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Pascal Ory (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070772537
238 pages
Gallimard (03/02/2005)
4.08/5   19 notes
Résumé :
C'était le temps où la ville voyait arriver des hommes détachés de leur ancienne ville et de leur ancienne vie qui arrivaient à pied ou descendaient des trains, des grands camions de Messageries. Chaque jour, vingt-cinq ou trente chômeurs traversaient les villages avec des vieux sacs sur le dos. Certains demandaient du pain. D'autres rêvaient de vin. Des Allemands descendaient en bicyclette vers le sud, chargés de souvenirs déchirants. Des Espagnols montaient furtiv... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Certains livres ne peuvent se résumer en une page, par leur densité et leur approche d'un monde. Ainsi « le cheval de Troie » est court mais dense, riche et empli d'enseignements politiques. Une ville Rhodanienne, Villefranche (dont les traits sont piqués à Bourg-en-Bresse), paisible en cette année 1935. Un petit groupe de militants d'extrême gauche avec tout ce que cela comporte de disparité : communistes, nihilistes, anarchistes, socialistes révolutionnaires en tout genre. Les ouvriers se lèvent, se rebellent, les autorités ne voient pas cela d'un sale oeil, les émeutes n'ont jamais enflammé la ville. Les élus, les notables regardent plutôt, et avec un oeil à la fois craintif, intéressé, bienveillant voire amusé, les événements en cours en Allemagne, en Italie ou encore en Espagne (cette dernière vit à cette époque une énorme tension entre gauche, droite et extrême droite, c'est juste avant la guerre civile). « L'idée par exemple que le sadisme, la violence, dominent l'Allemagne… Quand je lis que les S.A. contraignent les prisonniers à se masturber devant eux, je songe que l'homme en est arrivé à un tel pouvoir de bassesses que nous verrons enfin l'espérance se détruire… ». 1935, les lignes bougent déjà.

Les exodes de pays voisins vers la France commencent pour fuir la situation politique anxiogène : « Des allemands descendaient en bicyclette vers le sud, chargés de souvenirs déchirants. Des espagnols montaient furtivement vers le nord. Il y avait des années qu'on avait oublié en France ces mouvements de migrations ». Cela ne vous rappelle rien ? Même si la bicyclette a laissé depuis place aux bateaux.

À Villefranche, d'un côté la grève se prépare, d'un autre une sorte de veillée d'armes, ne pas bouger tant que la situation n'est pas explosive. Les protagonistes de ce roman discutent beaucoup : de la première guerre mondiale, de l'U.R.S.S., de la montée des fascismes mais aussi de l'extrême gauche révolutionnaire, du souhait de monter un journal de propagande politique (qui sera le même thème sur « La conspiration » que l'auteur écrira plus tard). Les années 30 sont singulières sur ce point : la France entourée par plusieurs grands pays passés à l'extrême droite ou en passe de devenir totalitaires, une France qui elle-même a dû affronter le putsch fasciste de février 1934 et s'est parallèlement dotée d'une extrême gauche forte, genèse du Front Populaire. Période de crise, d'incertitude, où tout peut basculer dans un rang comme dans l'autre. Attentisme et constructions de forces politiques nouvelles. « Ce serait quand même embêtant de mourir avant la révolution ».

Attention, « le cheval de Troie » n'est pas qu'un roman historique (nous reviendrons d'ailleurs sur ce terme), c'est le parcours de personnages fictifs mais qui représentent chacun un courant politique, des figures qui restent des femmes et des hommes avec leurs misères et leurs (rares) joies. Ainsi, le couple Catherine/Albert, semblant expulsé d'un roman de SIMENON, car si la tendresse reste, l'amour a depuis bien longtemps laissé place à l'ennui, la lassitude. Les pages consacrées à l'agonie de Catherine sont particulièrement fortes et encore une fois immergent le lectorat dans ce climat si particulier d'un SIMENON.

La grève est déclenchée, l'émeute semble inévitable. Les forces de l'ordre font face aux manifestants et sont prêtes à tirer. Ici il n'est pas interdit de penser fortement au « Germinal » ou au « Paris » de ZOLA. Car certains personnages comme certaines scènes de ce roman sont Zolaiens. le peuple devant ses bourreaux, prêt à en découdre. Mais la répression va être brutale.

Roman foisonnant pour son aspect historique voire visionnaire. D'ailleurs, historique, en est-on bien sûr ? Il est écrit à 1935, avant la formation du Front Populaire, avant l'avènement de Franco de Espagne, avant même la guerre d'Espange, avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, donc il peut plutôt être vu à sa sortie comme un roman d'actualité politique. Il devient historique après les faits évoqués ci-dessus, après 1945. Il balaie la montée des fascismes avec une vision acérée (n'oublions pas que dans sa jeunesse Paul NIZAN a été membre des sinistres « Camelots du Roy »), mais sa trame sur l'extrême gauche française est documentée et précise (NIZAN est devenu communiste, donc possède les cartes en mains pour alimenter ses réflexions sur les deux « camps »).

Ce livre est fascinant. Car il fait partie de l'histoire, mais il est aussi une passerelle entre deux mondes. En effet, des historiens continuent à tracer le parallèle entre les années 30 et la décennie présente. Certes, on ne peut pas calquer l'un sur l'autre, mais comme disait AUDIARD « y'aurait comme de la relance sur la gelée de coings ». C'est frappant dans ce livre dans lequel cohabitent le fascisme tout nouveau, le communisme classique, le nihilisme désabusé, l'anarchisme révolutionnaire, les migrants (arméniens, allemands, espagnols entre autres), tout ce petit monde au coude à coude ne connaissant pas franchement le chapitre suivant. Et pourtant NIZAN met en garde, malgré l'espoir de quelques-uns. Pourquoi d'ailleurs « le cheval de Troie » ? « Bloyé pensait au temps où des hommes comme eux, sortis du grand cheval de Troie des usines et des rues ouvrières, occuperaient les villes dans la nuit. Ils étaient un peu las, ils étaient heureux. Les coeurs découpés dans les volets de la boutique s'éclairaient ».

