(Paris -1927) Durruti et Ascaso eurent, à la même époque, une entrevue avec Nestor Makhno. Durant plusieurs heures, ils écoutèrent le récit des événements de l'Ukraine révolutionnaire, de la vie du groupe anarcho-communiste de Goulai-Polié, la révolution des soviets libres de la zone où ils agissaient. "L'assemblée populaire était l'organisme déterminant et, dans la vie militaire, c'était le Comité de guerre composé par les délégués de tous les détachements. Il s'agissait, en somme, de faire participer tout le monde à l’œuvre collective, d'empêcher la naissance d'une caste dirigeante qui monopolise le pouvoir. Et nous l'avons obtenu. Parce que nous avons réussi et que nous étions un démenti aux pratiques bureaucratiques bolcheviques, Trotsky, trahissant le pacte entre l'Ukraine et le pouvoir bolchevique, envoya l'armée rouge pour nous combattre. Le bolchevisme triompha militairement sur l'Ukraine et Cronstadt, mais l'histoire révolutionnaire nous revendiquera un jour et condamnera comme contre-révolutionnaires les vainqueurs, fossoyeurs de la révolution russe."
"Les grands théoriciens, disait Durutti, ont tiré leurs idées de la vie du prolétariat, car celui-ci est révolté par instinct et par nécessité. Sa condition de classe exploitée lui impose de lutter pour sa propre émancipation."
Cette lutte libératrice devait se baser sur une organisation dont le ressort principal est la solidarité. Pour Durruti, l'histoire sociale de l'Espagne montrait que, avant que les théoriciens eussent présenté des solutions ou des directives au prolétariat, celui-ci avait trouvé par lui-même l'instrument de sa libération par la fédérations de groupe d'ateliers et d'usines. Et l'intervention du "révolutionnaire professionnel" ne pouvait mener qu'à un résultat : altérer le processus de maturation politique du prolétariat. La mission d'un anarchiste était donc de comprendre ce processus naturel. Dès lors, se séparer de la classe ouvrière sous prétexte de la mieux servir constituait une trahison, le prélude à la bureaucratisation, c'est à dire une nouvelle forme de domination.
Durruti et Ascaso se firent embaucher comme arrimeurs dans le port. Au travail, à la cantine, ils ne cessaient d'exposer aux travailleurs du port la nécessité de l'organisation, de la cohésion, de la solidarité, les mettant en garde contre le danger du bureaucratisme dans les syndicats : "Ne confiez jamais votre destin et la solution de vos problèmes aux professionnels de la politique et n'acceptez pas non plus que surgissent des leaders parmi vous. Les uns et les autres vous tromperont et vos ne sortirez pas de votre situation d'esclaves. Vous commencerez à être libres quand vous serez capables de mener vous-mêmes votre lutte." (La Havane - 1925)