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L'attente de l'attente, latente et lente…

L'attente est le maitre mot de ce magnifique livre de l'espagnol Antonio Munoz Molina. le narrateur vient de quitter définitivement New York et d'aménager dans un appartement en plein coeur de Lisbonne. Il attend Cecilia, sa femme, éminente et active neurologue spécialiste dans les troubles de la mémoire et le traitement des traumatismes, retenue pour le moment par son travail.
En attendant qu'elle le rejoigne enfin dans leur nouveau logement, notre homme le transforme en petit cocon, attentif à ce que tout soit bien rangé et propre, fleuri et aéré, à son arrivée qui ne saurait tarder. Peut-être une question de jours ou de semaines, nous ne savons pas. le narrateur, dont nous connaitrons le prénom qu'à la toute fin, a tellement hâte d'entendre enfin ses pas dans l'escalier, lui qui semble fou amoureux de cette femme que nous découvrons au fur et à mesure qu'il en dresse le portrait sensible et délicat, lui qui semble vouer sa vie même à sa femme dont il est si fière. Leur chienne Luria attend également fidèlement aux côté de son maître. Il faut dire qu'ils ont quitté une ville bruyante, oppressante et dans laquelle ils ont vécu avec horreur les attentats du 11 septembre, les menaces à l'anthrax aussi.
Partir leur semblait nécessaire pour pouvoir oublier. Lisbonne, qu'ils connaissent un peu, Cécilia ayant parfois des congrès dans cette capitale, a été la ville choisie pour démarrer leur nouvelle vie. Une ville également océanique, où la présence d'un grand fleuve et d'immenses ponts ne les dépayse pas trop, mais une ville plus calme, plus lente, moins clinquante, plus douce.

Cet avant, cette période transitoire est source de projections. « C'est l'attente qui est magnifique » selon Breton, elle distille un suspense qui se délecte de ce qui n'est pas encore arrivé et qui se fantasme. Il est bon de voir cet homme, en attendant, déambuler dans cette ville magnifique qu'est Lisbonne, y prendre ses repères, plonger dans sa sensorialité, bruits, lumières, couleurs, odeurs passés au tamis des sens en éveil par la nouveauté. Il est touchant de le voir prendre ses marques, aménager leur intérieur avec les meubles d'avant qu'ils ont fait parvenir, selon un agencement proche de leur appartement américain au point d'ailleurs de parfois confondre les deux logements. Ce moment transitoire de l'attente est source d'un nouveau quotidien dans un lieu qui doit ainsi répondre à l'attente, répondre aux espoirs. Ainsi imagine-t-il Cécilia dans cette ville nostalgique et dans cet appartement où il se voit déjà lui servir le petit déjeuner sur la table bleu indigo du petit balcon d'où l'on aperçoit la statue du Christ, faisant penser confusément au Brésil…Se projetant dans ce futur proche, le narrateur songe au passé, depuis les lieux importants de sa vie, les écrivains lus, les paysages aimés.

Cette attente nous plonge nous-même dans une situation d'attente, amplifiée par une écriture lente et magnifique, toute en retenue et délicatesse. Les jours semblent passer sans que Cécilia n'arrive. Et notre homme d'attendre, et nous avec. Nous lisons, quelque peu figés, tournant les pages avec un peu plus de fébrilité et de malaise. Car, chose surprenante, ce temps de l'attente suspend le temps. le temps est arrêté contrairement au temps de l'accompli et de l'action à venir, ici tout se fige à tel point que la chronologie du temps du narrateur se grippe. Il attend à la fois quelque chose, en l'occurrence quelqu'un, et n'attend rien. L'attente devient un objet sans mémoire, sans mouvement, sans accomplissement, une parenthèse qui se cesse d'appeler le passé et de supposer le futur. Cette attente est-elle fuite destinée à nier le réel ? N'est-elle pas une réponse à la perte de sens de la vie ?
Le surréaliste Maurice Blanchot a écrit que « l'attente commence quand il n'y a plus rien à attendre, ni même la fin de l'attente. L'attente ignore et détruit ce qu'elle attend. L'attente n'attend rien ».

