Bruno Patino nous compare à des poissons rouges est né. La peur panique de se trouver éloigné de son portable est un trouble appelé no-
mophobie.
La civilisation du poisson rouge de
Bruno Patino édité chez Grasset & Fasquelle en
2019 a obtenu le Prix des Lecteurs 2020, il est donc sorti en
Livre de Poche. C'est un
ouvrage accessible dans sa compréhension et par son petit format. Initialement, un but idéaliste de partage de savoir et de libre accès
Les réseaux sociaux occupent de plus en plus du temps disponible pour bon nombre
d'entre-nous. Cette attraction grandissante pour les écrans va-t-elle de paire avec un
possible éloignement face au réel ? Une attitude semblable à celui du monde du joueur
compulsif et de l'addiction, une dépendance s'installent avec la recherche de satisfac-
tion instantanée (via la molécule du plaisir qu'est la dopamine).
Le sujet du numérique intéresse de près l'auteur
Déjà avec ses précédentes publications,
Bruno Patino observait depuis l'intérieur du
milieu des médias, les transformations qui s'opèrent ces dernières décennies. Créer des
stimuli et un sentiment de satisfaction prévisible, voire d'appartenance : la nouvelle gé-
nération née avec la connexion permanente et les smartphones est sollicitée en perma-
nence par les alertes, notifications et autres recommandations. L'Intelligence Artifi-
cielle digère nos données et comportements, le placement de produits et de services est
visé. En entrant dans l'ère de l'économie numérique, nous sommes passés de la loi de
la main invisible du marché à celle des réseaux capteurs d'attention par la distraction.
Un poisson rouge ?
Ce poisson que l'on a voulu comme « animal domestique » – parce qu'il implique peu
de contraintes – vit normalement en bandes entre 20 et 30 ans et peut faire jusqu'à 20
cm. Sa mise en bocal l'a atrophié, a accéléré sa mortalité et détruit sa sociabilité. Il n'a
pas d'« intimité » et est exposé à la vue de tous. Nous nous retrouvons a son image à
tourner en rond, immobilisés devant un écran. La psychologie et les neurosciences s'in-
terrogent sur la probable passivité qui en découle ainsi que la création de besoins plus
ou moins utiles. Les plateformes de rencontre modifient la notion de relations hu-
maines, le visionnage de séries également. Avec son livre Dans la nuée : Réflexions sur
le numérique (2015),
Byung-Chul Han (1) observe une dépendance à l'outil : une fuite
en avant sans réelle perspective, des activités sociales virtuelles. Les professionnels du
marketing créent un écosystème en ligne superficiel et changeant. Pour
Eli Pariser –
dans le livre The Filter Bubble (2011) – c'est un rapport à la réalité construit : les algo-
rithmes emprisonnent au sein d'une bulle d'informations qui maintient dans une vision
propre du monde.
Yves Citton parle du syndrome Fomo : une anxiété sociale liée à la
peur de manquer un événement donnant une occasion d'interagir. Un rituel protecteur
Faire évoluer la pensée par la mise en relation collaborative des connaissances est tangible
dans les écrits de Teilhard de Chardin datant de 1955 ainsi qu'il l'écrit : « la Noosphère
tend à se constituer en un seul système clos, où chaque élément pour soi voit, sent, désire,
souffre les mêmes choses... Une collectivité harmonisée des consciences, équivalente à une
sorte de super-conscience ».
D'une agora au service de l'humanité, nous avons dérivé vers une arène avec une super-
structure accumulatrice de liens qui nous dépasse. L'égalité pour chaque utilisateur a dévié
vers la captation de données. Un espace devenu privatisé et contrôlé, loin de l'idée moder -
niste d'émancipation. L'acronyme GAFAM regroupe les grandes firmes américaines du
web - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – qui dominent ce marché. Google
était à ses débuts un moteur de recherches puis est devenu une entreprise de services orga -
nisant des informations. L'observation globale du passage à l'ère industrielle dont a décou-
lé la société de consommation n'est pas sans en rappeler certaines similitudes avec ce que
nous vivons aujourd'hui. Seulement, ce ne sont plus les ressources naturelles qui sont ex-
ploitées mais ce qu'
André Breton appelait « l'or du temps ».
Une quête qui a provoqué une accélération sociale visible avec du bon et du mauvais
C'est cela, la disruption et elle génère une perte de repères potentielle. le sociologue Hart-
mut Rosa, souligne qu'avec le progrès numérique, la technologie permet de faire plusieurs
tâches en même temps et plus rapidement. Maximiser sa consommation de biens et services
en gagnant du temps et occuper son temps perdu paraît important, pourtant le philosophe
Eric Sadin explique que cette recherche d'optimisation satisfait en premier lieu des intérêts
privés et
Bernard Stiegler, d'ajouter que celle-ci est irréelle voire une perte de temps.
