Pour ceux qui ne connaissent pas l'auteur, Wajdii
Mouawad est né au Liban et a quitté sa terre natale, suite à la guerre civile pour s'installer, d'abord en France, puis au Canada. Ses oeuvres engagées s'articulent autour de thèmes liés à son histoire personnelle : la guerre, le poids des souvenirs traumatiques, la quête d'identité, le devoir de mémoire.
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Lorsque Wahhch Debch retrouve le cadavre de sa femme, sauvagement assassinée, le lecteur est loin de se douter qu'«
Anima » n'est pas un roman policier, il ne soupçonne pas qu'il a entre ces mains un roman noir, psychologiquement dur, dont les images marquent dès les premières lignes.
«
Anima » est un voyage dans la violence, au plus profond de l'âme humaine.
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Wahhch veut se libérer de la culpabilité de ne pas avoir réussi à protéger sa femme. Il décide de traquer le meurtrier, un homme dont on connaît l'identité très rapidement. Mais cette course-poursuite ira bien au-delà d'une simple traque. Elle le bousculera dans son être, dans ses convictions les plus profondes, et son passé le rattrapera.
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Ce qui m'a beaucoup plu, outre l'écriture de l'auteur, à la fois poétique et glaciale, c'est l'originalité du procédé narratif. Je l'ai trouvé astucieux, surprenant, totalement innovant. En effet, ce sont les
animaux qui racontent l'histoire. Chiens, chats, chevaux, oiseaux, poissons, insectes, serpent, araignée… rapportent ce qu'ils ont vu, entendu, perçu, flairé, senti, ressenti.
Les chapitres courts s'ouvrent sur un nouveau témoin de l'intrigue, un
animal qui croise le
temps de quelques secondes ou de plus, la route de Wahhch Debch. A chaque
animal, un regard différent.
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Chaque chapitre a pour titre le nom scientifique de l'
animal narrateur : des
animaux domestiques, felis silvestris catus (le chat), passer domesticus (le moineau) …, mais aussi des
animaux sauvages, vulpes vulpes (le renard), strix varia (la chouette), procyon lotor (le raton laveur), ...
Le lecteur devient spectateur à travers le regard que portent les
animaux sur nous : le rat et sa peur instinctive de l'homme, le chien et sa fidélité à notre égard, la sensibilité du cheval, l'indépendance du chat, l'appétit vorace de l'araignée qui ne souffre aucune inattention…
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Certains lecteurs pourraient penser que l'auteur fait preuve d'anthropomorphisme. Je ne l'ai pas ressenti, dans la mesure où les
animaux ont une perception différente et des sens plus développés que l'homme : ils sont sensibles aux intonations de voix, aux odeurs, ils perçoivent certaines émotions humaines (la peur, le chagrin, la joie), … Leur instinct leur permet de voir au-delà des apparences.
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Quoiqu'il en soit, ce procédé aurait pu entraîner une distance entre le lecteur et le personnage principal de cette histoire, nous faire éprouver moins d'empathie pour lui. Mais il n'en est rien. Au contraire. Wahhch Debch n'en apparaît que plus touchant, plus humain, car les
animaux perçoivent ses blessures intérieures, son chagrin, et nous les communiquent.
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« L'homme est un loup pour l'homme à l'état de nature ». Cette phrase m'est apparue comme une évidence à la lecture de ce roman. Quand on fait fi de loi, l'homme est un
animal qui peut faire preuve d'indifférence, de monstruosité, de sauvagerie.
Faire des
animaux les narrateurs de cette intrigue met les hommes sur le banc des accusés, les mettant face à leur violence, leur haine, faisant resurgir leur part d'
animalité. Certains passages sont très durs, les
animaux sont aussi spectateurs que victimes de la violence des hommes.
Les chapitres courts s'enchaînent sans
temps mort, à un rythme palpitant et nerveux. La fin du roman m'a laissé sans voix. Les dernières pages sont aussi bouleversantes qu'éprouvantes, la beauté du récit se mêlant aux atrocités, l'humanité se fondant dans la bestialité.
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Wajdi Mouawad propose un roman unique, étonnant, puissant, très bien construit. Si vous recherchez un roman qui n'est pas ordinaire et si vous n'êtes pas trop sensible, je ne peux que vous conseiller «
Anima ».
Un chef d'oeuvre ? Je le pense. En tout cas pour moi, c'est un très gros coup de coeur, un roman qui restera gravé dans ma mémoire.
Je remercie infiniment Levant pour sa critique qui m'a donné envie de découvrir ce livre et cet auteur, je ne regrette pas d'avoir suivi son conseil !