« Chicago, Chicago, that toddlin' town... » Vous connaissez, Sinatra... Un gamin en rêvait de cette ville. Mais c'est loin de la Virginie-Occidentale. Difficile de quitter son territoire. Mais il y croit.
« Quand j'ai demandé à Mr Dent, le prof de gym, si le carré de sa cornemuse était égal à la somme des carrés des deux nénés de sa nana, il m'a mis la tête au carré dans les vestiaires et je me suis juré de ne plus jamais toucher à mon oiseau. En plus, Chicago valait amplement Mrs Dent et il y avait tellement de Mrs Dent à Chicago que j'avais largement de quoi me faire violer pendant un million d'années. »
Un recueil de nouvelles merveilleuses. Une écriture qui plonge dans les souffrances de vies tristes, abandonnées et dès que Breece D'J Pancake parle de la nature, des feuilles des animaux, alors une poésie se fait jour. Un auteur écorché vif. Les nouvelles accrochent immédiatement par la plume qui déploie une ambiance froide, qui me plongeait dans la tête des personnages, par leur paroles ou leurs pensées, qui me faisait comprendre par touches fines ce qui n'est pas dit, pas écrit, et qui me surprenait dans les chutes, faisant monter une inquiétude, une angoisse et un twist qui chagrine. On craint et finalement on se rend compte que ...c'est bien pire. Ces vies dures et tristes marquent. Comme si rien ne pouvait y faire, impossible de sortir des marécages gluants où vous êtes nés, ça vous colle à la peau. Il évoque les mineurs, la jeunesse et ses liens avec la famille, les souvenirs, l'amour, la solitude, et tellement d'autres thèmes de manière fine et délicate. Ma préférée est sans doute Une chambre à vie, une histoire de marin, parce que ça a été le choc de la rencontre avec cet auteur. Les autres se déroulent dans le noir ou à la campagne, humide ou sèche, voire sous la neige, mais c'est jamais vraiment la bonne température pour y être heureux.
Son seul et unique recueil qu'il nous laisse comme un brûlot qui vogue prêt à vous exploser les sens, à vous sauter à l'âme dès la première ligne. Je n'arrive pas à croire que ces textes ne soient pas accessibles, il faut absolument rééditer ces douze nouvelles. Pourquoi laisser tomber dans l'oubli une telle merveille ? Je lance un appel aux Éditions le Rouergue, s'il vous plait :)
En attendant la prochaine parution - j'y crois ! - je remercie infiniment Bookycooky pour cette découverte, petite pépite ....voyageuse
« La véranda qui court à l'arrière est traversée par une brise légère et il la laisse se glisser entre les boutons de sa chemise, s'assied sur la balancelle et écoute les premières feuilles mortes des érables argentés qui bavardent de l'autre côté du chemin à la terre bien tassée. »
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On tombe rarement sur Qu'arrivera-t-il au bois sec ? par hasard. Livre épuisé depuis belle lurette, et en plus, difficile à trouver, tellement qu'il faut faire des pieds et des mains pour en trouver un exemplaire. Alors il a nécessairement quelqu'un qui nous en a parlé. Dans mon cas, j'ai entendu ce nom lors de la rediffusion d'une émission de radio, qui devait dater de la fin des années 1970, où on demandait à Tom Waits ses influences littéraires. Après avoir nommé Raymond Carver ou Charles Bukowski, le chanteur à la voix rauque sort de son chapeau cet auteur inconnu Breece D'J Pancake.
Dans ce recueil, on retrouve 16 nouvelles remarquables, purement intenses et intensément sincères. Un enchainement de personnages, généralement jeunes, qui font une entrée difficile dans la vie adulte. Une question se dessine dans presque chacune de ces nouvelles : comment faire pour se tirer de ce bled perdu ? Presque à chaque fois, le personnage de ces nouvelles cherche un moyen pour prendre la fuite afin d'éviter de terminer comme tout le monde, passer sa vie dans ce patelin. Parce que rester dans ce patelin, ça veut dire retrouver, jour après jour, les mêmes emmerdes, qui seront partagées avec le même monde : du réchauffer qui devient vite insupportable. On aura compris, très peu des personnages y arriveront.
Une fois que ces camionneur, mécanicien, mineur et j'en passe, comprennent que la fuite sera impossible, et qu'ils devront faire avec ça, cette réalité; on perçoit ceux-là se forger progressivement une carapace, pour se protéger. En d'autres termes, on observe le moment où le cuir de la peau se durcit, et cette opération, ne se fait pas tendrement.
C'est cela qui m'a touché dans les 16 nouvelles de Pancake, cette dureté, à l'os, et ce n'est presque pas une métaphore, comme si on voyait un chien dévorer les os de notre lapin qu'on a aimé. Ça fait mal, et on se dit que pour parvenir à une transcription aussi juste et sincère, Breece Pancake n'a certainement pas eu la vie facile. On est triste aussi par le fait qu'il n'ait que ces 16 nouvelles, rien de plus. C'est dommage. On aurait bien aimé qu'il ait pu trouver le moyen de s'échapper, pour nous écrire quelques nouvelles de plus, ou tout simplement pour faire autre chose.
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La pluie tombe goutte à goutte et, tandis qu'elle s'infiltre dans le sol pour le rafraîchir, un brouillard se lève. Le brouillard s'enroule sur lui-même, peuplant les branches et les ravines de petits fantômes. Le soleil essaie de percer cette brume, mais il est réduit à n'être qu'une tache marron terne dans le ciel rosé. Partout où il y a du brouillard, la lumière a des reflets dorés et orangés.
Une par une, il ramasse les feuilles mortes les plus proches, les ramène à lui en même temps que ces années vécues dans la précipitation. En touchant les bords froissés d'une feuille roussie, il voit, dans le couchant, des couleurs qui viennent encore éclabousser sa surface.
Mr Weeks a de nouveau fait appel à moi ce soir, et je jette un regard derrière moi, vers l'autre bout du couloir de la maison. J'ai laissé la lumière de la cuisine allumée. C'est une vieille maison vide depuis que la patronne est morte. Quand Mr Weeks n'appelle pas, j'écris à tous les gens que je connais pour leur parler de mon fiston. Certaines de mes lettres me reviennent systématiquement et les gens qui répondent disent que personne ne sait où il est parti. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il pourrait rentrer à la maison un soir, quand je ne suis pas là, alors je laisse la lumière de la cuisine allumée, je continue d'avancer et je sors.
En cette journée de printemps qu’il avait passée avec Sheila, ils avaient attrapé une perche vert et or et l’avaient regardée se balancer toute arrosée de lumière.
Sheila avait dit :
- Ce qu’il y a de plus joli, c’est le ventre, je trouve.
Ottie l’avait attrapée en riant.
- Toutes ces couleurs et tu choisis le blanc ?
Je claque des doigts.J'ai envie de parler mais il n'y a pas moyen de passer de l'image aux mots.Je me vois dispersé,mes cellules à des kilomètres les unes des autres.Je les ramène à moi et je m'agenouille dans l'herbe foncée....