Le défi pourrait sembler impossible à relever, écrire de façon contrainte sur un sujet qui n'intéresse pas la poétesse. En effet, ayant dans un ouvrage précédent recommandé aux femmes de fuir l'amour,
Christine de Pisan a reçu un gage, elle doit écrire cent poèmes d'amour.
Elle relève le défi, brillamment, détournant les codes, livrant sa voix singulière. C'est l'histoire d'un amour, l'histoire scénarisée, avec un début - la déclaration de l'Amant, des péripéties - des médisants, des jaloux, et une fin - la mort de désespoir de la Dame. le temps passe, avec des mentions sur la nouvelle année, la saint-Valentin... Il y a aussi quelques évocations d'un contexte, comme une guerre à laquelle l'Amant participe.
Mais ces signes d'identification possibles sont très limités, c'est une écriture universelle. Ainsi, les personnages n'ont pas de nom. de même, ils n'ont pas vraiment de corps, dans la mesure où, contrairement aux Amours de
Ronsard par exemple, il n'y a pas de description physique de la Dame, pas de poème s'apparentant au blason : ainsi, de façon générique, on sait qu'elle est belle, blonde et claire. Mais l'Amant ne célèbre pas sa chevelure ou sa poitrine... D'ailleurs, il peut sembler que cet amour est désincarné au sens propre, car il n'y a pas de mention d'amour physique, ni de désir.
Oui, c'est de l'amour courtois - avec des gages, des blasons, des couleurs, des épreuves à relever. La Dame souhaite un Amant qui combatte, se couvre de gloire. le Mari jaloux est cependant rapidement évoqué sans être un véritable obstacle.
Ce sont des poèmes lyriques, le centre des poèmes est une analyse psychologique fine du coeur, des sentiments. Cet effet est renforcé par la forme, les balades étant des poèmes avec un vers qui revient à la fin de chaque strophe, ce qui donne un effet de chanson. Mais, ce que je retiens surtout, c'est la voix singulière de l'autrice, la voix de Christine de Pisan, qui ouvre et ferme le recueil. Là où les balades peuvent sembler convenues, là, elle s'exprime vraiment, sur l'amour et sur la mort.