Si l’amour se persuade qu’il durera toujours, le chagrin aussi s’imagine qu’il ne s’émoussera jamais. L’homme vit parce que le temps passe et parce qu’il n’y croit pas.
J’aime les départs, les ruptures, les descentes vers le soleil, l’attente de ce qui va se passer. Je déteste les liens, les responsabilités, la vie sociale, les carrières. Dans ce train, j’étais très libre parce que j’étais déjà parti et que je n’étais pas encore arrivé. J’allais vers des espérances qui n’étaient pas précisées : elles étaient immenses puisqu’elles n’étaient pas limitées.
Mais il est toujours difficile de se représenter ce qui n'a pas encore eu lieu. Les guerres, les ruines, les catastrophes ne surprennent jamais que les niais ou les aveugles. Mais lorsque l'événement arrive, lorsque l'irréparable est là, ce qui avait été vaguement envisagé dans un hypothétique avenir frappe alors la brutalité incomparable de l'évidence immédiate. Le temps s'arrête. Il se roule en une boule de feu autour de trois ou quatre mots où se concentrent toute la douleur et toute la réalité du monde : la machine infernale est prête à fonctionner.
Le propre de la passion, et très particulièrement de l’amour, c’est la contradiction.
Parler d'un amour, c'est peut-être déjà le trahir. L'amour ne se passe pas qu'entre deux êtres ; tout ce qu'on y introduit d'étranger lui fait perdre de sa force et de sa pureté, le menace de mort.
Il est difficile de décider où commencent les histoires et aussi où elles se terminent : leur point de départ est toujours un peu arbitraire; leur fin, même quand elle est brutale, traîne inlassablement dans les franges des souvenirs, dans les amertumes de l'oubli qui veut se faire et ne veut pas se faire.
Aimer sans être aimé, c’est ce qu’il y a de mieux dans l’amour !
Ce qu'il y a d'effrayant avec l'amour, et de consolant aussi, c'est qu'on en peut dire n'importe quoi.
Des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes s'embrassaient ce soir-là dans les jardins de Rome. Le moindre des miracles du cœur n'est pas cette fraîcheur unique de chaque nouvel amour. Il me semblait, en embrassant Béatrice,n conquérir tout le seul le Saint-Sépulcre de Jérusalem, traverser les mers, découvrir des planètes. J’embrassais une jeune fille. Il n'y a rien de plus banal au monde.
Béatrice prenait tout à coup dans ma vie une importance incroyable, artificielle peut-être, imaginaire probablement, inventée de toutes pièces, mais enfin réelle: quoi de plus réel que ces imaginations qui illuminent ou détruisent une vie, qui se tapissent en nous-même?