Tout commence par la vie difficile des paysans chinois des années soixante dans une région ingrate pas encore sortie des temps anciens, où superstitions, confucianisme et communisme cohabitent sans trop de heurts.
A Gulu les hommes vivent comme il y a des siècles, les traditions les guident et le Tao est plus présent que Mao, la seule richesse sont les fours à céramique et le savoir faire transmis de génération en génération.
Le personnage central est Pissechien un enfant qui ne grandit pas (on pense évidemment à Oscar du Tambour), son mauvais statut social : son grand père était officier du Kuomintang le met, ainsi que sa grand mère avec laquelle il vit, au ban de la société collectiviste. Son isolement et ses humiliations lui font développer une extrême sensibilité à son environnement le dotant d'une compréhension magique de la nature et des animaux. Méprisé et insignifiant il est toutefois l'âme du village et le parfait observateur du drame à venir
Jia Pingwa prend son temps, s'attarde sur la rude vie des paysans où la quête de nourriture est permanente, où la solidarité est vitale même si les inimitiés et rivalités sont fortes, il raconte les mille et un évènements d'un village avec une vitalité et un humour qui rappellent Mo Yan.
Mais tout va changer quand insidieusement les luttes de pouvoir à la tête de l'état vont gagner les campagnes, Mao pour garder le pouvoir va lancer ses gardes rouges pour chasser les contre révolutionnaires, du jour au lendemain les cadres du parti sont destitués et humiliés, la surenchère révolutionnaire s'installe. Même à Gulu il faut être plus rouge que rouge, les factions s'organisent et la belle unité du village va se fissurer et Pissechien assistera impuissant à la violence, la barbarie et à la destruction des fours
C'est avec nostalgie que l'on quitte Gulu et ses habitants, après une immersion de 1200 pages dans ce village paysan qui sera passé de sa misérable tranquillité à la fureur de la Révolution culturelle.
Bien sûr Gulu est la métaphore d'une Chine disparue : celle des villages où l'on croit aux esprits, où l'on se soigne avec des herbes, où le respect des anciens est le socle de la famille et où l'art des fours à céramique n'était pas perdu.
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Pissechien avait été surpris. Il avait juste escaladé l’armoire pour renifler l’odeur qui venait de la paroi. Comment le flacon d’huile pendu au crochet avait-il pu tomber ? C’était une précieuse céramique ornée de fleurs vertes, une antiquité. Sa grand-mère racontait que le jour de son arrivée à Gulu, le jour de son mariage, on se servait déjà de ce flacon pour conserver l’huile de soja. Même si les fours à céramique de la colline du village tournaient pendant un siècle, ils n’arriveraient pas à égaler son degré de raffinement. Pissechien s’était donné la peine de caler la table basse sur laquelle il avait placé son tabouret, mais, parvenu au sommet de l’armoire, le crochet avait plié, et cédé. Impuissant, il avait suivi des yeux la chute du flacon qui avait fini en mille morceaux. Sur le seuil, sa grand-mère peignait sa chevelure abondante bien que déjà grise. Elle ôtait du peigne des mèches qu’elle enroulait, puis glissait dans les lézardes du mur, à côté de la porte. Il y avait déjà de nombreuses pelotes. Pissechien savait que lorsqu’il entendrait Laisheng sur son vélo chargé de marchandises vanter ses articles à l’entrée du village, près du lion en pierre, le moment serait venu pour lui d’aller troquer ces petites pelotes contre du maltose. La grand-mère de Pissechien voulut savoir d’où venait le bruit. « Le flacon est cassé », dit Pissechien.