Avec ce temps figé, cette attente interminable, l'angoisse, le malaise monte peu à peu, nous le ressentons confusément, à l'aune de petites alertes de replis sur soi qui apparaissent, de ci de là, comme le ressent également Luria qui finit par se cacher dans les cartons loin de cet étrange maître. La fin du monde sans cesse évoquée pour justifier ce changement de vie, il est d'ailleurs totalement obsédé par les informations toutes plus angoissantes les unes que les autres qu'il peut lire ou entendre, semble être la fin de cet homme même, de son intégrité physique et psychique.
Se développe alors une autre forme d'attente vécue de manière plus incertaine, floue, aléatoire, angoissante dans laquelle des failles apparaissent. L'attente rendrait-elle fou ? Engluerait-elle notre homme habité par ses démons dans une certaine langueur ? Dans une anfractuosité du temps, au bord du grand fleuve, permettant de mieux se faire oublier ? L'attente est-elle un enfermement dans un mensonge ?
Dans cette montée progressive et subtile de l'angoisse, ce thriller psychologique m'a fait penser par moment au livre « Esprit d'hiver » de Laura Kasischke.

« La stricte répétition des tâches quotidiennes dans un lieu clos qui ne change jamais pétrifie le temps au point de le supprimer ».

Ce livre fait partie d'une littérature de l'attente mais aussi, soulignons-le, d'une attente de la littérature qui joue un rôle primordial durant cette période temporelle. A la fois élément d'aide mais aussi facteur d'isolement, la littérature est appréhendée en une mise en abyme passionnante, le narrateur multipliant les lectures amplifiant son état.
« Même si l'idée ne me séduit guère, il vaudrait mieux que j'arrête de lire pour le moment. La lecture a un effet excessif sur moi. La réalité est devenue un terrain trop fragile. Dès que je parcours un texte, je tombe dans un état hypnotique et deviens ce que je lis. La réalité tangible est usurpée par celle, imaginaire et bien plus puissante, des mots sur le papier ».

Voyage sur les méandres du temps, ce livre est également fascinant sur sa manière d'explorer les différentes facettes de la mémoire.
« Cela arrive une fois et de nombreuses autres fois. Les dates changent, de même que la lumière des saisons, les états d'âme, mais la scène est immuable. La fenêtre, la rue sous les arbres tantôt feuillus, tantôt nus, de jeunes feuilles ivres de chlorophylle ou jaunes en automne, le soleil couchant sur les façades et les corniches des immeubles d'en face, son déclin doré et rougeoyant, les fenêtres qui s'éclairent ensuite à mesure que la nuit tombe, et moi qui ne cesse de regarder les trottoirs, les feux d'un taxi, les voyants rouges, des braises dans le noir. La mémoire ne conserve guère les faits singuliers, elle privilégie des séquences réitérés, des patrons, des modèles, des concentrés d'expérience qui aident à prédire des répétitions à venir ».


Un huis-clos sur l'attente à l'immobilisme vertigineux, poignant et douloureux, subtil et profond, à la simplicité trompeuse, aussi dérangeant que brillant, aussi angoissant que méditatif, un livre que je ne suis pas prête d'oublier, dans lequel, cerise sur le gâteau, Lisbonne est mise à l'honneur comme le dévoile la superbe couverture du livre qui est en elle-même une invitation au voyage, un voyage vers la saudade ! Un grand merci à Sandrine, @HundredDreams, à qui je dois ce coup de coeur et la découverte de ce grand auteur espagnol.

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Bruno, le narrateur, s'est installé à Lisbonne « pour y attendre la fin du monde », mais pas seul : il attend aussi sa femme Cecilia, dans cet appartement qu'ils viennent d'acheter. Retraité, Bruno s'est occupé du déménagement de leur appartement de New York vers le Portugal et, pendant que Cecilia règle les détails de son transfert professionnel en Europe, il aménage leur nouveau foyer. A l'écart du bruit et de la fureur des grandes villes et du reste du monde qui court à sa perte (des feux de forêt font rage au même moment en Californie, en Australie, en Allemagne), Bruno prépare minutieusement l'appartement - couleurs de peinture, distribution des pièces, emplacement des meubles – pour qu'il soit le calque parfait de celui de New York. Pourquoi ce besoin de reconstituer aussi fidèlement un endroit familier ? Besoin de sécurité, de repères, de continuité, comme si rien n'avait changé, comme si tout était comme avant malgré leur retour sur le Vieux Continent ? Est-ce la peur de la nouveauté, du changement ? Et si oui, qui a peur, qui est fragile au point d'être perturbé par l'emplacement différent de telle lampe ou de tel ustensile de cuisine ? Bruno, Cecilia, les deux ? Autant de questions que le lecteur rationnel se pose pendant le premier tiers du roman, tant cette manie de Bruno apparaît obsessionnelle et surtout, à ce stade, inexpliquée. Pendant ce temps, le flux de conscience de Bruno nous dévoile l'histoire du couple, deux Espagnols travaillant à New York, fortement marqués par le 11-Septembre, le métier prenant de Cecilia, neuroscientifique renommée qui se livre à des expériences sur le cerveau et la mémoire de rats pour tenter d'en extraire le sentiment de peur, avec pour objectif de « déterminer s'il est possible de supprimer des souvenirs atroces de la mémoire de soldats souffrant de stress post-traumatique ».

