Dans la France de la fin du XXI siècle, dirigée par les "dormeurs", nous suivons les parcours de trois personnages, amenés à se croiser ; Gallys, jeune provinciale qui a quitté sa campagne natale pour tenter sa chance à Paris, Elisha citadin rêveur, qui ne trouve aucun sens à la vie médiocre proposée par la société des dormeurs et Jarvis, la super star de la chanson de l'époque. Leur point commun ? Spleen et Idéal, une taverne un peu spéciale qui regroupe tous les rêveurs et inadaptés de la capitale...
J'ai vraiment aimé ce court roman de
Michel Pagel, que je découvre pour l'occasion, même si j'ai bien conscience de l'avoir surnoté et qu'il ne plaira surement pas à tout le monde, y compris chez les amateurs de sf :
-il n'y a pas d'intrigue digne de ce nom, pas de suspens, pas de cliffhangers insupportables. On est clairement dans le registre du roman d'ambiance qui cherche à nous faire réfléchir
-les personnages sont assez caricaturaux et leur psychologie est sommaire
-l'univers n'est pas très recherché (une sorte de version française, plus pernicieuse et discrète du monde de 1984), ni très développé.
Pourtant, j'ai vraiment adoré certaines idées, ainsi que les différentes réflexions que l'auteur se propose d'amener :
-les dormeurs :
leur nom vient des initiales DM, pour débile mental. Il y a quelques années les scientifiques ont découvert qu'en les branchant sur un nouveau type de machine ils avaient alors le pouvoir de contrôler les ordinateurs. Les handicapés mentaux ont tous été connectés (et donc enlevés à leur famille, contre de l'argent) et la mécanisation et la robotisation de la société s'est accélérée, permettant à l'homme d'être "libéré" du travail, hormis une période obligatoire de trois heures par jours. Malheureusement, s'ils ont pu accéder à un nouvel état de conscience et développer leur capacités, ils ont perdus leur liberté de se mouvoir, devant rester branchés à leur machine 24h/24h. Ironie de l'histoire, les inadaptés d'hier ont fini par prendre totalement le pouvoir, tant leur rôle est devenu prépondérant.
-le personnage de Jarvis, à travers sa volonté de ne plus jouer le spectacle que le public attend mais, au contraire, de créer des nouvelles chansons dépouillées, sans artifices, quitte à déplaire, amène une réflexion sur l'art, en tant qu'il s'oppose justement au spectacle. En allant plus loin, la réflexion la plus visible est bien celle sur le rôle et la place des artistes au sein de la société. Sont-ils là pour amuser, voir endormir, les foules ou, au contraire, réveiller les consciences ? Une question dans la lignée culturelle des événements de mai 1968, renforcée par des références au romantisme et aux "artistes maudits" de la seconde moitié du XIX. On est clairement dans un cadre culturel bien de chez nous.
-enfin une réflexion plus secondaire, mais assez intéressante, selon moi, sur la nature et la fonction du travail, au sein de la société. Les dormeurs ont, en effet, réussi à en libérer l'homme et à instaurer une société du loisir et du bonheur artificiel. Mais finalement, loin de l'idée du travail en tant qu'aliénation, l'homme n'est-il pas plus heureux d'avoir la possibilité de se réaliser, à travers, comme dirait
Freud, "une activité librement consentie" ? Une petite parcelle de responsabilité collective ne va-t-elle pas de pair avec un petit morceau de pouvoir ? Est-ce donc pour notre bien que les dormeurs ont quasiment aboli le travail (hormis quelques métiers irremplaçables, comme médecin par exemple, et les tâches abrutissantes et dénuées d'intérêt des périodes obligatoires) ou pour s'accaparer l'ensemble du pouvoir ?
Au final, un roman assez intéressant, bien que pas transcendant au niveau purement narratif. En tout cas j'essaierai, sans a priori négatifs, d'autres romans de l'auteur.