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EAN : 9782862311418
195 pages
Maurice Nadeau (19/05/1998)
5/5   1 notes
Résumé :
Retour et témoignage d'un roumain natif de Jassy, dans une Roumanie post communisme me paraît intéressant. Conversations à Jassy de Pierre Pachet, Edition Maurice Nadeau 1997, de 196 pages. Conversations, lectures et réflexions dans cette enquête sur ce qui a eu lieu en Roumanie en 1941, 1943, 1947 et en 1989, (communisme, nationalisme roumain et ses effets) par l'auteur lui même d'origine de ce pays qu'il visite. +article de Curzio Malaparte (traduit) La Moldavie i... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
En 1996, l'auteur est invité à Iași, par le conseiller culturel français (p. 45). de ce voyage, qui fut surtout un voyage dans le temps, il fait un beau livre empli d'émotions, avec un ton juste, qui contient entre autres une enquête en marge du chapitre « Les rats de Jassy » de « Kaputt » : « Malaparte y était-il », s'interroge Pierre Pachet (p. 89-105).

C'est notamment grâce à un article de Curzio Malaparte du 5 juillet 1941 publié dans « Corriere della Sera » (et traduit en français en fin d'ouvrage, p. 193-196), ainsi qu'aux recoupements avec d'autres sources dont notamment le biographe Giordano Bruno Guerri, qu'il arrive à la conclusion que le 29 juin [1941] « jour du pogrom [Malaparte] est sur la rive gauche du Prut, donc en Bessarabie ». Pierre Pachet démontre ensuite que « dans le chapitre sur Jassy de « Kaputt », au contraire, la pudeur est évidente, la modération ». Pierre Pachet veut savoir « si le récit qu'il fait du pogrom de Jassy et de l'agonie organisée des Juifs enfermés dans des wagons scellés sur la voie de chemin de fer conduisant à Podul Iloaiei, si ce récit est tout simplement vrai ». (p. 78)

Mais reprenons dès le début. Il me semble important de noter que d'entrée de jeu l'auteur indique : « les lieux, les dates et les personnages évoqués dans les pages qui suivent sont aussi authentiques que possible ». Et le propos est expliqué dans ces lignes :

« Ces premiers jours de retour chez moi seront une lutte ; il me faudra m'isoler de la ville et de la rue, prendre le parti de Jassy. C'est-à-dire non seulement prendre le parti d'un autre lieu de l'Europe, d'une autre ville (avant d'y aller, guidé par des souvenirs historiques, je croyais que c'était une bourgade ; mais entre 300 000 et 500 000 habitants y vivent, déclarés ou non), mais permettre au passé d'empiéter sur le présent : le passé de ces jours précédents vécus là-bas (qui représentent le présent de ceux que j'ai connus là-bas, et qui y sont toujours, et pour longtemps) ; et aussi le passé qui imprègne l'air de là-bas, le passé que j'allais chercher là-bas et qui s'est exhalé du sol, de la terre et des pierres, des souvenirs et des livres et articles lus là-bas : le passé des années 90, celui de décembre 1989 (chute du régime) celui des années de Ceaușescu, des années Gheorghiu-Dej (et Ana Pauker, dont j'entendais mon père citer le nom), de l'avancée des armées soviétiques au printemps 1944, et plus loin, en remontant encore... » (p.12-13)

De Jassy, l'oeil de l'écrivain voyageur capture les chiens abandonnés (ou errants ?), le trio « ciment, béton, bitume » qui lui fait dire : « ici, à Iași, l'utopie à l'ambition millénaire se marque dans ces quartiers minables est immenses ». (p. 27), les routes mal entretenues, et enfin, d'énormes canalisations de chauffage apparentes :

« Il y a cela, ou un équivalent de cela, dans le film Brazil, de Terry Gilliam, film inspiré du roman d'Orwell, 1984, brillamment transposé dans un décor à la fois moderniste est en voie de désagrégation : celui d'une ville parcourue, dans ses rues, ses immeubles, ses bureaux par les tuyaux d'une omni-communication supposée efficace, immédiate, mais qui ne cesse de s'engorger. Les tuyaux de Brazil (comme la musique d'une gaieté inévitable et déprimante qui ne cesse d'accompagner l'action), c'était une trouvaille, de la fiction, la mise en scène. Cette mise en scène réalisée à présent à côté de nous. Mais pas seulement au sens où un projet utopique se trouve réalisé par des réformateurs sociaux, appliqué à la réalité, traduit en mesures concrètes. La bizarrerie filmique des canalisations de Iași c'est qu'elle amène les gens à vivre dans un décor de cinéma qui se substitue à la réalité, en expulse certaines données ». (p. 42-43)

On apprend, p. 46, qu'il y aussi une raison très personnelle à ce voyage : « [mon père] était originaire d'un village de Tiraspol, bourgade qui est à peu près à 65 km de Chișinău ».

Après la visite de la synagogue et du cimetière juif, le désir de comprendre de l'auteur le conduit à s'interroger sur antisémitisme roumain.

Il évoque également le livre de Ruth Glasberg Gold, « Ruth's Journey, A Survivor's Memoir ».

