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EAN : 9782842600174
74 pages
Editions Théâtrales. (01/11/1997)
5/5   1 notes
Résumé :
Pour dialoguer avec Heiner Müller, le dramaturge venu de l'Est, Alexander Kluge, le cinéaste venu de l'Ouest a choisi la forme de l'interview ; l'interview comme théâtre, comme dispositif d'une manifestation de l'idée, prise dans le corps d'une pratique, d'une écriture et d'un échange ; l'interview comme art.
Les six entretiens réunis ici ont été réalisés pour la télévision entre 1990, année de la réunification allemande et 1994, un an avant la mort de Müller... >Voir plus
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Kluge.- Tu as dit un jour : " Qu'est-ce qui s'oppose à Auschwitz, dès lors que c'est faisable? "

Müller.- Le problème de notre civilisation est d'élaborer une alternative à Auschwitz et il n'en existe aucune. Il n'existe aucune argumentation contre Auschwitz. Si par exemple tu considères Auschwitz comme la métaphore - oui, métaphore est un mot très barbare - mais aussi comme la réalité de la sélection. Et la sélection est globalement le principe même de la politique. Il n'existe pas encore d'alternative à Auschwitz. On ne peut que faire des variations, atténuer, nuancer ou que sais-je encore.

Kluge.- On peut aussi se promettre que cela n'arrivera plus jamais. De cette façon cela se produira précisément à l'endroit le plus inattendu. Est-ce que tu mets l'accent là-dessus à présent ? Lorsque tu mets en avant la notion de faisabilité qui sous-tend la génétique, Tchernobyl, la politique d'apartheid en Afrique du Sud, dans les courants souterrains qui inventerons sûrement encore autre chose... penses-tu alors que le ventre est encore fécond ?

Müller.- Je veux dire simplement que tout ce qui est pensable est aussi faisable. Et tout ce qui est faisable sera fait. De n'importe quelle façon, n'importe quand, par n'importe qui.
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Kluge - Il paraît que Montaigne était si avide et mangeait d'un tel appétit qu'il n'arrêtait pas de se mordre les doigts ou même langue.
Müller - Je ne crois pas qu'appétit soit le mot juste. Il y a là une différence. Prenons un autre exemple. Je viens d'aller à Paris pour la énième fois, car je voulais montrer à ma femme Brigitte les peintres de la modernité exposés dans la collection permanente du musée du Centre Georges Pompidou. Les revoir pour la troisième fois a été terrible pour moi. Toute cette modernité est si ennuyeuse, si morte... Matisse... des motifs de papier peint, c'est parfaitement ennuyeux. Et puis soudain tu arrive dans une salle. C'est la salle Giacometti. Et tu te trouve tout à coup dans un temple. Je ne veux pas dire "sacré" au sens religieux mais soudain c'est de l'art. Tout le reste, tu peut le jeter. Là, on perçoit nettement la véritable coupure. Picasso était le dernier artiste universel ou le dernier artiste de la renaissance, si on peut dire. Et lui avait encore faim. Après lui, chacun eut son propre appétit spécifique. Vue ainsi, la différence entre la faim et l'appétit est très important. Et plus il seras difficile de nourrir la population mondiale, plus la faim dans l'art déclinera de façon très nette. L'art sans la faim, ça ne marche absolument pas. C'est-à-dire que l'art sans l'exigence de tout avaler et de tout posséder ça ne marche pas.
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Kluge.- Tu utilises le terme de train blindé comme métaphore pour la révolution. C'est quoi? Qu'y vois-tu?

Müller.- En fait c'est la même chose, à une différence près. Je supprimerais la vitesse, le train blindé est lent.

Kluge.- Un chemin de fer qui doit s'arrêter à chaque aiguillage.

Müller.- Mais qui est une protection dans la prison. Donc la prison est une protection et la protection est une prison. Ces derniers temps, je m'intéresse à la question du rapport entre ralentissement et accélération. Désormais on peut considérer tout ce qui a disparu, c'est-à-dire le rideau de fer, tout ce qui le représente, le mur, comme des instruments de ralentissement d'un processus historique. Et Staline était le dernier à freiner, Hitler, lui, a fortement accéléré.

Kluge.- Il a freiné aussi.

Müller.- Non, je le verrais plutôt comme quelqu'un qui a accéléré les choses.

Kluge.- Comment qualifierais-tu donc ce qui s'est passé en octobre et surtout en novembre? Est-ce que c'était - comme on pouvait souvent le lire dans le quotidien Die Franckfurter Allgemeine Zeitung - une révolution ? J'ai entendu une comparaison avec "Thermidore" et donc avec la fin d'une révolution.

