On doit L'outre-blanc à Oksana et Gil Prou, binôme inattendu pour des bouquins qui le sont tout autant. Rien d'étonnant quand on voit le nom de l'éditeur : les fleurs sauvages ne poussent qu'en dehors des sentiers battus.
La quatrième a de quoi intriguer. “Que se passe-t-il dans le cerveau d'un homme qui vient d'être décapité ? Une odyssée verticale hallucinante...” Modèle de concision qui a pour avantage de ne pas décevoir les attentes du lecteur vu qu'il ne sait pas à quoi s'attendre.
A l'arrivée, le roman se range dans les inclassables, quelque part entre science-fiction, fantastique, philosophie, récit onirique... Mon avis ira dans la même catégorie. Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit d'un roman riche au contenu intéressant. A côté, deux défauts l'empêchent d'accéder au niveau de l'excellent Les Thanatonautes de Bernard Werber (qui signe la préface avec Jean-Claude Dunyach). le bilan penche vers le positif, mais c'est un livre qui demande de s'accrocher.
Je vais commencer par les défauts, ce sera fait.
La longueur, déjà. Les volumes épais ne me rebutent pas en soi, encore faut-il qu'ils tiennent la distance. Ici, le problème vient de “l'introduction”. Que je mets entre guillemets, parce qu'elle couvre 200 pages sur les 550. C'est long, très long, trop long.
Sans spoiler toute l'histoire, en gros, une expédition scientifique part grenouiller dans la jungle pour étudier des trucs de savants. Une bande de guérilleros tombe dessus. Enlèvement, séquestration, brimades, le club Med version Ingrid Betancourt. le chef des brigands n'a rien d'un Robin des Bois, seule la rançon le motive, qu'il compte se redistribuer à lui-même. Bon ben 200 pages pour te brosser le décor de jungle et raconter les conditions de kidnapping et de détention, c'est 150 de trop vu l'abondance de redites. Pour rester dans la thématique, faut trancher. La quatrième joue sans doute beaucoup, puisqu'elle annonce une décollation suivie d'une odyssée. En bonne logique, le lecteur s'attend à entrer assez vite dans le vif du sujet.
On ne peut certes pas reprocher aux auteurs de poser le cadre et les personnages, mais la longueur de cette première partie collerait plus avec un thriller politique qu'avec un récit de vie après la mort. Pour détourner un fameux proverbe, l'important, c'est le voyage, pas le point de départ.
Deuxième défaut, les lourdeurs stylistiques. Tout le monde n'y est pas sensible, moi si, chacun son truc. Pas mal de répétitions et de redondances, encore plus d'adverbes en -ment dont la moitié pourrait être supprimée, l'autre remplacée par des équivalents.
L'outre-blanc se rattrape sur le fond. A commencer par l'originalité de l'idée initiale. Se demander ce qui se passe dans la caboche d'un type décapité, dans le genre pitch peu commun, ça se pose là.
Le roman possède aussi de solides références. En premier lieu, on pense bien sûr à l'outre-noir du peintre Pierre Soulages. A travers les notes, citations, allusions, guest stars, les auteurs ont potassé leur sujet, voire leurs sujets au pluriel. Ils mettent à contribution tous les domaines de l'art, de la science et de la pensée. J'ai retrouvé dans L'outre-blanc une richesse analogue à celle des Thanatonautes en matière d'histoire, science, religion, mythologie, philosophie. Cette masse d'informations est utilisée pour servir le propos sans donner l'impression d'un étalage de culture-confiture. C'est le genre de bouquin qui donne envie de farfouiller à droite à gauche pour approfondir les noms, oeuvres et idées évoqués. Platon, Dante, Gilgamesh, Von Kleist, Hugo, Giordano Bruno et d'autres, que du beau monde. Une ouverture culturelle bienvenue et bien amenée.
Un mot sur l'outre-blanc sans italique, ce monde dans lequel vadrouille notre émule de Louis XVI. Comme son nom l'indique, tout y est blanc.
“L'espace est blanc. Uniformément blanc.
L'espace est blanc. Et immense.
L'espace est blanc. Silencieux.
L'espace est blanc. Et vide.” (p.216)
Parti-pris risqué. Un univers pareil, tu te demandes comment on peut y caser une “odyssée verticale” avec tout ce que l'idée implique de souffle épique. C'est possible. Déroutant, surréaliste, symbolique, beau. Et profond dans son approche de la vie après la mort.
Par son étrangeté, l'outre-blanc rappelle les Contrées du Rêve de Lovecraft, avec quelque chose de la persistance de la mémoire de Dali (en version monochrome de blanc pour le coup). Les différents avatars du “cavalier sans tête” (et sans cheval) qui se rencontrent m'ont fait penser à certains textes de Moorcock, monsieur Multivers et Champion Eternel. Si on ajoute les références dont je parlais plus haut, on a vu plus silencieux et vide. L'ensemble évite de verser dans le catalogue type dissert de philo ratée, les auteurs s'appuient sur des figures et des concepts pour mieux déployer leur propre rhétorique, dense mais bien expliquée.
Au final, un roman exigeant avec le lecteur dans ses qualités comme ses défauts. Long à démarrer, mais j'en retiendrai surtout l'originalité et la profondeur de la deuxième partie.
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