Zéro heure à Phnom Penh.
C'est très bien de faire une courte et glaciale introduction nommée « du génocide au café glacé » pour évoquer l'histoire du Cambodge, de l'arrivée des Khmers rouges à Phnom Penh en 1975 jusqu'à nos jours (l'invasion du Cambodge par les touristes…), mais les raccourcis, qui tendent à faire oublier la participation des Etats Unis ,de la Chine et des Vietnamiens (les français figurent eux en bonne place) aux massacres, sont inacceptables.
Ce n'est, direz-vous, qu'un polar, écrit par un Canadien au moment où l'ONU était censée assurer le déroulement des élections législatives vers un développement démocratique du pays juste après les accords de Paris au début des années 90. Il se trouve que j'étais sur place à l'époque pour la reconstruction du campus diplomatique de Phnom Penh et que j'ai pris la peine de m'informer sur les origines des conflits des prises de pouvoir, du génocide. Si j'évoque cette période qui me concerne professionnellement, c'est pour mieux pointer l'incroyable vide que représente la présence dans la ville des héros de ce livre. Car de fait aucun d'entre eux, à part le médecin français, n'ont quoi que ce soit à faire sur place à part une vague enquête sur un ou plusieurs vagues trafics.
Pour le coup, ils se comportent comme des imbéciles : Sortir la nuit dans une ville sans éclairage urbain où l'on risque bêtement la mort à chaque carrefour n'a rien d'héroïque, picoler du matin au soir, non plus, et sauter les putes vietnamiennes encore plus affligeant d'autant que l'auteur semble faire l'apologie de la prostitution comme seul moyen de subsistance pour les rescapées.
En aucun cas ce mode de vie n'était une règle et l'on pouvait aller au marché russe sans ramener chez soi un kilo de hasch ou des armes, on pouvait manger tranquillement des soupes chez Lipp ou acheter des fruits dans la rue, sur Monivong ou ailleurs sans dévorer des chiens avec les militaires. On pouvait dire non. On pouvait s'insurger contre ceux qui vous proposaient le plus sordide, on pouvait leur faire bouffer leur honte.
L'époque était sauvage, et les forces onusiennes s'ennuyaient ferme, qui ne pouvaient rien faire d'autre que d'attendre et de compter les morts entre les clans et les factions sans ordre d'intervention. Mais la prostitution reste sans excuse, surtout pas l'ennui.
Le parti pris de se vautrer dans les bordels n'est pas propre au Cambodge. On retrouve les mêmes clients à Nairobi ou à Windhoek, où il ne fait pas bon même aujourd'hui sortir en ville après minuit. On les retrouve aussi à Bangkok où Christophe G Moore a élu domicile. Ainsi revient-on au préambule qui déplore l'invasion touristique du sud-est asiatique, le fameux tourisme sexuel qui serait plus infect que l'abus sexuel d'individus sans défense en période troublée. Quelle blague de mauvais gout!
Pour ce qui est du polar lui-même, il gagnerait à se passer ailleurs. Rien de palpitant, pas de surprises. On meurt, on tue. Voilà, voilà.
Pour ce qui est des élucubrations socio philosophiques que l'auteur dispense à tout va, l'abstention et surtout l'abstinence aurait sans doute mieux valu.