Norge a longtemps été pour moi un nom attaché aux surréalistes belges sans que je n'aie jamais pu approfondir son écriture. Mais voilà : Petit trésor qui te languissais sur l'étage Belgique de ma bibliothèque, exemplaire 399 de la 1re édition, tu vois je t'ai pris dans mes mains et tu m'as ébouriffé la langue française.
La langue verte se présente un concerto en trois temps:
- Premier temps : Glose est une étude sur
la langue verte, ensemble de parlers dont le populaire, les dialectes notamment le wallon (décidément après le joual de Catellier), le langage enfantin et les jeux purement gratuits sur le langage. Un étude oui, mais... qui oserait commencer un essai par :
"Mon chien s'appelle Sophie et répond au nom de Bisoute."
C'est que son étude est déjà littérature, se conjugue aux temps de l'imaginaire, aux accents populaires rehaussés de guipure maniériste (pour ne pas dire maniérée). Nous voilà donc dans ce premier mouvement de la symphonie, aux prises avec une orchestration changeante citant des phrases mélodiques de
Queneau à
Rabelais - mélodiques parce que les mots dans cet essai sonnent plus qu'ils ne parlent.
- Deuxième temps : Charabias. Si Glose imposait le thème, Charabias sont les variations. Brefs
poèmes où se côtoient toutes formes de langages, de vocabulaire, de figures de style ou de chant, allitérations, interjections, jeux de mots, rimes riches ou pauvres - il y en a pour tout le monde - patois, virelangues, abréviations, expressions populaires ou confettis et comptines. Il en faut du culot pour intituler son poème "zoziaux". Un charabia n'est-il pas un langage à la limite de l'incompréhensible dont on perçoit des bribes mais on ne saisit pas la finalité.
- Troisième temps: Verdures, pour revenir au thème titre, Verdures serait la fugue: Suite de
poèmes contenant une brève histoire à la forme très étudiée - rimes et mètre -, aux thèmes cette fois bien plus sérieux et parfois même moraux (la mort, l'amour, la passion du Christ, la condition humaine).
"Cher univers, tu m'étonnes"
Si j'ose le terme de fugue, c'est qu'en contrepoint apparaît sans cesse et sans prévenir le thème du langage ou de la communication.
"Vert le verbe qui commence
Et verte la langue en vie"
Oeuvre musicale rafraîchissante que cette langue verte comme la menthe poivrée, la piqûre d'ortie, la brassée de gazon coupé, qui sent la campagne fleurie... fraîche mais lourde d'un certain tragique humain que le poète - définitivement tombé de son piédestal culturel - désespérément tente de d'alléger.
"Des morts, encor des morts.
Toujours cette fin noire.
Changez-moi ce décor,
Ces acteurs, cette foire.
Je veux de francs feuillages,
Et du son de fluteau
Qui passe dans mes âges
Comme un printemps sur l'eau"
Indispensable pour les amateurs de surréalisme, de linguistique ou de littérature belge. Ça tombe bien, c'est tout moi !