Plus un texte est court, plus il se doit d'être efficace et intense. le dernier roman de
Toni Morrison a indiscutablement ces deux qualités, et bien d'autres encore… Il ravira tous les adeptes de l'auteur et surtout ceux qui ne la connaissent peut être pas encore,
Home est l'un de ses romans les plus accessibles. C'est une plongée frémissante dans une Amérique encore frappée par la terrible ségrégation raciale et rongée par le maccarthysme.
Frank Money vit dans un monde où les "cagoules blanches" mènent la vie dure aux siens, un monde dans lequel "les médecins ont besoin de travailler sur les pauvres qui sont morts pour pouvoir aider les riches qui sont vivants", un monde dans lequel "les flics tirent sur tout ce qu'ils veulent ", même les enfants, fouillent les pauvres types dans la rue et leur confisquent le peu d'argent qu'ils ont, un monde dans lequel on tue les gens qui refusent de quitter leur maison quand on le leur demande. Frank est noir et il habite l'Amérique des années 1950. Enfant, alors qu'il regarde, en compagnie de sa soeur, Cee, des chevaux se battre, "se dresser comme des hommes ", Frank assiste à quelque chose qu'il n'aurait jamais dû voir, l'enterrement à la sauvette d'un homme dont il ne verra que le pied, noir. Des années plus tard, de retour de Corée où ses deux meilleurs amis sont morts de manière forcément atroce, où il a laissé une partie de sa raison et de son insouciance de jeune homme, il essaie de se reconstruire aux côtés de Lily, rencontrée à la blanchisserie où elle travaille. le réapprentissage de la vie est difficile et les occasions de péter les plombs nombreuses. Hanté par des souvenirs douloureux, Frank avance comme il peut, entre moments de répits et crises d'angoisse. Jusqu'au jour où il reçoit un courrier lui annonçant que sa soeur est en danger de mort et qu'il doit venir très vite s'il veut la sauver. le chemin est long, de Seattle à Atlanta, dans sa Géorgie natale, pour aller la retrouver, long et semé d'embûches pour qui ne connaîtrait pas les lieux à éviter. Mais rien ne l'empêchera de ramener Cee qu'il a toujours protégé, vers la ville de leur enfance, Lotus, qu'il a pourtant jadis qualifié de "pire endroit du monde"…
Dans ce court roman (153 pages) incroyablement dense, on retrouve tout le talent et l'efficacité de
Toni Morrison. La structure du texte est remarquable. La force de son écriture, belle et subtile, est présente du début à la fin. Les grands thèmes de l'auteur sont là: les origines, le racisme, la détresse, l'enfance, la folie, la possibilité de rédemption. Partageant son récit entre le frère et la soeur, elle équilibre parfaitement ce qu'elle veut nous transmettre : la difficulté de cette jeunesse maltraitée à trouver sa place ; le poids de l'Histoire et de la famille ; l'injustice qui semble immuable ; le cauchemar de la guerre. Ne cédant pas au pessimisme, elle montre que le chemin vers un certain bonheur est difficile mais pas insurmontable, que la force de caractère mène à la guérison et que, même blessé, l'être humain peut s'en sortir. Un livre pour ne pas oublier, pour continuer la lutte, pour rester humain.