère de Lucile. Mais c'est en réalité une jeune fille déguisée en jeune homme, à cause d'un héritage, qui ne pouvait échoir qu'à un garçon. Ascagne, en se faisant passer pour Lucile, épouse Valère, qui laisse entendre son succès auprès d'Eraste, ce qui provoque une brouille de ce dernier avec Lucile. le valet de Valère révèle le mariage à Albert pour faire avancer l'affaire, mais Lucile réfute énergiquement. L'imbroglio finira par être éclairci, et les deux couples pourront convoler.
C'est un théâtre qui reste dans les conventions de la comédie de l'époque : des déguisements, des enfants cachés, des mariages secrets, des amoureux qui se brouillent et se réconcilient. C'est par moments étincelant, comme la scène de la dispute et de la réconciliation, d'abord entre Eraste et Lucile, puis entre le valet et la soubrette, mais cela reste encore peu original, un peu impersonnel, il y a quelques longueurs dans les explications des divers déguisements, leurs raisons. Les premières gammes d'un futur grand auteur, qui apprend à maîtriser les codes de l'époque, avant de passer à autre chose.
La pièce a eu du succès, et avec l'Etourdi, elle a permis à la troupe de
Molière de trouver sa place sur la scène parisienne. En effet, dès 1658, Madeleine
Béjart signe un contrat de location de la salle du théâtre du Marais qui se trouve vacante pour plusieurs mois. Certaines troupes de campagnes venaient ainsi passer quelques temps à Paris, sans s'installer durablement.
Mais la chance se manifeste : la troupe se voit proposer de devenir la troupe officielle de Philippe, le frère de
Louis XIV. Nombre de princes entretenaient une troupe de comédiens, le frère unique du roi se devait aussi d'en avoir une. La proposition montre à quel point
Molière avait su s'imposer sur la scène théâtrale française. La protection princière devait se traduire par une pension, qui semble n'avoir jamais été versée, mais surtout par la mise à disposition gratuite d'une salle, celle du Petit-Bourbon, qui possédait des machineries et des réserves de décor remarquables. Cette salle était déjà utilisée par la troupe des comédiens italiens, qui jouaient les « jours ordinaires de comédie » c'est à dire les mardi, vendredi et dimanche. La troupe de
Molière a donc du se contenter des « jours extraordinaires », qui en principe attiraient moins de public.
La troupe débute avec des tragédies, genre le plus noble, avec peu de succès, ce qui va imposer l'idée que les comédiens de
Molière n'excellent pas dans le tragique. Mais les comédies de
Molière, L'Etourdi et
le dépit amoureux remplissent la salle, et lancent la compagnie. L'immense triomphe des Précieuses ridicules quelques mois plus tard va en faire une troupe à la mode.