Je ne comprends pas toujours l'idolâtrie pour
Molière, qui fait se pâmer sans nuance certains comme lorsque, motivés par je-ne-sais quelle enflure de la langue, ils se mettent à bramer « Chtendhaaal ! Oh, Chtendhaaal ! », au risque de brutalement réveiller, par leurs exultations forcées, ce pauvre Henri Beyle de son éternel sommeil bien mérité.
Pourtant, j'aime beaucoup
L'Avare, savoureuse farce qui pointe si finement nos travers atemporels. Mais de là à brailler d'extase, il y a loin. Les goûts et les couleurs, me direz-vous ! (Phrase, soit dit en passant, aussi « intelligente» que : « Il n'y a pas de mots. » Dans ce cas, allons gratter la terre pour trouver des glands : ça au moins on pourra le faire sans goût, ni mots !)
Cependant, il est des pièces de maître Poquelin que je considère – dans mon ignorance inachevée ! – comme de purs joyaux de la langue française, dont ce Misanthrope, délectation littéraire aux vertus indéniablement apaisantes dans un monde où Twitter, ce sanctuaire de l'illettrisme conquérant, est devenu le mètre étalon de l'écriture.
Certes, la fausseté du monde en prend pour son grade, mais ce n'est pas la critique à peine déguisée de la cour asservie par un roi égotique qui retient mon attention. C'est avant tout la musique du texte. Ni trop, ni pas assez : la justesse impeccable.
Ce ne sont pas non plus les contradictions d'Alceste, « l'Atrabilaire amoureux », se défiant de la mauvaise comédie humaine tout en s'amourachant de la frivole Célimène ; ni non plus le bellâtre Oronte à la versification laborieuse ; ou encore le conciliateur Philinte, qui me font considérer cette pièce comme une colonne majeure de notre cathédrale littéraire – voilà que je fais du style ! C'est bien l'excellence textuelle, où s'exprime déjà un romantisme exacerbé que ne renierait pas
Musset :
« Plus on aime quelqu'un, moins il faut qu'on le flatte;
À ne rien pardonner, le pur amour éclate. »
Et pour ce Misanthrope au moins, je me rallie humblement à l'avis de
Sainte-Beuve qui écrivait :
« Aimer et chérir
Molière, c'est être antipathique à toute matière dans le langage et dans l'expression ; c'est ne pas s'amuser et s'attarder aux grâces mignardes, aux finesses cherchées, aux coups de pinceau léchés, au marivaudage en aucun genre, au style miroitant et artificiel. »