Au fil des pages tout en introspection, le temps s'étire, se dilate, se distend entre New York et Lisbonne, entre souvenirs et projection, avec la certitude inébranlable de Bruno que les jours à venir couleront heureux et doux avec sa chère Cecilia. Mais le temps passe, ou semble passer, et un voile de confusion entoure l'arrivée toujours aussi indéterminée de Cecilia.

Suspense psychologique hypnotique, « Tes pas dans l'escalier » embarque le lecteur dans une histoire très simple au départ, qui glisse imperceptiblement vers quelque chose d'inquiétant et mystérieux, au fil de l'accumulation de petites entorses à la rationalité. On se perd en conjectures sur ce qui a pu se passer au sein du couple, avant de le découvrir dans les dernières pages.

C'est la première fois que je lis A. Muñoz Molina, et je découvre un écrivain au style impeccable et maîtrisé, qui excelle ici dans l'installation d'une ambiance floue d'inquiétude et d'oppression diffuses. Dans ce roman sur l'attente, il explore, en profondeur et sinuosités, la mémoire, la raison, la peur, la fragilité des murs qu'on se construit face à l'âpreté de la vie.

En partenariat avec les Editions du Seuil via Masse Critique de Babelio.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Ah, Antonio Munoz Molina ! Il y a entre cet auteur et moi une longue histoire, une très longue histoire, une interminable histoire... de procrastination. Depuis combien de temps je me suis promis de le lire, et surtout « Dans la grande nuit des temps » ? le canyon abyssal que représente ma pal en terme de temps de lecture n'en garde aucune trace sédimentaire. Par contre il y a eu récemment une résolution de début d'année aux vapeurs optimistes sur un fil de Florence, comme quoi il serait bon de mon côté d'ouvrir enfin un livre de l'aficionado du temps, pourquoi pas justement le 29 février de cette année à rallonge quotidienne. C'est chose faite, même si j'ai pas attendu le supplément de temps à notre calendrier pour ouvrir « tes pas dans l'escalier ».
le narrateur quant à lui est un spécialiste de l'attente, et s'est installé dans une bulle temporelle du côté de Lisbonne, en emménageant le futur appartement que Cécilia et lui devraient habiter dès qu'elle sera arrivée. Son présent est ainsi une vie de transition en attendant Cecilia, même s'il paraît osé de parler ici de vie à part peut-être celle d'objets, qu'il dispose à l'identique de leur logement à New-York, et qui réactivent sa mémoire d'un passé américain. Une non-vie plutôt, une existence en léthargie comme une quête de refuge hors du temps en attendant Cecilia avec sa chienne Luria, pour attendre en couple la fin du monde. Les souvenirs new-yorkais assiègent ses pensées, trauma apocalyptique du 11 septembre qui résonne avec l'angoisse généralisée d'un monde perclus de catastrophes et d'incendies notamment, vie amoureuse avec Cécilia et vie professionnelle, la sienne dont il semble soulagé d'en avoir été mis dehors et celle de Cecilia, neuro-scientifique que l'on suivra dans ses travaux laborantins. Il sera ainsi question de mémoire et en particulier celle de la peur, une mémoire qui pourra se faire le réceptacle amnésique de dates voire de l'absolution du temps, tout cela pouvant aboutir au mirage dans la conscience du temps qui passe.
Roman d'une littérature de la nuance, de l'attente, de la mémoire, de l'illusion et d'une sorte de mélancolie angoissée, on pourrait croire qu'il ne s'y passe pas grand chose, si ce n'est justement ce pas grand chose qui peut prendre de la place dans le désert de l'attente. La serrure du nouvel appartement coince comme un symbole et c'est le doute qui s'insinue assez tôt dans l'esprit du lecteur, avant que des aspérités dans la fin du récit ne viennent érafler pour de bon la quiétude lisboète de cette attente polissée.
J'ai bien aimé, mais de là à dire que j'ai été passionné... Ce roman m'en a rappelé d'autres que ma mémoire capricieuse m'empêche de saisir avec précision, des livres aux souvenirs incertains coincés quelque part entre « un homme qui dort » de Pérec, « les gommes » de Robbe-Grillet ou plus récemment « Oh canada » de Russel Banks sur la mémoire. Je pense avoir fait une erreur à vouloir le lire en février, en cette fin d'hiver frissonnant de signes d'un printemps précoce, dérèglement climatique oblige. Mauvais timing, c'est plutôt un livre d'automne à mon avis. J'aurais peut-être dû attendre un peu plus.

