Il était temps que je découvre la plume de
Jean-Claude Mourlevat, une grande référence parmi les écrivains français de littérature jeunesse. J'ai beaucoup aimé explorer son imaginaire doux et légèrement magique, sa façon de livrer une histoires adaptée, mais sans prendre les enfants pour des imbéciles.
le Chagrin du roi mort n'hésite pas à aborder des thèmes forts, tels que la trahison, la guerre, l'avidité, la vacuité des promesses faites pendant l'enfance, le deuil et les relations familiales.
Avec une plume fluide, l'auteur nous raconte la jeunesse d'Alecs et Brisco, deux jumeaux vivants à Petite Terre, une île calme, propice aux jeux insouciants. Mais un jour, Brisco est enlevé. Par qui ? Pourquoi ? Afin de retrouver leur garçon, les parents font appel à une sorcière bicentenaire...
Les personnages étaient un peu caricaturaux (roman jeunesse oblige), mais certains avaient une vraie profondeur, comme par exemple la Louve : amoureuse d'un homme mauvais, d'une beauté à couper le souffle, à la fois sauvage et fidèle, elle est prête à tout pour plaire à son amant. Même à transgresser la morale.
Même à arracher Brisco à sa famille…
La relation qu'elle entretient avec ce dernier est complexe : elle veut en faire son fils (peut-on y voir un clin d'oeil à la légende de Romulus et Rémus ?), mais celui-ci se défie d'elle (à juste titre : elle l'a brutalement arraché à sa vie passée pour le livrer à quelqu'un qui voulait le tuer). Elle s'est attachée à lui et se bat comme une lionne pour le conserver, sacrifie ce qu'elle a de plus cher pour l'empêcher de rentrer chez lui, mais cela ne suffit pas à faire naître l'amour filial (ce qui est tout à fait logique : cela ne s'achète pas). Mais voilà qu'elle ose le lui reprocher : « Après tout ce que j'ai fait pour toi, tu pourrais au moins m'appeler Mère, quand même ! » Un odieux chantage affectif qui a l'outrecuidance de porter ses fruits… J'étais furieuse que l'auteur ne permette pas à Brisco de refuser le joug de la culpabilité. Ce n'est pas parce que l'enfant a été enlevé qu'il doit aimer ses ravisseurs, même si le prix de sa capture a été plus élevé que prévu, et j'aurais bien voulu que l'auteur l'explique à son jeune public, encore peu apte à discerner les faits de la subjectivité...
C'est la raison pour laquelle je n'ai pas aimé la façon dont se termine l'histoire de Brisco : il devient Fenris, le fils de la Louve, et retourne auprès d'elle, transformé par sa volonté, trop différent de l'enfant qu'il était pour souhaiter renouer avec son ancienne famille.
Les rebondissements sont fluides, l'histoire se déroule sur une dizaine d'années et met en scène toutes les conséquences de la mort du vieux roi et de l'enlèvement de Brisco. Dans le sillage de son frère, Alecs partira lui aussi de Petite Terre, jusqu'à rejoindre Grande Terre (l'île voisine) et même le continent. C'est un voyage initiatique qui le fera changer et grandir, rencontrer de nouvelles personnes, apprendre, évoluer. le point négatif, chez Alecs, c'est la romance : trop intense, trop parfaite, trop vite et trop facile. Une idylle idéale incompatible avec la réalité.
Mais ce récit polyphonique ne se concentre pas que sur les jumeaux. Quelques chapitres nous permettent de rencontrer les principaux antagonistes, leurs projets, les adultes de Petite Terre et la politique de leur pays (très très utopiste, mais très mignon aussi : la guerre y est étrangère, les relations humaines sont horizontales et bienveillantes, le bâtiment le plus important est la bibliothèque, lieu de savoir et de divertissement ouvert à tous). C'était appréciable d'avoir quelques voix adultes qui permettaient de changer de point de vue.
Quand j'y réfléchis, Petite Terre se construit vraiment en opposition face au reste du monde : si on pouvait situer géographiquement l'enfance, ce serait là. Grande Terre symbolisant l'adolescence, et le continent l'âge adulte, illimité par ses possibilités, mais aussi cruel et mortel.
En somme, c'est un roman extrêmement bien construit dont le seul défaut est qu'il ne m'est plus adressé. Un rendez-vous manqué, mais peu importe : c'était quand même une jolie histoire.