Müller.- Oui, j'y ai beaucoup réfléchi ces derniers temps. Il y a cette représentation classique de la révolution vue comme un moment d'accélération. Peut-être que ce n'est pas du tout ça, peut-être qu'il s'agit toujours d'arrêter le temps, de ralentir le temps.

Kluge.- Pour ce qui est des guerres paysannes dont tu parlais tout à l'heure, il s'agit bien d'un ralentissement.

Müller.- Pour la commune aussi, il s'agissait d'un ralentissement.

Kluge.- Le droit ancien doit être rétabli.

Müller.- Le fait de tirer sur les montres par exemple, ça signifie suspendre le temps. Et suspendre le temps, c'est aussi gagner du temps et cela veut dire retenir l'effondrement et suspendre la fin ou la repousser.

Kluge.- C'est bien ce que fait la vie. Vue ainsi, la vie entière se résume à un processus de freinage. Un capteur d'énergie qui ralentit tous les processus sur notre belle planète bleue.
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Pour moi, dès le début il était clair que lorsqu'on disait "nous sommes le peuple", très vite ça se transformerait en "nous sommes un peuple", et ça se transformerait encore plus vite en : " Tu ne dois pas avoir d'autres peuples à part moi. " Et là j'ai très bien compris pourquoi Brecht était si méfiant envers le mot peuple.

Kluge. - Il n'a jamais dit le mot peuple.

Müller. - Il n'a jamais dit le mot peuple mais seulement la population. D'un autre côté, tu ne peux pas vraiment motiver les masses avec le slogan : "Nous sommes la population." C'est ça le pire. C'est pour ça que par principe je suis méfiant envers les mouvements de masse. Mais ça provient aussi de mon enfance.
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Kluge. - Ça ressemble à quoi, une masse humaine d'une telle ampleur qu'elle se fond dans le lointain et masque les immeubles?

Müller.- Ça tient de l'animal.

Kluge. - Comme une prairie?

Müller.- Ce n'est pas une prairie, non, c'est plutôt un animal, quelque chose qui a comme des ondes et des mouvements respiratoires.

Kluge.- Est-ce que l'animal est masculin?

Müller.- Bon, c'est peut-être un des aspects, mais il y a aussi le fait qu'un tel dispositif de sonorisation te donne une sensation de pouvoir et que ça devient ensuite une véritable confrontation lorsque cette masse réagit contre toi avec sa sonorité à elle alors que toi, tu possèdes ce son amplifié électriquement. Ça devient même un jeu. Je comprends désormais très bien la mégalomanie des chanteurs pop. Ça n'est pas rien de posséder un tel instrument avec lequel tu peux submerger les masses.
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Vidéo de Heiner Müller
En débat, deux spectacles adaptés de romans :
"Les Frères Karamazov" de Sylvain Creuzevault au Théâtre de l'Odéon "Les Frères Karamazov" est un monstre. Comme pour "Les Démons" (mis en scène aux Ateliers Berthier à l'automne 2018), et après "Le Grand Inquisiteur" (créé à l'Odéon 6e à l'automne 2020), Sylvain Creuzevault taille dans ses 1300 pages les éléments d'une lecture inspirée de Heiner Müller et Jean Genet, selon qui l'ultime roman de Dostoïevski est avant tout “une farce, une bouffonnerie énorme et mesquine”. Cet humour farcesque, déjà perceptible dans "Les Démons", devient ici littéralement ravageur.
"Sleeping" de Serge Nicolaï au Théâtre Monfort Éclairer la vie en regardant la mort. "Sleeping" est un spectacle onirique qui résonne avec l'époque. Associant masques, jeu théâtral, vidéo et musique, Serge Nicolaï s'inspire du roman "Les Belles Endormies" de l'écrivain japonais Yasunari Kawabata. Évocation poétique d'un vieil homme, Eguchi, au crépuscule de sa vie. Toutes les femmes qui ont jalonné sa vie, sa mère, sa fille, son amante, lui apparaissent au seuil de la mort, belles, provocatrices, sensuelles, délicates. Des messagères tant fascinantes que répugnantes de l'entre-monde. Des icônes féminines qui reflètent l'âme d'Eguchi et confrontent sans relâche son être le plus intime à ces questions : Comment as-tu aimé ? Comment as-tu vécu ? Une merveilleuse ode à la vie.
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