(merci en tout cas Florence, je continuerai je pense avec Molina)
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Quelle écriture ! Après l'éblouissant et vertigineux « Dans la grande nuit des temps », mes pas m'ont à nouveau mené dans ceux d'Antonio Muñoz Molina grâce à une opération Masse Critique. Je remercie Babelio et les éditions Seuil qui m'ont permis de retrouver l'écriture sublime de cet auteur.

*
« Tes pas dans les escaliers » est un petit bijou littéraire dans lequel l'auteur se montre d'une justesse et d'une profondeur saisissantes.
A Lisbonne, un homme, seul, avec pour toute compagnie son chien Luria, attend sa femme, Cecilia, restée à New York pour régler les derniers détails de sa mutation professionnelle. C'est une nouvelle vie qui commence pour le couple marqué par les terribles attentats terroristes du 11 septembre 2001.

L'homme aménage l'appartement récemment acheté, l'agençant méticuleusement, avec amour, de telle façon qu'il soit à l'identique de l'ancien, comme s'il voulait tout de même préserver une partie de leur passé.
Elle n'y a jamais habité, et pourtant, Cecilia est partout présente : dans les nombreux objets chinés, dans la place de chaque objet, dans le choix des couleurs murales, dans les parfums qui imprègnent encore ses vêtements rangés dans la penderie, dans les nombreux livres achetés.
Tout est prêt pour l'accueillir, ses plats préférés l'attendent dans le réfrigérateur, la table est dressée pour deux personnes, cette attente chaque jour renouvelé entretenant l'illusion de sa présence.
Où est-elle ?

*
Il y a au coeur de ce roman une absence, celle de l'être aimé.
Les pensées de l'homme ne cessent de naviguer dans un flux et un reflux incessants, entre New York et Lisbonne, passé et présent, souvenirs et réalité, absence et présence, illusions et obsessions. Des gestes, le regard d'une inconnue, des odeurs, des bruits, des objets, tout redonne vie à l'absente, tout l'entraîne vers elle.

Dans cette solitude et ce vide d'elle, le temps paraît alangui, comme suspendu.
Avec pour seul repère temporel l'effondrement des tours jumelles, le lecteur est indécis quant au temps qui passe. Les jours semblent filer et s'égrener lentement dans un fondu empli de nostalgie, de mélancolie et de douceur, sublimés par les souvenirs de jours révolus.
Ainsi le temps mais aussi l'espace se superposent : comme l'écume que ramènent les vagues, Cecilia est à la fois proche et lointaine, omniprésente et évanescente. Il y a beaucoup de tendresse et d'amour dans ces moments de vie commune et dans cette étrange attente qui se cristallise et se fossilise. Mais il y a finalement beaucoup de solitude et de sacrifices dans cette vie en suspens.

Dans cette routine qui s'installe, la monotonie creuse un abyme, le calme sensuel et voluptueux s'altère, l'attente devient anormalement longue et contribue à rendre le silence inquiétant et l'incertitude oppressante.

*
Le temps semble prendre une place centrale dans l'oeuvre d'Antonio Muñoz Molina. Et s'il en était le personnage clé ?
L'auteur a en effet un talent incroyable pour l'étirer, le délier, le rendre élastique jusqu'à l'immobiliser, l'ancrer dans un entre-deux. Il a aussi cette capacité à le fragmenter, le découper en instants de vie et le restituer sans tenir compte de la moindre chronologie.

