Paradis ? Vraiment ?
Quiconque a déjà lu quelques livres de
Joyce Carol Oates se doute d'emblée que le paradis promis par le titre ne sera certainement pas si paradisiaque que ça... et la lecture ne le détrompera pas.
Une dystopie signée
Joyce Carol Oates ? Rien de surprenant : l'écrivain prolifique aime se lancer dans des genres littéraires variés. Ma curiosité est titillée car cela change des nombreux romans que j'ai déjà lus d'elle.
Elle plonge d'emblée le lecteur dans le monde qu'elle a créé, un monde horrible régi par des règles qui font froid dans le dos.
Bienvenue dans les États d'Amérique du Nord (EAN) !
Bienvenue dans un pays totalitaire dans lequel les individus sont priés d'obéir sans protester.
Bienvenue dans une société déshumanisée.
Bienvenue dans un pays dans lequel la vie a bien peu de prix et où les récalcitrants sont éliminés sans états d'âme.
Bienvenue !
Bienvenue dans un monde de sigles inquiétants : ADMD (Actions Disciplinaires contre les Menaces sur la Démocratie), BDSVC (Bureau Démocratique de Surveillance Volontaire Citoyenne), DDJSI (Département Disciplinaire de la Jeunesse et de la Sécurité Intérieure), et bien d'autres qui, mieux que de longues descriptions, font comprendre quel genre de vie on peut mener dans les EAN.
D'autant plus que cet état revendique pratiquer la Vraie Démocratie, et comme chacun sait, plus un pays se proclame "démocratique", jusque dans son nom, moins il l'est : nous connaissons tous des "République démocratique de..." et "République populaire démocratique de"... peu démocratiques en vérité !
Bienvenue dans une dictature dans laquelle seules les lectures autorisées sont accessibles, dans laquelle tout individu qui essaie de penser par lui-même est automatiquement suspect.
Bienvenue dans un régime fasciste qui surveille tout et tous.
Bienvenue !
Vous n'avez pas envie de venir ? Ce pays ne vous tente pas ? Je vous comprends !
Pourtant, j'ai aimé y aller, j'ai aimé en découvrir petit à petit le fonctionnement épouvantable.
J'ai aimé, même si j'ai tremblé, même si j'ai frissonné plus d'une fois :
Joyce Carol Oates dévoile tout par de petites touches qui vous plongent dans cet univers terrifiant avec un réalisme redoutable.
La quatrième de couverture l'exprime très bien : "Ce nouveau roman de
Joyce Carol Oates offre le troublant portrait d'une société faussement égalitaire où délation et médiocrité sont la règle, un « petit paradis » en saisissant écho avec nos sociétés actuelles."
Le lecteur comprend vite que, comme à son habitude, c'est son pays que
Joyce Carol Oates critique dans ce roman : dans un jeu de billard à trois bandes, c'est le portrait des États-Unis contemporains qu'elle dresse.
Un portrait tout de même très caricatural d'une société qui pour se protéger du terrorisme n'aurait trouvé comme réponses que la surveillance constante de tout et de tous.
À travers ce petit paradis,
Joyce Carol Oates veut dénoncer des dérives dans lesquelles elle ne voudrait pas voir son pays se laisser entraîner. Mais sa réflexion ne se limite pas aux États-Unis, elle est bien plus universelle : dans sa promenade entre passé et futur, elle nous fait nous interroger sur notre présent et les nombreux questionnements que cette lecture suscite sont, comme toujours, bienvenus.
L'univers totalitaire des EAN m'a enchantée (façon de parler !) et la découverte du petit paradis également (bis !).
J'ai trouvé dans les descriptions de ces deux mondes le mordant et l'ironie que j'aime chez
Joyce Carol Oates.
En revanche, j'ai franchement moins aimé la fin du roman.
Désabusée ? Désenchantée ? Cela ressemble tellement peu à cet auteur !
Renoncer à espérer ? Se contenter docilement de ce que l'on a ? Décevante conclusion.
À moins que je ne sois passée à côté de ce qu'il fallait comprendre, qu'il y ait un sens caché que je n'ai pas su débusquer.
Pour cette raison, et parce qu'il n'est pas représentatif de son oeuvre, je ne recommanderais ce petit paradis qu'aux inconditionnels de la grande dame de la littérature américaine.