De ses conversations avec des universitaires il se souvient dans le chapitre « La science et le Parti », dont je tiens à citer ce passage :

«  Un livre qui m'a puissamment aidé, dans ces discussions et dans mes interrogations solitaires, ce sont les Mémoires de la veuve du poète Osip Mandelstam, Nadejda. J'y ai souvent repensé à Iași. […] Ce qui résistait à l'oppression, et par quoi l'art et la vérité de l'art pouvaient être préservés, c'était tout simplement l'intégrité morale, le goût de la vérité et de la précision, la fidélité à la pensée et à la perception individuelles. Mais les Mémoires de Nadejda ont eu moins de lecteurs, dans les milieux universitaires « littéraires », que les recueils de textes des formalistes russes qui entraînèrent tant d'esprits doués et ambitieux à travers le monde, en particulier dans les pays de l'Est dans les années 70-80, du côté du structuralisme et de la sémiologie littéraire ». (p. 183-184)

Ce fut une lecture très intéressante pour moi. Et voici que je redonne la parole à l'auteur pour le mot de la fin :

« Mais le plus souvent le voyageur en visite dans le pays de son passé ne cherche pas à montrer ou à démontrer, encore moins à convaincre. C'est à lui-même qu'il parle. Quand il essaie de reconnaître la forme de quelque chose qui fut, et qui fut lui, il essaie de trouver des points d'appui pour se persuader que ce fut réel, qu'il n'a pas rêvé, qu'il ne rêve pas : qu'il existe vraiment, comme une chose du monde, malgré la destruction, l'instabilité et la méchanceté. Il ne cherche pas à reprendre racine dans la stabilité d'un lieu du monde : il cherche, au contact de la fragilité des choses, à se reconnaître lui-même comme lieu d'enracinement. Un lieu provisoire et instable, mais le plus réel de tous ». (p.191)
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Pour remercier nos amis de ces promenades et de ces conversations, après qu'ils nous ont régalés de fromages parfumés et de vin rouge de Moldavie, je leur offre ma traduction de "La République" de Platon, dont je suis naïvement fier. Le médecin accepte volontiers, tout en s'empressant de me dire –j'en suis d'abord un peu désappointé– qu'il a déjà lu ce dialogue : il a été traduit en roumain par un grand philosophe, persécuté sous le régime communiste, qui avait été contraint de faire paraître cette traduction sous le nom d'un de ses étudiants. J'ai compris plus tard : il s'agissait de Constantin Noica, qui avait été disciple de Heidegger, et était en effet nourri de philosophie grecque. Pour certains intellectuels roumains, sous le règne de Ceaușescu, comme pour cet ami médecin aujourd'hui, Noica représentait un espoir, le surgissement contemporain d'une pensée authentiquement nationale, développée dans une solitude hautaine et rompant avec la dégradation spirituelle de l'Occident. Il proposait des fondements philosophiques, "ontologiques", au nationalisme. Notre ami ne voulait pas que j'ignore cela, que je méconnaisse cette actualité –pour lui en tout cas, pour les Roumains cultivés– de Platon. Face à ces perspectives grandioses, ma traduction pouvait lui paraître frivole, facultative. Je n'avais rien à proposer au lecteur, sinon de partager le plaisir que j'avais pris à lire le philosophe grec. L'ami roumain, vivant là où il vivait, voulait que je sache de quoi le dialogue de Platon était pour lui le signe. J'espère qu'à présent il acceptera de lire le texte pour lui-même.
(page 43-44)
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Un panneau pédagogique donne les chiffres de la population juive de Jassy. J’ai pris quelques secondes, avant de sortir, pour les noter au passage, pour moi, pour vous : 1803 : 2420 chefs de famille. 1831:17570 personnes. 1899 : 39 400 personnes. 1921 : 43 500 personnes. 1941 : 35 400 personnes. 1947 : 30 000 personnes. 1980 : 1800. 1996 : 600 personnes. Forte expansion entre 1803 et 1831, et surtout à la fin du siècle vers 1870–1880 (c’est l’époque de l’urbanisation) ; forte émigration vers l’Occident en 1899, puis vers Israël dans les années 1960, aboutissant à la situation actuelle.
(p. 73)
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26 avril (1996). {Les lieux, les dates et les personnages évoqués dans les pages qui suivent sont aussi authentiques que possible.} Les souvenirs sont encore là, les impressions plutôt (les chiens la nuit, les trottoirs et la chaussée crevée après l'hiver, les sons de la langue roumaine…) qui ne sont pas encore des souvenirs, mais semblent disponibles, mobilisées, présentes. Ce n'est pas que je me souviens : je sais comment faire pour descendre au rez-de-chaussée après le réveil, traverser le terrain qui sépare la Casa de Oaspeți [la Maison d'hôtes de l'Université] de la rue, entre les voitures abandonnées (un car allemand immobilisé là sans doute depuis longtemps) ou en cours de réparation sur un pont rudimentaire, passer devant l'Academia de Arte devant laquelle de bon matin sont déjà rassemblés des étudiants en musique, à côté du robinet vissé à un simple tuyau planté dans le sol, et qui coule toujours (les chiens viennent périodiquement y boire). Tout cela m'est présent. Mais je sens aussi comment ces diverses sensations s'écartent les unes des autres, se désolidarisent déjà : certaines prennent de l'importance aux dépens des autres, forment de petits groupes, s'organisent en "souvenirs" aptes à entrer dans la mémoire profonde.
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C'est à Jassy, selon une note de bas de page du livre des souvenirs d'Alexandre Safran, qui fut grand rabbin de Roumanie de 1940 à 1947, que fut écrit par Naftali Herz Imber, en 1878 le poème en hébreu, « Hatikvah », « L'espoir », qui fut mis en musique en 1882 par Samuel Cohen sur une mélodie moldave, et devint un chant sioniste connu, puis l’hymne national Israël.
(p.56-57)
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Occidental que je suis dans l’âme, confortablement installé sur cinquante années de prospérité écoulées depuis la fin de la guerre (avec un généreux plan Marshall pour commencer), j’ai tendance à regarder ces bizarreries sans indulgence. Qu’attend-on pour réparer la chaussée, les routes, pour réparer en général ?
(p. 32)
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