Ce n'est que quand il se coupa le doigt avec un éclat de verre, qu'il releva la tête et s'aperçut que le jouir s'était levé. Le morceau de verre reflétait la lumière qui commençait à filtrer entre les gratte-ciels de l'autre côté du ghetto. Il lui sembla qu'il était lui-même devenu un filament de lumière. Tout son corps étincelait, démesurément allongé jusqu'à l'horizon, par-delà les vagues scintillantes et argentées des barbelés, par-delà les rangées d'arbres de l'autre côté. Lui aussi il faisait désormais partie de ce monde lumineux.
- Mon frère aîné, en réalité c'est mon ami.
Dans la dernière ligne droite, Kiku qui courait à l'extérieur derrière ses deux adversaires les dépassa en un clin d'oeil, puis franchit la ligne d'arrivée. Le ruban s'enroula à son torse, mais il ne s'arrêta pas, continuant à courir, le ruban flottant au vent derrière lui. Yamane et Nakakura se précipitèrent vers lui en hurlant de joie, mais il continua à courir, il se sentait si léger. Je leur montrerai que je peux sauter par-dessus ce mur de béton gris, même sans ma perche ! Une énergie prodigieuse, qui augmentait à chaque foulée, continuait à le propulser vers l'avant, il courut jusqu'à l'extrême bord du terrain de sport, jusqu'à ce que s'élève devant ses yeux le mur d'enceinte de la prison. Dans un ultime élan, il jeta son bâton de relais de toutes ses forces. Le bâton tournoya dans les airs, étincela en reflétant les rayons du soleil et disparut à la vue, de l'autre côté du mur.
Quand il demandait à Kiku quels sons lui apportaient le plus de bien-être et d'apaisement, celui-ci répondait : l'écho lointain d'une leçon de piano et le bruit régulier d'une pluie tombant interminablement, ponctué par le plic-ploc de gouttes tombant du rebord d'un toit.