Vous conviendrez qu'il n'y a rien de plus frustrant qu'une première de couverture qui ne coïncide pas avec le texte qu'elle est supposée mettre en valeur. le polar de
Robert Pobi évite fort heureusement cet écueil et nous offre une couverture certes sommaire mais hautement symbolique. le message est limpide : on comprend qu'il s'agira de résoudre une énigme, de trouver la pièce manquante (invisible ?) du puzzle.
Placé d'emblée sous la houlette de
Dante et de sa Divine Comédie via un épitaphe on ne peut plus suggestif (« Mais fixe les yeux vers le bas, car est proche / le fleuve de sang en lequel bout / Quiconque par violence nuit aux autres » chant XII),
L'invisible est – sans surprise donc – à la limite du soutenable. Il vous faudra avoir le coeur plus qu'accroché pour encaisser voire même simplement tolérer les descriptions des scènes de crime – où la surenchère morbide est reine – qui m'ont personnellement uniquement terrifiée mais qui, je pense, pourront en incommoder plus d'un.
Si pour ma part j'ai « aimé » la minutie sanguinolente des détails (et là, le lecteur s'interroge : est-elle sadique ? Malade ? Les deux à la fois ? Chut, lisez ma phrase jusqu'au bout !) et si elle ne m'a pas semblé superflue mais au contraire cohérente, c'est parce qu'à mon sens elle étaye l'écriture éminemment cinématographique de
Robert Pobi. L'image semble en effet revêtir une importance capitale chez lui et le visuel macabre n'est donc là que pour donner davantage de relief à l'effroi en imprimant non pas des mots mais des images dans notre cerveau.
Plus largement, et comme l'évoque son titre (bien mieux que le titre original d'ailleurs – Bloodman –, ce qui se fait de plus en plus rare donc je tenais à le souligner) l'auteur interroge le visible : ses contradictions et surtout ses chimères. A ce petit jeu,
Robert Pobi est maître et malmène nos neurones jusqu'à épuisement.
L'invisible joue en effet avec notre perception de la réalité avant de révéler sa vraie nature : un mo-nu-men-tal trompe-l'oeil. L'intérêt de ce polar est donc que
l'invisible et le visible ne sont pas perçus comme deux notions antinomiques mais comme deux degrés de discernement différents du réel (et pour de plus amples et sans doute plus claires informations, je vous renvoie à
Merleau-Ponty, le Visible et
l'invisible, non parce qu'il faut pas déconner, c'est pas un blog philo ici !).
Indépendamment de cette excellente problématique,
L'invisible aborde deux thématiques : la folie (du père de Jake d'une part, elle est d'ailleurs au coeur de l'intrigue mais aussi de Jake lui-même, désarmé devant l'ampleur que prennent tous ces meurtres) et le secret de famille. Les relations entre les différents personnages sont d'ailleurs très complexes, notamment celle qui lie Jake à son père, à mi chemin entre la haine et l'admiration tacite ou encore celle qu'il entretient avec son oncle, en qui il cherche désespérément un père de substitution (la plus touchante selon moi).
D'un point de vue psychologique, il n'y a absolument rien à redire. Les personnages sont soignés : mystérieux, écorchés (oh oh oh, non bon d'accord, c'était pas drôle) et insaisissables (le trio magique d'un polar me direz-vous) mais pas que. Les failles des personnages s'amoncèlent au fil des chapitres et l'impuissance grandit, y compris chez Jake : qu'elle soit mentale (il est incapable de résoudre les crimes) ou physique (le pacemaker qui est supposé canaliser ses battements de coeur déraille de plus en plus).
Robert Pobi dissémine en outre ci et là des bribes d'informations de manière à ce que tous les personnages suscitent plus ou moins nos soupçons. Diablement efficace, son style manque toutefois de personnalité (reproche que je fais souvent, cela dit, aux auteurs de polars qui semblent ne vouloir se distinguer que par l'originalité de leur intrigue) : simple, sans fioritures et du même coup un peu passe-partout. Sa plume synthétique dessert également quelque peu son oeuvre.
Le rôle « scénaristique » du climat aurait par exemple pu être plus approfondi. Il est en effet dommage que
Robert Pobi ait limité le cyclone a ses caractéristiques météorologiques sans le considérer (ou alors en le suggérant uniquement) comme un personnage à part entière et donc comme un possible outil de complexification de la trame principale. Lui qui aurait donc pu être utile et servir l'intrigue ne joue finalement que le rôle très accessoire et banal de spectre menaçant.
Enfin, et contrairement à la plupart de personnes qui l'ont lu et avec qui j'ai déjà pu échanger sur le sujet, ce n'est pas la chute (possiblement prévisible) qui m'a gênée mais le manque d'explications et de cohérence du dénouement final. Alors oui, c'est vrai, il y a certains indices qui sont peut-être de trop et qui m'ont également mise sur la bonne piste, pour autant, il était impossible de tout deviner et j'ai donc apprécié le fait de découvrir (et comprendre) le « pourquoi » et le « comment », et non pas simplement le « qui » (seul intérêt de 80% des personnes qui lisent des polars, j'ai l'impression...).
En résumé, un polar haletant qui aurait pu gagner (encore plus) en qualité si certains sujets avaient été moins évasifs et si son dénouement, lui, avait été plus rationnel mais qui n'en remplit pas moins son contrat - surtout pour un premier roman. A découvrir au plus vite si ce n'est pas déjà fait !
Le petit plus
Ce n'est pas tous les jours qu'un auteur approche – et dans un polar qui plus est – le monde de l'art et plus largement les notions d'image et de création avec une telle justesse.
N'hésitez pas si :
vous aimez les polars psychologiques ;
vous appréciez le style épuré ;
vous suivez les séries Criminal Minds, Dexter ou encore Luther ;
Fuyez si :
le glauque, le gore, le sinistre (ou tout autre synonyme) vous indisposent ;
***
Le conseil (in)utile
A moins que comme moi vous soyez insomniaques et/ou que vous supportiez très bien les courtes nuits, ne pas (surtout pas !) entamer l'après p. 276 à minuit ou aux alentours tant les 150 dernières pages sont puissamment addictives.
En savoir plus sur l'auteur
Sonatine éditions le décrit ainsi : « Inlassable voyageur,
Robert Pobi a longtemps travaillé dans le monde des antiquités. Il vit au Canada.
L'invisible est son premier roman ».
Lien :
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