Le temps de l'attente est parfaitement maîtrisé : l'auteur donne un rythme narratif lent et distille une ambiance contemplative et feutrée qui se nuance peu à peu. Sous des dehors d'une belle simplicité, l'écriture est subtile, lucide, délicate, d'une grande intimité et d'une touchante pudeur, mettant doucement en lumière les fragilités et les non-dits de cet homme, ses espoirs, ses attentes, ses regrets, ses mensonges.

« Je suis celui qui arrive on ne sait d'où et fait soudain irruption dans un présent qui est le temps immuable de la conscience de Luria… »

*
« L'attente impose le silence dans l'appartement. »

Je vois cet homme seul, déballant les cartons et arrangeant leur appartement. Je le vois, leur chien couché à ses pieds, seul, le regard tourné vers les avions qui sillonnent le ciel ou vers la rue qui s'assombrit, croyant parfois apercevoir la femme qu'il aime descendre d'un taxi, attendant ses pas dans l'escalier. Je le vois seul, assis dans son fauteuil, sourd au monde extérieur, plongé dans le récit de l'expédition en solitaire de l'amiral Byrd. Je le vois seul, enfermé dans ses pensées, promenant son chien dans les ruelles lisboètes désertes.
C'est troublant comme ces scènes illustrent la tristesse et le silence des tableaux d'Edward Hopper.

« Chaque jour est un seul jour. »

Pourtant Lisbonne est magnifique avec cette statue imposante du Christ dominant la ville et ses façades colorées recouvertes de bougainvillées. L'auteur dépeint à merveille le charme de cette ville, ses couleurs chatoyantes, le bleu métallique du Tage et l'or du crépuscule, sa chaleur écrasante et ses odeurs marines, de cuisine et de poubelles.

*
Pour conclure, « Tes pas dans les escaliers » a été un très beau moment de lecture pour moi.
C'est un magnifique roman d'une lenteur hypnotique, je l'ai savouré page après page, allant à la rencontre de ce personnage ambigu et discret. Et puis viennent les toutes dernières lignes du récit qui l'éclairent de nouvelles nuances douces-amères.
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Un homme attend sa femme Cécilia dans la ville de Lisbonne.

Et l'attente est l'un des thèmes principaux de « Tes pas dans l'escalier », l'histoire de ce narrateur qui attend sa femme, restée de l'autre côté de l'Atlantique à New York, tandis qu'il prépare l'appartement qui sera désormais leur foyer.

Ce narrateur vient de se faire licencier de son entreprise, un travail abêtifiant qui servait à enrichir quelques actionnaires inconnus. Il ne travaillera plus, c'est décidé. Et se consacrera uniquement à sa femme.
Elle est une brillante scientifique, spécialisée dans des travaux sur la mémoire. Elle mène des expériences avec tout un tas d'animaux, pour mieux comprendre le mécanisme de la mémoire humaine. Pour l'instant elle se remet d'un fort traumatisme : son appartement à Manhattan était situé non loin des fameuses Tours, et pendant plusieurs semaines après le 11 Septembre 2001, elle n'a pu accéder chez elle. Elle a donc cohabité avec notre narrateur qui était ravi de l'héberger.

Depuis ils ont décidé de s'installer à Lisbonne. Elle pourra sans difficulté travailler pour un laboratoire européen, et poursuivre ses recherches.
Mais pour l'instant, il l'attend.
C'est l'été, et il fait très chaud à Lisbonne. Un peu partout, d'ailleurs, sur la planète, des incendies font rage et déciment les forêts. le changement climatique est en marche, au Portugal comme ailleurs.

Il y a de fortes similarités entre New York et Lisbonne : villes de fleuves, le narrateur ne cesse de les comparer et de les rapprocher, comme il le fait entre l'appartement new yorkais et lisboète. Seule la chienne Luria lui rappelle qu'il est l'heure de sortir dans les rues, sinon notre narrateur va consacrer l'essentiel de son temps à la lecture de l'un des nombreux ouvrages qui constituent leur bibliothèque commune.

Le temps. On retrouve ici l'un des thèmes préférés du fameux auteur espagnol, celui qui nous a donné « Dans la grande nuit des temps » que j'ai tellement aimé. Il y est aussi question de mémoire, de traumatisme, et de ce temps dilaté que constitue l'essentiel de l'attente. Et nous, lecteurs, éprouvant comme une forme de langueur, nous attendons avec lui.