Résultat : nous zappons sur des contenus, notre temps d'attention se raccourcit. L'intelli-
gence collective s'exprime en réseaux par une bataille d'opinions, la presse tente de garder
son indépendance et son autonomie de rédaction à la conquête d'une audience internatio-
nale via le net. La société du divertissement et du spectacle qui domine nos vies et dont
parlait, dès les années soixante-dix,
Guy Debord n'est pas très reluisante. Les premières re-
cherches d'audience par le sensationnel, dans le but d'une rentabilité économique et d'ac -
cès pour tous, ont vu le jour via la TV et la radio. le risque de déviance s'opère lorsque une
information est traitée selon son efficacité économique ; l'achat des chaînes et de la presse
par de gros groupes n'y est sûrement pas pour rien.Modérer et utiliser le web intelligemment
La toile n'est-elle pas le reflet de la société dans laquelle nous vivons ? Réglementer, est-ce
la meilleure solution ? Changer de moteur de recherches, installer des bloqueurs de publici-
tés ainsi que des anti-virus, retirer l'option « alerte » afin de ne pas être sollicité en perma-
nence, ne pas avoir le réseau sur son téléphone portable en dehors de chez soi sont des pos-
sibilités. Quid du livre numérique et du numérique à l'école : une avancée intellectuelle ou
un danger de lissage d'un contenu ainsi que des effets indésirables sur le cerveau et nos
yeux mais captivant par son design. Quant au streaming et messageries surchargées, on
nous dit qu'ils sont consommateurs d'énergie. Cela demande une logistique sophistiquée
avec des lieux de stockage des data-centers qui ont besoin d'être refroidis en permanence et
« produisent autant de CO2 que l'industrie aéronautique » ; l'image est parlante dans le
film nouvellement sorti « Effacer l'historique » (2). Il a été question de traçage lorsqu'en
mars dernier les pays se posaient la question de comment procéder avec la pandémie de co-
vid19. La surveillance du té
létravail s'instaure. La 5G s'installe dans toutes les communes
pour des raisons utiles : té
létravail – on a pu le voir cette année – il faut que tous, même
dans les endroits les plus retirés du territoire puissent au moins y avoir accès. L'économie
va continuer de surfer sur cette vague puisque d'ores et déjà des séminaires de désintoxica-
tion se mettent en place (3). La démarche relève de notre propre volonté et pas d'une nou-
velle appli marketing qui nous dirigerait dans la « bienveillance » à nous déconnecter.
168 pages - 7,20€
plateformes numériques apparaissent comme le lieu d'une redéfinition des règles du jeu en
matière d'emploi et de travail. Entre marchandisation des activités de loisir et gratuité du
travail, le « capitalisme de plateformes » participe de l'émergence de formes renouvelées,
voire exacerbées, de sujétion des travailleurs. Loin des idéaux d'une prétendue « économie
du partage », n'assiste-t-on pas au déploiement de nouvelles dynamiques du capitalisme
avancé ? À partir d'enquêtes, cet ouvrage met au jour la tâcheronnisation des travailleurs et
l'extension du domaine du travail, tout en analysant les résistances et les régulations de ces
nouvelles activités.
Sarah Abdelnour est Maîtresse de conférences en sociologie, elle a réalisé une thèse de so-
ciologie à l'EHESS sur le régime de l'auto-entrepreneur. Elle a publié Les nouveaux prolé-
taires (éditions Textuel, 2012).
Dominique Méda, agrégée de philosophie, ancienne élève
de l‘École Normale Supérieure et de l'École Nationale d'administration est professeure de
sociologie, chercheuse associée au Centre d'études de l'emploi. Elle est titulaire de la
chaire « Reconversion écologique, travail, emploi, politiques sociales » au Collège d'études
mondiales. Elle a publié Réinventer
le travail (2013).
-
Qui va prendre le pouvoir ? Les grands singes, les hommes politiques ou les robots de
Pascal Picq (
Odile Jacob)
- le journalisme avant internet (2018) : ancien grand reporter au Monde et collaborateur à la re-
vue Schnock,
José-Alain Fralon dresse le portrait d'une époque, où la presse écrite avait les
moyens d'envoyer des équipes de par le monde. le temps, avant l'Internet et les portables, où il
fallait se battre pour pouvoir dicter ses papiers à son journal.
AUTRES CONSEILS LECTURE SUR LE SUJET : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
- La bande dessinée Sérum sortie aux éditions DELCOURT en 2017. -
Technoféodalisme, critique de l'économie numérique de
Cédric Durand (paru le 17 septembre
dernier). Analyse sur la Silicon Valley, l'accélération via la crise du coronavirus, la notion de
start-up nation et l'économie libérale. Les recherches de l'auteur portent sur la mondialisation,
la financiarisation et les mutations du capitalisme. Il est l'auteur de le Capital fictif (Les Prai-
ries ordinaires, 2014). La digitalisation du monde produit une grande régression. 1 - « Nous sommes dépassés par le numérique qui, en deçà de toute décision consciente,
modifie de façon déterminante notre comportement, notre perception, notre sensation,
notre pensée et notre vie sociale... Cette cécité ainsi que la torpeur qui l'accompagne sont
les symptômes fondamentaux de la crise actuelle. » de cette crise sociétale, Byung-Chul
Han analyse les aspects de l'existence de la démocratie qui sont bouleversés à l'heure où la
société est réduite à l'état de nuée volatile d'individus "connectés", auto-asservis.
-
Gouverner la ville numérique d'Antoine Courmont et
Patrick le Galès (PUF, 2019)
Les villes font face à des transformations. Des plates-formes telles qu'Airbnb, Uber ont boule-
versé pratiques et espaces. Les données et les algorithmes sont utilisés par les acteurs publics
comme privés pour optimiser le fonctionnement urbain. L'ouvrage illustre l'enjeu du big data,
ceux des politiques et les défis auxquels sont confrontées les autorités publiques. 2 - Source : article de la SACEM
Film de
Benoît Delépine &
Gustave Kervern (avec Banche Gardin, Benoit Podalydès, Co-
rinne Masiero) qui porte à l'écran cette thématique. Synopsis : trois voisins sont en prise
avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Ensemble, ils décident de partir en
guerre contre les géants d'internet.
-
Les nouveaux travailleurs des applis de
Sarah Abdelnour et
Dominique Méda (PUF, 2019)
Deliveroo, Uber, Etsy... des applications qui prétendent bouleverser nos façons de consom-
mer. Mais qu'en est-il de nos manières de travailler ? Plus qu'une innovation technique, les
3- Signalé il y a peu dans l'émission Envoyé spécial intitulée « Écrans : sommes-nous tous
accros ?