NIZAN à son tour ne connaîtra pas le chapitre suivant, il mourra sur le front au tout début de la « vraie » guerre succédant à la « drôle de guerre » en mai 1940, quelques mois après avoir démissionné du Parti Communiste Français après la signature du pacte germano-soviétique de non-agression, c'est peut-être ce qui fait la force et le côté visionnaire du bouquin : NIZAN écrit comment il pressent l'avenir, il ne l'a pas connu dans ses détails, et pourtant il ne tombe pas loin de la vérité concernant l'U.R.S.S. qu'il commence à voir d'un oeil critique, le nazisme qui frappe à la porte du pouvoir européen, qui attire des français (anticipation de la collaboration, que pourtant NIZAN ne verra pas), l'Espagne qui s'approche de l'abîme fasciste, l'Italie qui y est déjà et ne va pas tarder à jouer un rôle majeur.

D'un autre côté, la création d'une force de gauche, qui dans quelque mois lèvera des militants et des électeurs pour devenir le Front Populaire, cela aussi NIZAN le pressent, le devine, mais à la différence des autres faits évoqués plus haut, NIZAN semble désirer l'avènement du Front Populaire (il en fera d'ailleurs partie peu après la parution du présent roman). Ce bouquin est un coup de poing en pleine poitrine en même temps qu'un sévère coup de pied dans l'oignon, il fait réfléchir au-delà du raisonnable, appelle le présent en ressassant le passé historique et politique, les sombres années 30. Il me paraît de plus une charnière indispensable sur l'état de la France de l'entre-deux guerres. Admiration…

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Une page d'histoire ou du moins de qu'elle aurait pu être dans une petite ville de province des années 30, quand prenaient forme ces idéologies qui ont marqué le siècle. le tout écrit avant même que cette fin ne soit connue. Un concentré d'engagement militant, de la violence qu'il entraine, du courage que l'on se félicite d'avoir eu, de la priorité donnée à la mort sur la vie, à l'engagement sur la réflexion politique, au viscéral sur le coeur ou la raison. Un livre visionnaire, troublant et inquiétant.
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Ce roman méconnu de Paul Nizan est un roman ouvrier racontant la vie d'un groupe de communistes à Villefranche. Il est parait-il largement autobiographique mais je connais pas assez la vie de Nizan donc cet aspect du roman m'a hélas échappé.

Alors que nous sommes en pleine crise et que nos élites politiques sont en train de reproduire les mêmes politiques d'austérité des années 30, la lecture du "Cheval de Troie" de Paul Nizan me semble salutaire et inquiétante. Bien sûr nous n'en sommes pas là et on peut espérer que nous éviterons le pire.

Nous suivons une poignée de communistes dans la première moitié des années 30, à Villefranche. Les événements européens (en Espagne, en Allemagne) sont sur toutes les lèvres et bientôt les tensions apparaissent communistes, fascistes et représentants de l'État. Chaque groupe s'organise et mettent en place des actions (publication d'affiches, grève). L'Histoire est en marche et la guerre n'est pas loin.

L'écriture, classique, est magnifique. A l'analyse du fascisme, il faut également ajouter quelques pages très justes sur la condition féminine (avortement clandestin de Catherine).
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1934, Villefranche. Des communistes, la lutte contre les fascistes et l'ordre bourgeois. L'avortement clandestin. Les manifestations. Et la mort et le sens de la vie. Impossible de lire aujourd'hui ce livre en oubliant la mort de son auteur à 35 ans et la campagne haineuse des staliniens contre son oeuvre. Campagne réussie, en empruntant ce livre j'ai entendu : « Plus personne ne lit Nizan ». Dommage, c'est un grand auteur, toujours aussi troublant et dérangeant qu'à l'époque.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Les souvenirs d'Albert tournaient autour d'un être qui avait existé, qui n'était pas Catherine. Il ne l'aimait plus. Il pensait aux autres femmes. Ce n'était pas assez de coucher dans son lit et d'écarter ses cuisses d'un coup de genoux, dans un demi-sommeil, au sortir d'un rêve, pour qu'il pût encore être question d'amour. Il était au bout de la table, il passait ses mains sur ses joues. Chaque regard lui donnait de la haine pour Catherine, une haine encore combattue par la pitié, par l'écrasement du sort commun. Mais la solidarité qui lie un cheval à un autre cheval au fond d'une galerie de mine n'est pas l'un des noms de l'amour.
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A des carrefours traînaient des groupes de chômeurs comme des gens qui attendent une aventure, un miracle, ou simplement, qui s'ennuient devant leur jour désagrégé.
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Bloyé pensait à Mme Renard qui traversait les rues avec son domestique ; le domestique traînait une petite voiture avec un grand chaudron. De porte en porte, les gens donnaient des restes que le domestique versait dans le chaudron. Mme Renard mêlait les restes et les faisait chauffer et elle les donnait aux chômeurs : c'était une ville qui ne pouvait pas être justifiée. (page 117)
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Vidéo de Paul Nizan
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"J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge." écrivait Paul Nizan. Et pour vous, 20 ans, est-ce le bel âge ?
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