Il y a un côté hypnotisant dans « Tes pas dans l'escalier ». Les jours passent, il se passe très peu de choses, la chaleur s'installe, et Cécilia n'arrive pas. Et pourtant on reste accrochés aux pas du narrateur, lui-même guettant les pas dans l'escalier de celle qui n'en finit pas d'arriver. Un fond d'angoisse sourd également dans le roman, avec l'onde de choc du 11 Septembre qui n'en finit pas de faire des ravages pour tous ceux qui ont vécu l'évènement, mais aussi par cette menace sourde de cette chaleur et de ces incendies, sentinelles d'alarme d'un avenir angoissant.

Seule l'apparition d'une femme – sosie potentielle de Cécilia – rencontrée à l'occasion d'un happening culturel assez improbable, dont seuls les ultrariches ont le secret, va réveiller un peu notre narrateur, le temps d'une rencontre qui aurait pu devenir idylle.

Le style d'Antonio Munoz Molina est toujours là. L'auteur de « L'hiver à Lisbonne » glisse dans une forme de mélancolie ou de nostalgie d'un passé désormais révolu. « Comme l'ombre qui s'en va », un titre d'un autre livre de lui, est un peu son envers : ici l'ombre devrait venir, et, comme chez Buzzati, ne vient pas encore. Mais on l'attend.

Et nous, ses lecteurs, attendons déjà son prochain récit.

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Bruno, le narrateur, lassé du monde, lassé d'un travail qui n'a plus de sens, traumatisé par l'attaque des Twin Towers, quitte New-York et s'installe à Lisbonne. Il y attend l'arrivée de Cecilia sa compagne, retiré de la fureur du monde, seul avec sa chienne, dont nous est dressé un superbe portrait, celui d'un animal si vivant, si intelligent, si sensible.
C'est cette attente qui nous est comptée, meublée d'une réflexion sur la vie, sur un monde qui s'écroule et devient dangereux. Autant Bruno est immobile, contemplatif, rêveur, réfugié dans les livres, autant la Cécilia qu'il nous décrit est active et impliquée dans des recherches de haut niveau sur le cerveau et la mémoire.
Il y a beaucoup de charme dans la description de cette attente, dans cette exploration d'un esprit déstabilisé, en proie à l'angoisse mais sachant où se trouve son bonheur. Un roman sur pas grand' chose, d'une grande densité et d'une sacrée élégance !
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Lisbonne. le narrateur, en retraite anticipée, a quitté New-York où il y réside avec sa femme Cécilia, grande neurologue. Ils ont prit la décision de quitter cette ville pour le Portugal. Il va donc s'intaller tout d'abord, et préparer l'appartement du mieux qu'il le peut afin d'accueillir sa femme dans un logement confortable.

Quel roman surprenant. J'ai été étonnée de tant l'apprécier d'autant plus qu'il ne s'y passe pas vraiment grand chose, et c'est là que réside le talent de conteur l'auteur.

En effet, pendant une bonne partie du roman, nous suivons l'attente du narrateur et les différentes étapes visant à aménager au mieux le logement pour sa femme. Leur histoire se dévoile par petites touches au travers des diverses introspections du narrateur.

Toute cette langueur installée au fil des pages est nécessaire afin d'amener un dénouement totalement inattendu et surprenant. L'auteur a su maîtriser la tension narrative et je n'ai absolument pas imaginé comment terminerait ce récit.

La plume de l'auteur est d'une grande élégance. Avec un sens du détail et beaucoup de digressions qui sont très intéressantes, l'ennui ne se ressent pas, même s'il ne se passe pas beaucoup de choses dans ce récit. le roman est narré à la première personne sous le point de vue du narrateur, ce qui donne un récit tout en introspection.

Un roman original et surprenant à découvrir.
Lien : https://mavoixauchapitre.hom..
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Un couple quitte New York après les attentats du onze septembre et décide de s'installer à Lisbonne… pour attendre tranquillement la fin du monde.
Un couple ? D'abord lui, qui profite de sa retraite anticipée pour meubler et décorer le nouvel appartement. Elle viendra ensuite, lorsque tout sera prêt. En attendant, brillante chercheuse en neurologie, elle parcourt le monde de congrès en symposiums médicaux. Il attend son arrivée en compagnie de leur chienne…
Il attend, nous attendons… Il sort le chien, aménage leur nouveau cadre de vie à l'image de celui qu'ils viennent de quitter. le lecteur plonge dans ses pensées, ses souvenirs. Ses idées passent de New York à Lisbonne, on s'y promène avec le chien et on s'y perd un peu, lui aussi semble hésiter. Il s'égare et peu à peu le temps et l'espace lui deviennent flous. Elle va le rejoindre, aujourd'hui. Plutôt demain… Il la guette à la fenêtre et bientôt il entendra ses pas dans l'escalier…
Quand arrivera-t-elle ? Je ne divulgache pas plus.
Disons simplement qu'il est question de retraite, temporelle et géographique, du temps qui passe et des souvenirs qui s'effilochent jusqu'à ce que les symptômes de la terrible maladie que chacun redoute commencent à apparaître.
Ennuyeux ? Un peu. Déroutant ? Complètement. Bien écrit ? Absolument. Faubert rêvait d'écrire un roman sur rien, Molina l'a peut-être réussi ? A vous de juger…
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A Lisbonne, un homme attend sa compagne ; il attend aussi la fin du monde. La première est retenue à New-York par son travail de chercheur sur la mémoire, et rejoindra bientôt son homme au Portugal où ils ont choisi d'émigrer après le traumatisme du 11 septembre 2001, vécu de plein fouet par le couple. La seconde est en route également ; Bruno égrène la litanie des cataclysmes planétaires succédant aux catastrophes : pays en feu, inondations inédites, espèces en voie d'extinction, guerres et plus si affinités.


New-York-Lisbonne : villes bordées par le même océan, toutes deux traversées par un fleuve, survolées par des avions vrombissant. Bruno consacre tout son temps et son énergie à l'attente, à faire de l'appartement portugais une copie conforme du new-yorkais, vivant comme un naufragé sur une île déserte dans l'austérité, visant le dépouillement. Il s'abîme dans la routine : sortie de son bien-aimé chien, lecture de journaux, classement de ses livres par taille, par couleur, organisant sa bibliothèque comme celles conçues pour un voyage dans l'espace, comme un placard ou une cave garnis de vivres en vue d'une réclusion indéfinie. de nombreux thèmes paradoxaux s'entrelacent : l'homme à la mémoire défaillante dont la compagne effectue des recherches sur la mémoire ; l'homme dont le but est la réclusion apprécie les récits d'explorateurs, avec en fil rouge les désastres écologiques universels annonçant la fin du monde.


Avec Tes pas dans l'escalier, Antonio Munoz Molina est au sommet de son talent et réalise le tour de force de donner une consistance au vide, à l'absence, au rien du tout dans un roman dont il ne faut sauter aucune ligne afin de savourer chaque mot choisi avec génie et la musique de fond lancinante. Dans cette histoire grave et d'une tristesse sans remède, le lecteur perçoit dès le départ une menace blanche planant en alternance sur New-York ou Lisbonne, et au-delà sur l'entière planète. Au fil des jours, l'attente de Bruno vire à l'obsession dans des actes strictement répétés qui pétrifient le temps au point de le supprimer. Peu à peu devient impossible ce qui au départ est présenté comme normal. Bruno psalmodie, sa mémoire apparait vite aussi instable qu'une bulle de savon. Toutes ses pensées ou souvenirs se transforment en un mirage de chaleur, l'éloignement exerçant son impitoyable effet loupe, le passé apparaît toujours plus beau que le présent : « Il n'y a rien qui ne soit pas un effet d'optique. Ce que tu vois n'est jamais le monde tel qu'il est, ni de loin ni de près. Tu as sous les yeux un simulacre édifié par ton cerveau à partir d'un nombre restreint d'impressions visuelles. »


Le lecteur retient son souffle, sent que quelque chose déraille mais quoi ? Prêt à accueillir l'épilogue révélateur. Prêt ? Pas sûr. Quel roman ! Quel talent ! A lire absolument.
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Quel roman magnifique! On finit par ne plus considérer l'histoire comme essentielle et son dénouement comme l'objectif principal, tant chaque (court) chapitre constitue à lui seul une petite perle, une pépite, comme si vous écoutiez un ensemble de sonates de Scarlatti ! La beauté et la profondeur du texte, tout en simplicité pourtant, jamais pédant, toujours le mot juste, l'expérience intime qui touche à l'universel. Quelle tristesse de refermer ce livre. J'en redemande ....
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